C’est l’un des plus grands collectionneurs européens d’art américain des années 1960 à 1980. Après avoir commencé à acquérir en 1957 des œuvres d’artistes européens, Giuseppe Panza di Biumo a délaissé l’art du Vieux Continent pour celui des États-Unis, jetant son dévolu sur les créations du Pop’Art avant de s’intéresser au Minimalisme. Le collectionneur a vendu, et parfois donné, plusieurs centaines de ses 2 500 œuvres à de grands musées comme le Guggenheim de New York et le MoCA de Los Angeles.
MILAN - La discrétion racée et la timidité affleurante du comte Giuseppe Panza di Biumo contrastent avec l’assurance notoire du collectionneur qui a constitué en quarante ans un ensemble magistral, représentatif de l’art américain des années 1960-1980.
Giuseppe Panza naît en 1923 dans une famille de la haute bourgeoisie milanaise plus encline aux affaires qu’aux passions artistiques. Il s’intéresse pourtant dès son enfance à l’histoire de l’art et à la philosophie, au grand dam de son père, travailleur acharné ayant prospéré dans la production industrielle d’alcool. À la mort de ce dernier, Giuseppe Panza prend en charge la gestion de l’important patrimoine immobilier familial sans délaisser toutefois ses préoccupations artistico-métaphysiques. Malgré les lazzis de ses compatriotes, il s’engage avec constance et rigueur, grâce au soutien de son épouse, dans la collection d’art contemporain. Prolongement de sa quête de connaissance, l’idée de collection est empreinte d’une gravité quasi religieuse. “J’ai toujours beaucoup de doutes, je pense toujours me tromper. La relation avec les œuvres est très importante. Si on les regarde souvent dans des conditions d’esprit à chaque fois différentes, on devient plus confiant. Souvent, les périodes de crise passent, mais cela force à un examen plus sérieux de l’œuvre... La plupart des collectionneurs veulent des œuvres évidentes. Tout l’art évident est en général mauvais car il possède des qualités superficielles et non véritables”, affirme le collectionneur vigilant. “C’est un collectionneur intellectuel, cérébral. Il a des critères très intransigeants. Bien qu’il soit ouvert au dialogue, il n’est pas influençable”, renchérit David McAuliffe, directeur de la galerie californienne Angles.
Giuseppe Panza effectue ses premiers achats en 1957 chez Rodolphe Stadler. “Il n’était pas très bavard, plutôt introverti. Je l’ai perdu assez vite de vue au fil des nouvelles tendances qui arrivaient. Il choisissait des artistes et en éliminait d’autres. Il avait des idées assez arrêtées sur les peintres qu’il sélectionnait, à cette époque Tàpies et Fautrier. Il aimait les couleurs unies et préférait les tableaux les plus épais. Il réagissait très rapidement sur les propositions et achetait dans une grande proportion. Il m’a ainsi acheté quatorze Tàpies”, se souvient le galeriste parisien.
Il se concentre sur l’art américain
Dès les prémices de sa collection, Giuseppe Panza méprise les échantillons disparates. “On a toujours acheté les artistes en grande quantité pendant une période de cinq ou six ans. Beaucoup ont une période assez brève de créativité. Après, on trouve plus rarement des pièces importantes. Elles sont alors bien plus chères”, explique-t-il. De retour d’un voyage aux États-Unis, il délaissera sa matrice européenne pour se concentrer définitivement sur l’art américain. Après avoir succombé à l’Expressionnisme abstrait, il adoptera le Pop’Art sous l’égide de Leo Castelli. “Leo Castelli s’est conduit en vrai gentilhomme avec moi. Il me réservait les plus belles pièces et m’accordait des réductions de prix et des délais de paiement. Il m’a énormément aidé à constituer une bonne collection”, se remémore le collectionneur. Il poursuit avec l’Art minimal au moment même où se développe l’Arte Povera en Italie. Malgré son amitié pour Germano Celant, il n’achètera aucune pièce des artistes italiens alors émergents. Dans les années 1980, il s’oriente vers les artistes californiens créateurs d’environnements lumineux. Le pan le plus récent de sa collection trahit une quête d’élégance formelle, d’un dépouillement plus séduisant qu’ascétique. “Panza estime que le Minimalisme est le mouvement le plus important de la seconde moitié du XXe siècle. Même si beaucoup de gens pensent que les monochromes ont moins de pertinence aujourd’hui, il continue à y trouver des problématiques qui lui tiennent à cœur”, explique David McAuliffe.
