Quarante ans après leur réalisation, des clichés à nouveau publiés dans plusieurs ouvrages étaient contestés par le modèle d’alors. Le tribunal a débouté la plaignante.
En art, la fuite du temps n’altère nullement la représentation passée du corps ; elle ne semble pas altérer non plus les revendications plus osées que les représentations en jeu. Près de quarante ans après avoir posé pour Helmut Newton, Roselyne a décidé d’agir en justice contre les éditeurs Taschen et Schirmer/Mosel en raison de la publication de clichés la représentant, selon les codes du photographe d’origine allemande, dans plusieurs ouvrages. Préjudices moral et économique confondus, la requérante réclamait 2,4 millions d’euros de dommages-intérêts. Le tribunal de grande instance de Paris l’a pourtant déboutée, le 13 janvier 2016, de l’ensemble de ses demandes.
Au-delà de la portée des deux attestations signées à l’époque et de la prescription des actions, le tribunal devait trancher le conflit normatif opposant le droit à l’image à la liberté de création artistique. Le premier, consacré par l’article 9 du Code civil et par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, permet de s’opposer à la diffusion de son image réalisée sans autorisation, sous la réserve que la personne qui s’en prévaut soit identifiable. Le second prend appui sur la liberté d’expression qui « comprend la liberté de création qui en est une des formes la plus aboutie », résume élégamment le tribunal. À cet égard, ce dernier rappelle qu’une telle « liberté de création artistique, tant par sa nature et son apport que par les droits moraux et patrimoniaux qui y sont attachés, peut conduire à une interprétation plus stricte de l’étendue des droits protégés par l’article 9 du code civil, au regard, notamment, de l’accord donné par la personne qui se plaint de l’atteinte à ces droits et de l’absence de caractère indigne, dégradant voire dénigrant de l’œuvre en cause ». La résolution de ce conflit normatif impose donc d’analyser l’œuvre ou les œuvres, qui représentent toute personne se plaignant d’une telle atteinte afin d’en apprécier la portée.
Une identification complexe
Cette analyse n’a été que fort succincte ici, car la condition de la nécessaire identification de la personne représentée faisait défaut pour l’ensemble des clichés pris en 1975 dans le château d’Arcangues. Ainsi, pour trois des clichés qui représentent la demanderesse, celle-ci avait été photographiée de dos sans laisser apparaître la moindre partie de son visage. Deux autres clichés, pris de loin en surplomb, la représentent dans un salon, l’un alors qu’elle est debout devant la cheminée, et l’autre, allongée sur le canapé ; tandis qu’un autre la représente, de face, tenant une porte grillagée dont le montant supérieur, constitué d’une épaisse barre de métal, masque une partie de son visage. Ainsi, selon le tribunal « aucun de ces clichés, pris il y a 40 ans, dont seuls certains représentent le visage de Roselyne, mais de façon très indistincte ou partiellement masqué, ne permet son identification ». Et, « la légende de ces clichés : « Roselyne - château d’Arcangues 1975 » ne permet pas, non plus, l’identification de la demanderesse par la simple indication de son prénom, lequel (…) était très fréquent pour les femmes de sa génération ». Le style d’Helmut Newton, préférant dévoiler plutôt qu’exposer crûment le corps et le visage, aura ainsi permis plus de dix ans après le décès du photographe de s’assurer de la pérennité de la diffusion de son œuvre.
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Roselyne contre Helmut Newton
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Abonnez-vous dès 1 €Helmut Newton Museum © Photo Tim from Ithaca - 2008 - Licence CC BY-SA 2.0
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°450 du 5 février 2016, avec le titre suivant : Roselyne contre Helmut Newton