Restitutions

Un morceau d’histoire

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 4 octobre 2007 - 938 mots

Les restitutions récentes ont dopé le marché international de l’art moderne. D’aucuns leur attribuent la flambée des records pour les artistes allemands et autrichiens.

Touchy (sensible). C’est ainsi que la plupart des spécialistes anglo-saxons qualifient le sujet de la restitution. Sensible, car ce domaine charrie les pages noires de l’histoire et son trio infernal d’émotion, d’art et… de gros sous. Qui dit restitution, implique souvent une revente immédiate. « Lorsqu’une œuvre est restituée à douze héritiers, ils n’ont souvent pas d’autres choix que de vendre, souligne Thomas Seydoux, spécialiste de Christie’s. Parfois aussi, il s’agit de payer les frais d’avocat et d’enquête qui sont extrêmement lourds. » De là à parler d’un label « restitution », il n’est qu’un pas que les spécialistes franchissent aisément. « Lorsque voilà quelques années, je voulais mettre la provenance des œuvres spoliées dans un catalogue de vente, on me disait “non, cela va dégoûter les acheteurs si on leur indique que Göring ou Hitler ont regardé ces œuvres”, rappelle Lucian Simmons, spécialiste de Sotheby’s. Maintenant, on considère qu’il y a un cachet à posséder une œuvre restituée. » Plus qu’un cachet, la mention de la restitution indique aussi que la boucle est bouclée et que l’œuvre en question ne pourra pas faire l’objet de réclamations.

Art allemand et autrichien dopé
Les restitutions, opérées parfois au forceps, ont du coup fait les choux gras du marché de l’art moderne, dopant tout particulièrement l’art allemand et autrichien. Après le record de 22,4 millions de dollars établi par un paysage d’Egon Schiele chez Sotheby’s en 2003, un autre paysage de tournesols rendu aux descendants de Karl Grünwald, a été adjugé pour 11,7 millions de livres sterling (17,2 millions d’euros) sous le marteau de Christie’s. De même, le record de 38,09 millions de dollars pour Ernst Ludwig Kirchner revient à une scène de rue berlinoise restituée par le Brücke Museum de Berlin et achetée par le milliardaire Ronald Lauder. Peut-on attribuer les prix importants enregistrés depuis par l’art allemand à l’effet « booster » de ces restitutions ? « Je pense que Lyonel Feininger n’aurait pas réalisé un prix aussi important que le record de 23,2 millions de dollars si on n’avait pas réalisé à quel point l’art allemand est important, grâce notamment aux œuvres restituées venues sur le marché », affirme Thomas Seydoux.
Les œuvres récemment restituées bénéficient d’une aura particulière liée à la bataille médiatique opposant les héritiers des collectionneurs spoliés et les derniers dépositaires des œuvres. Le bras de fer entre Maria Altmann et l’État autrichien a pesé dans le succès de la vente de quatre tableaux de Klimt totalisant 192,6 millions de dollars l’an dernier chez Christie’s. « Les gens préfèrent les œuvres récemment restituées car il y a une histoire fraîche autour de leur provenance », confirme Lucian Simmons. Aussi l’effet « restitution » n’a-t-il pas eu d’incidence sur le tableau de Monet, Camille à l’ombrelle verte, vendu pour 4,1 millions de livres sterling chez Sotheby’s à Londres en juin dernier. Acheté par Alfred Lindon, ce tableau avait été saisi en 1940, transféré dans la collection du général Hermann Göring en 1942, avant d’être restitué en 1946. Non seulement, il ne s’agissait pas d’un retour récent, mais qui plus est, ce tableau avait transité par d’autres mains, certaines prestigieuses, comme les Rockefeller ou les Wildenstein, ce qui en atténuait la rareté. « On a passé deux générations, et il y a une grande distance de la guerre, précise Andrew Strauss, spécialiste de Sotheby’s. Dans un tel cas, les gens lisent la dernière ligne d’un catalogue et pas l’ensemble de la provenance. »

Pedigree de prestige
Le pedigree du dernier détenteur de l’œuvre en question entre donc en jeu. Le prestige du Musée national d’art moderne, dépositaire de La femme en rouge et vert (1914) de Fernand Léger, rendue en 2003 aux héritiers de Paul Rosenberg, n’est pas étranger à l’adjudication de 22,4 millions de dollars enregistrée la même année par cette toile chez Christie’s. En revanche, le tableau des Nymphéas de Monet, restitué en 1999 par le Musée des beaux-arts de Caen à la famille Rosenberg et négocié par la suite à l’amiable, n’a pas bénéficié d’une valeur ajoutée du musée.
Sotheby’s estime qu’il existerait encore plus de 100 000 œuvres non réclamées. Un potentiel estimé entre 10 et 15 millions de dollars. De quoi alimenter encore longtemps le marché.

Deux Klimt à prix fort

Cette seconde version du Portrait d’Adèle Bloch Bauer II (ill. ci-contre) vendue pour le prix record de 87,9 millions de dollars chez Christie’s à New York l’an dernier, a bénéficié d’un double effet restitution. Primo, il s’agissait d’une toile rendue en mars 2006 par l’Autriche à l’héritière de Ferdinand Bloch-Bauer, Maria Altmann, au terme d’une longue bataille juridique. Secundo, le prix a été conditionné par la révélation quelques mois plus tôt de la transaction privée de la première version du portrait, acquise par le milliardaire américain Ronald Lauder pour un montant de 135 millions de dollars. D’après les spécialistes de Christie’s, c’est avec Adèle Bloch-Bauer que Klimt initia sa série de portraits féminins accolés à un fond décoratif de style japonisant. Dans la première version, Adèle Bloch-Bauer avait quelque chose de presque irréelle, à mi-chemin entre l’Impératrice Theodora et la femme fatale, dimension renforcée par le fond doré byzantin proche du célèbre Baiser de l’artiste. Dans la seconde mouture sur fond fleuri, cette femme du monde semble beaucoup plus charnelle, indépendante et confiante. Conforté par l’achat de Lauder et son accrochage depuis à la Neue Galerie de New York, l’adjudicataire anonyme de cette deuxième version a sans doute voulu, lui aussi, une icône de Klimt. Le pouvoir mural de cette toile a dû peser lourd, puisqu’un paysage, autrement plus singulier et intéressant de l’artiste, s’est vendu pour moitié moins cher dans la même vente.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°264 du 7 septembre 2007, avec le titre suivant : Un morceau d’histoire

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