Droit

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Une œuvre créée illégalement peut être protégée par le droit d’auteur

Par Pierre Noual, avocat à la cour · Le Journal des Arts

Le 13 novembre 2024 - 1055 mots

Entre la revendication de droit d’auteur et le respect du droit de propriété, le juge rappelle que l’illicéité de la création de l’art urbain ne fait pas obstacle à sa protection en cas de régularisation.

Lille (Nord). Les créations issues de l’art urbain – street art– ont souvent mauvaise presse auprès des juristes. Il est vrai que cet art transgressif repose à l’origine sur un acte illicite : la réalisation d’une œuvre sans l’autorisation du propriétaire du support matériel. Ceci explique pourquoi l’art urbain est pénalement sanctionné par l’article 322-1 du Code pénal qui réprime « la destruction, la dégradation ou la détérioration d’un bien appartenant à autrui » tout autant que « le fait de tracer des inscriptions, des signes ou des dessins, sans autorisation préalable, sur les façades, les véhicules, les voies publiques ou le mobilier urbain ». Certains artistes tentent donc d’opposer leur droit d’auteur à cette sanction pénale. Or l’existence de droit d’auteur dépend-elle de la licéité de la création ? Telle est la question soulevée par un récent jugement du tribunal judiciaire de Lille du 6 septembre 2024.

Au cours de l’année 2014, un artiste a apposé, sans aucune autorisation des autorités publiques, des milliers de fragments de miroirs sur un blockhaus de la plage de Leffrinckoucke (Nord) – éléments qui ont été retirés en 2021. Son intention ? Donner une résonance poétique et nouvelle à ce vestige militaire érigé par l’Allemagne nazie entre 1942 et 1945 pour se protéger des attaques des Alliés. Alors que le site est rapidement devenu un lieu de visite incontournable, l’artiste a reproché à plusieurs collectivités territoriales d’avoir exploité à des fins commerciales son œuvre en la reproduisant sur des supports de communication. En l’absence de résolution amiable, l’artiste a assigné ces collectivités pour contrefaçon.

Par principe, toute création est protégée par le droit d’auteur à la condition qu’elle soit une « œuvre de l’esprit », à savoir une œuvre originale ayant pris forme au sens de l’article L.111-1 du Code de la propriété intellectuelle. Sans grande surprise, le juge lillois a reconnu qu’il était « indéniable que le choix du matériau, le parti pris d’en recouvrir un blockhaus, ouvrage militaire défensif de béton, posé sur une plage, exposé à la lumière, reflétant les nuances du ciel et de la mer, sans aucune autre utilité qu’esthétique, sont arbitraires et révèlent la personnalité de son auteur, ce qui caractérise l’originalité de l’œuvre ». La mosaïque de miroirs – art urbain – était donc protégée au titre du droit d’auteur, comme l’avait déjà reconnu le tribunal de grande instance de Paris le 14 novembre 2007 à propos des créatures pixélisées d’Invader.

Afin de mettre en échec cette protection, les collectivités ont répliqué en invoquant l’illicéité de la création. Il est vrai que le Code de la propriété intellectuelle protège, sans distinction de genre ou de mérite, toute œuvre de l’esprit, mais une partie de la doctrine et de la jurisprudence refusent la protection à des œuvres immorales ou illicites pour des motifs « internes » (contenu de l’œuvre elle-même) et non pour des motifs « externes » (condition de réalisation de l’œuvre). Or en matière d’art urbain cette licéité externe n’est pas sans soulever des difficultés d’équilibriste entre le droit des artistes et celui des propriétaires des bâtiments. La Cour de cassation a d’ailleurs tranché en faveur de ces derniers en confirmant le 11 juillet 2017 la condamnation d’Azyle pour avoir tagué des rames de métro sans accord de la RATP, ou bien le 20 juin 2018 la condamnation de Lamith et Monsieur-S pour ne pas avoir sollicité l’autorisation du propriétaire de l’établissement Les Valseuses avant d’apposer de nouveaux éléments graphiques sur les panneaux de bois.

Aussi, après avoir rappelé que « les dispositions du Code de la propriété intellectuelle ne conditionnent pas la protection au titre des droits d’auteur à la licéité de l’œuvre, et particulièrement à l’autorisation du propriétaire du support », le juge a écarté le caractère de la licéité en raison des faits de l’espèce. En effet, si l’installation des miroirs sur un blockhaus appartenant à l’État s’est faite sans autorisation préalable, le sous-préfet a autorisé l’artiste à parachever et sécuriser son installation (notamment par la pose d’une résine) et lui a demandé de régulariser la situation auprès du maire de Leffrinckoucke, ce que l’artiste a fait par le dépôt d’un dossier de déclaration (régularisé par la commune sous réserve du respect de diverses prescriptions de sécurisation). Dans ce contexte, le moyen soulevé par les défendeurs, moyen tiré de l’illicéité de l’œuvre, ne pouvait qu’être écarté par le juge et les actes de contrefaçon reconnus. Les collectivités ont donc été condamnées à indemniser l’artiste à hauteur de 26 500 euros ! La solution n’est pas définitive puisqu’un appel a été formé pour contester l’appréciation des dommages et intérêts posée par l’article L.331-1-3 du Code de la propriété intellectuelle.

Un droit d’auteur qui s’impose par effet du temps

Ce jugement est loin d’affirmer que la création illicite est automatiquement protégée par le droit d’auteur comme certains commentateurs le laissent croire. Le juge indique simplement que l’illicéité résultant de l’absence d’autorisation du propriétaire du support de l’œuvre n’est pas exclusive de toute protection et que les artistes ont tout intérêt à régulariser la situation, notamment auprès des propriétaires publics ou privés. Il se déduirait de ce jugement que le propriétaire d’un édifice pourrait détruire l’œuvre urbaine pour remettre son bien en l’état, mais s’il choisit de ne pas détruire l’œuvre, le droit d’auteur pourrait s’imposer à lui par l’effet du temps et de son inaction. À tout le moins, le propriétaire devrait laisser la possibilité aux artistes de retirer leurs œuvres pour ne pas porter atteinte à leur droit moral, comme l’a déjà admis le tribunal de grande instance de Paris le 13 octobre 2000.

Pratique illégale de prime abord, le résultat créatif de l’art urbain peut être protégé par le droit d’auteur même si l’état actuel du droit ne permet pas de s’en prévaloir fermement. Face à ce conflit latent entre deux droits fondamentaux – droit de propriété et droit d’auteur –, le juge européen ne semble pas avoir encore eu l’occasion de se prononcer, au nom du contrôle de proportionnalité, pour savoir lequel doit réellement primer sur l’autre. Une position qui serait intéressante pour clarifier le débat au regard des principes de liberté de création et d’expression. L’art urbain n’a certainement pas dit son dernier mot.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°643 du 15 novembre 2024, avec le titre suivant : Une œuvre créée illégalement peut être protégée par le droit d’auteur

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