« Notre chiffre d’affaires local est de 5 % ».
Il existe aujourd’hui de moins en moins de galeries en région. Lorsque vous avez ouvert en 2003 à Bordeaux, ne craigniez-vous pas l’isolement de la province ?
Non. Certes, la région Aquitaine a un tout petit budget pour la culture et il n’y a pas de résidences d’artistes dans le département [de la Gironde]. Les gens ne se fixent pas à Bordeaux. Mais si on déménageait, cela conforterait cette image jacobine. Je suis convaincu qu’on peut incuber en périphérie et ainsi densifier un centre. Une capitale fonctionne de manière centripète. Par ailleurs, du fait d’une sous-visibilité, si une exposition se révèle moyenne, ce n’est pas grave. On peut essayer des recettes et sortir parfois des gâteaux qui n’ont pas de goût. Nous avons le temps de regarder les choses, de travailler sur un territoire qu’on connaît parfaitement. On dispose de 1 000 m2 pour un loyer très faible. Cet outil nous permet d’avoir sous le même toit les quatre parties vitales d’une galerie : l’espace d’exposition, le bureau, le showroom et le stock. La province est un cocon. Mais les choses se sont globalisées avec un niveau très élevé de circulation. Je croise beaucoup de Bordelais hors de Bordeaux qui éventuellement m’achètent ailleurs.
Vous avez initié votre galerie d’abord comme une structure associative. N’est-ce pas le travers des jeunes enseignes de prendre pour modèle le centre d’art plutôt que l’entreprise ?
J’avais un a priori négatif sur le métier de galeriste, une vision plus art que marché de l’art. Mais j’aime l’économie. Le seul moyen d’être libre, c’est de renoncer au confort institutionnel. L’idée n’était pas de faire une galerie, mais un label, car les modèles économiques qui me séduisaient le plus étaient liés à la musique. Fin 2003, j’ai créé une association dans laquelle se trouvaient réunis une personne chargée de l’expertise financière et un chef d’entreprise. Je voulais donner un encadrement économique à ce projet. Je ne souhaitais surtout pas que cette structure porte mon nom, mais qu’il y ait une dimension collective, que les gens s’en sentent en partie propriétaires. En 2006, Cortex Athletico est devenue une EURL, qui a été recapitalisée en 2007.
Avez-vous des partenariats avec le CAPC ou le Fonds régional d’art contemporain (FRAC) Aquitaine ?
Nous nous entendons très bien avec Charlotte Laubard du CAPC et Claire Jacquet du FRAC. Nous avons mutualisé nos fichiers. Nous avons aussi convaincu certains de nos clients de faire des dépôts au CAPC. Nous avons enfin obtenu de la mairie qu’elle garde comme « pépinière » l’ancien lieu que nous lui louions. La galerie ACDC qui était à Brest s’y est depuis installée. Aucun de nous n’a le désir de partir. Le salut ne passe pas nécessairement par Paris. On a quelque chose à développer avec notre singularité, notre coquetterie. On a besoin que Bordeaux devienne un centre, que deux ou trois autres galeries s’y établissent. Nous venons de publier un livre sur l’économie créative, où tout le propos est de densifier le territoire pour qu’à terme, on ait un marché. Notre chiffre d’affaires local est de 5 % alors qu’il y a d’énormes collectionneurs à Bordeaux.
Avez-vous développé des partenariats avec les entreprises locales ?
Les sociétés bordelaises, surtout celles spécialisées dans le vin, ont une marge de rentabilité colossale. De fait, nous sommes en train de monter un club de douze entreprises dont le nom de code est le Cercle Gabriel Frizeau, du nom d’un viticulteur du Médoc qui avait soutenu en son temps Odilon Redon et entretenu une large correspondance avec Paul Claudel. L’idée est que chaque entreprise s’engage à acheter les œuvres d’un artiste à hauteur de 50 000 euros par an, moyennant un engagement sur deux à trois ans.
Vous montrez actuellement les œuvres d’un Canadien octogénaire peu connu en France, Pierre Clerk. Vous produisez l’œuvre de Rolf Julius pour la Biennale de l’Estuaire à Nantes en juin. Pourquoi une jeune galerie s’adonne-t-elle à de tels revivals ?
On a besoin d’activer ou de réactiver une réflexion historique. On veut engager le récolement des œuvres de Pierre Clerk et partir sur l’idée d’un catalogue raisonné. Dans notre famille de peintres, nous avions le père, Franck Eon, et le fils, Damien Mazières. Il nous manquait le grand-père. Mais, de même qu’il y a eu un jeunisme à tous crins, je ne veux pas de « vieillisme » effréné. Ce que je vends, c’est mon désir.
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Thomas Bernard, galerie Cortex Athletico créée en 2003 à Bordeaux
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°298 du 6 mars 2009, avec le titre suivant : Thomas Bernard, galerie Cortex Athletico créée en 2003 à Bordeaux