« La mode est une expérience par essence destructrice. Les objets ne sont pas déclassés en raison de leur dégradation matérielle, ils le sont en raison de la désaffection organisée dont ils font l’objet… La versatilité des goûts n’est pas seulement tolérée, elle est recommandée, vivement encouragée », écrit Olivier Assouly dans le Capitalisme esthétique (éd. du Cerf, 2008).
Au cours de ces cinq dernières années, le monde de l’art a vécu selon ce régime de consommation effrénée et de tension émotionnelle constante, un clou chassant l’autre. La crise est venue freiner cette tendance. En mai, la maison de ventes Phillips de Pury & Company, connue pour conforter l’appétit spéculatif pour les artistes émergents, a mis la pédale douce sur cette stratégie. Même si l’auctioneer a inséré dans ses ventes quelques trentenaires comme Aaron Young ou Anselm Reyle, les quadras hyperproductifs tel Damien Hirst n’étaient pas de la partie. Au point que l’hebdomadaire New York Magazine s’interroge : « Le nouveau mot d’ordre serait-il “ne faites confiance à personne de moins de cinquante ans” ? » Même le spécialiste de Sotheby’s Tobias Meyer, qui avait eu le culot de prétendre un jour que le « marché a toujours raison car le marché est intelligent », oublie ses inepties. Celui-ci confiait au New York Magazine : « Il n’est pas anodin que nous nous soyons concentrés sur des artistes avec des carrières longues. Nous nous sommes demandés quels sont les artistes qui n’ont pas été trop hype, qui n’ont pas eu de records en ventes publiques. » Une question que se posent en boucle tous les acteurs du marché.
Cherche créateurs intrigants et dérangeants
Côté galeries, on revient sur des artistes occultés par la vague « jeuniste ». Le Berlinois Max Hetzler représente désormais Jesús-Rafael Soto. D’autres vont chercher à la marge des créateurs intrigants. La galeriste berlinoise Esther Schipper déployait en janvier les œuvres outrancières de Dorothy Iannone, ancienne compagne de Dieter Roth née en 1932. En mai, sa consœur Isabella Bortolozzi exposait le travail dérangeant, proche de l’art brut, de Carol Rama, une artiste jugée scandaleuse dans les années 1950. La foire Art Basel regarde aussi dans le rétroviseur en remettant en selle des artistes comme Peter Roehr.
Il ne faudrait toutefois pas que le travail d’exhumation se mue en gimmick, que l’on ressorte des placards tout et n’importe quoi comme ce fut le cas en mars à l’Armory Show, à New York. Les deuxième et troisième éditions de l’opération « Hidden Treasures » sur la foire Art Cologne ont montré les limites de l’exercice. Car tout ce qui a été oublié ne l’a pas été à mauvais escient ! Par ailleurs, la prudence extrême dont font preuve professionnels et collectionneurs ne doit pas virer à la paralysie. En 1951, l’hebdomadaire américain Time Magazine brocardait la « génération silencieuse », née après le traumatisme de la Grande Dépression. Selon l’article en question, peu d’entre eux « escaladeraient l’Everest, trouveraient un remède contre le cancer, navigueraient autour du monde ou construiraient un empire industriel ». À être trop précautionneux, on ne construit pas non plus de collection prospective…
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Travail d’exhumation
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°304 du 29 mai 2009, avec le titre suivant : Travail d’exhumation