Restitutions

Un Sisley spolié objet d’un litige avec Christie’s

Par Philippe Sprang · lejournaldesarts.fr

Le 29 mai 2018 - 738 mots

BALE / SUISSE

Le galériste Alain Dreyfus réclame le remboursement d’un Sisley acquis en 2008 qui s’avère avoir été volé par les nazis.

Alfred Sisley, Premier jour de printemps à Moret, 1889
Alfred Sisley, Premier jour de printemps à Moret, 1889, huile sur toile, 46,2 x 56 cm

C’est peu dire qu’Alain Dreyfus, propriétaire de la galerie éponyme à Bâle est en colère. Il fulmine. Dans son collimateur, la maison de ventes Christie’s qui lui a vendu un Sisley qui s’est révélé avoir été dérobé à Paris par les nazis en 1940. Il demande à être remboursé soit environ 700 000 euros intérêts compris. « C’est normal, si un acheteur ne paie pas en temps et en heure, Christie’s lui demande 16 %, moi je demande que la moitié, 8 % » a-t-il expliqué non sans humour aux Dernières Nouvelles d’Alsace qui a révélé l’histoire le 25 mai dernier.  Sûr de son bon droit, il vient de leur adresser la facture et attend le règlement. 

Ce 6 novembre 2008,  pourtant  tout le monde est – encore – content.  Christie’s New York  dont « L’impressionist/Modern Evening Sale »  totalise plusieurs millions de dollars et Alain Dreyfus qui repart  avec un Renoir, un Boudin et le  Sisley, Premier jour de printemps à Moret peint en 1889.  Ce lot 200 estimé entre 300 et 400 000  dollars, il l’enlève pour 338 500 dollars. « Un bon prix »  pour le Sisley estime-t-il  sans imaginer la somme de tracas qui l’attend. 

La provenance proposée par le catalogue renvoie d’abord  à « Camentron », un expert  et collectionneur des Impressionnistes, puis à la Galerie Durand-Ruel et Cie qui l’avait acquis en 1892 avant de le céder 30 ans plus tard à un autre expert, Yves Perdoux. Rares sont ceux qui se souviennent que Perdoux s’est  compromis plus tard avec l’Occupant en balançant notamment le coffre d’une banque dans le bordelais où Paul Rosenberg avait dissimulé une partie de sa collection.  Mais là,  nous sommes en 1923. Vient ensuite la maison Wildenstein et Cie qui elle s’en sépare en 1972 enfin… « circa 1972 » indique le catalogue au profit de l’acheteur qui l’a mis en vente.  Quand la maison Wildenstein l’a-t-elle acheté ? Voilà un gouffre de près de 50 ans qui couvre une période particulière et charnière en France : l’Occupation

Contacté en 2009 par Alain Dreyfus, le Comité Sisley ne mentionne même pas Wildenstein, arrête la provenance à 1923 et indique une exposition dans une galerie à Dusseldorf entre 1973 et 1974. 

Le deuxième acte se joue il y a deux ans lorsque la société Mondex  le contacte pour lui annoncer que l’œuvre provient d’un vol perpétré par les nazis.  La société canadienne effectue des recherches pour le compte des spoliés et œuvre dans ce cas précis pour les héritiers américains d’Alfred Lindon. Elle joint à l’appui des documents, le doute n’est pas permis. 

La collection placée dans les coffres de la Chase Manhattan, au 41 rue Cambon à Paris,  a été saisie en novembre 1940 par le Devisenschutzkomando qui livra ensuite les œuvres à l’ERR, l’Etat Major Rosenberg, chargé du pillage des collections juives pendant l’Occupation.

Comme l’explique Le Monde dans son édition du 28 mai, ce tableau comme d’autres tableaux saisis et considérés comme « dégénérés » ont servi de monnaie d’échange pour Goering, en l’espèce 18 toiles, dont des Renoir, Boudin ou Braque contre un Portrait de Lavinia attribué au Titien. C’est Gustav Rochlitz, un marchand  de la rue de Rivoli célèbre pour sa collaboration avec le Reichsmarschall  qui s’occupe du troc le 9 juillet 1941. 

Et c’est une révélation du Journal des Arts, le tableau est vendu pour 100 000 francs à Isidor Rosner, un autre marchand marron de l’époque. C’est  Gustav Rochlitz lui-même qui l’explique aux officier des services secrets américains qui l’interroge alors qu’il est détenu en Autriche entre le 15 juillet et le 1 août 1945. 

Le tribunal de la Seine va condamner Isidor Rosner par contumace à cinq ans de travaux forcés alors que Rochtliz purgera trois ans de détention. Voilà pour l’Histoire. 
« Bien évidemment, je veux rendre le tableau à condition que Christie’s me rembourse »  explique aujourd’hui  Alain Dreyfus.

Contactée, la maison de vente explique en substance avoir effectué toutes les recherches nécessaires eu égard aux informations disponibles à l’époque, catalogue raisonné, banque de données… Et renvoie à un règlement entre les héritiers et le propriétaire actuel. Ce qui ne manque pas de sel, c’est qu’en 2006, Christie’s New York avait mis en vente un autre  tableau manquant d’Alfred Lindon, en l’occurrence un Vuillard retrouvé dans un musée canadien. 

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