Giuseppe Panza présente au public une partie de sa collection, dans le cadre d’une exposition-jalon organisée en 1987 au Musée de la Reina Sofia, à Madrid. “C’était d’une harmonie parfaite du début à la fin. Nous avions une compréhension mutuelle totale. Il n’y a eu qu’un seul problème lorsque j’ai désiré inviter les artistes. Panza n’a pas voulu car, souvent, les minimalistes n’étaient pas satisfaits du résultat de leurs œuvres. Donald Judd et Dan Flavin étaient les plus virulents. Je trouve qu’ils ont été très injustes vis-à-vis d’un homme qui a été l’un des premiers à les défendre”, déclare Carmen Giménez, ancienne directrice de la Reina Sofia et conservateur depuis douze ans au Musée Guggenheim. Giuseppe Panza, qui était alors en possession de 2 500 œuvres, négocie plusieurs ventes et donations à trois musées étrangers, le MoCA de Los Angeles, le Guggenheim à New York et le Musée cantonal de Lugano. Les pièces qu’il avait acquises pour des sommes dérisoires (entre 1 000 et 4 000 dollars pour un Bruce Nauman, 300 dollars pour un Robert Ryman, 1 000 dollars pour un Brice Marden...) seront cédées pour des montants nettement supérieurs.
Un don de 150 œuvres au Guggenheim de New York
Alors que de nombreux collectionneurs éludent les aspects financiers, Panza se montre étonnamment prolixe. “J’ai vendu 80 œuvres d’artistes expressionnistes abstraits et pop au MoCA en 1983 dans des conditions spéciales. C’était une très mauvaise affaire. L’offre de 11 millions de dollars était très basse, mais je voulais garder intacte cette partie de la collection. J’avais donné la possibilité à la Région du Piémont de l’acheter pour seulement 7 millions de dollars, mais elle n’a pas trouvé les fonds nécessaires. Quatre ans plus tard, j’ai donné 70 œuvres d’artistes californiens au MoCA. En 1990, j’ai vendu au Guggenheim 200 pièces pour 30 millions de dollars, avec une réduction de 50 % par rapport à l’estimation que m’avait faite Sotheby’s. Elles ont maintenant une valeur de 100 millions de dollars mais je devais vendre à l’époque pour pouvoir continuer à collectionner”, confie l’homme d’affaires. Le musée new-yorkais a dû se dessaisir de trois œuvres de Modigliani, Chagall et Kandinsky afin de trouver les fonds nécessaires à la transaction. Le Guggenheim bénéficiera par la suite d’une donation de 150 pièces suivie d’un prêt de 350 œuvres. Le cycle des dispersions se poursuivra avec deux legs en 1994 et en 1995 de 200 œuvres des années 1980 et 1990 au Musée cantonal de Lugano.
D’atermoiements en rebuffades, les autorités italiennes ont longtemps boudé les propositions du collectionneur qui avait dédaigné les artistes transalpins. Au terme de décennies de mésentente, Giuseppe Panza se réconcilie avec son pays par la cession, en 1996, de sa villa de Varèse à la FAI (Fondo per l’Ambiente Italiano), fondation privée chargée de gérer, restaurer et d’ouvrir au public les demeures historiques. Inaugurée en septembre 2000, la villa-musée fascine par les treize pièces consacrées aux environnements lumineux de Dan Flavin, Robert Irwin et James Turrell.
Giuseppe Panza, qui partage son temps entre Varèse et Milan, est aujourd’hui préoccupé par la visibilité du reste de sa collection. Plusieurs dépôts ont ainsi été négociés à Gubbio, Trente et, à partir du 15 septembre, au palais ducal de Sassuolo, près de Modène. Malgré ces initiatives, 800 œuvres des années 1980 et 1990 sommeillent dans les caisses, en attente d’exposition.
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Une quête quasi religieuse
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°131 du 31 août 2001, avec le titre suivant : Une quête quasi religieuse