L’art moderne et contemporain indien fait des étincelles depuis deux ans. À l’ardeur des collectionneurs de la diaspora indienne, succède celle des Occidentaux en mal d’exotisme.
Partagée entre une tradition spirituelle ancestrale et un exotisme kitsch version Bollywood, l’Inde nourrit clichés et fantasmes. Au point qu’on oublie que ce pays, riche d’un nombre croissant de millionnaires tel Lakshmi Mittal, nouveau P.-D.G. d’Arcelor, avance depuis longtemps sur le chemin de la modernité.
Une modernité perceptible aussi dans sa scène artistique. « À notre époque mondialisée, l’art occidental n’est plus tout à fait l’édifice intimidant qu’il a pu être autrefois, et il n’a pas non plus le monopole de la nouveauté, écrivait Deepak Ananth dans le catalogue de l’exposition “Indian Summer” à l’École nationale supérieure des beaux-arts en 2005. Les artistes indiens qui nous occupent ici ont tiré autant d’enseignements des œuvres de leurs pairs dans d’autres régions d’Asie que de celles de leurs collègues euro-américains. »
L’embardée des prix des Progressive Artists
L’intérêt pour l’art indien épouse le boom de l’économie indienne. Le coup d’envoi sur le marché a été donné en 1995 par Christie’s et Sotheby’s. Jusqu’à l’an dernier, les catalogues de ventes se cantonnaient au groupe des Progressive Artists, fondé en 1948. Fortement influencés par l’abstraction européenne, les tenants de ce mouvement, comme Tyeb Mehta ou Maqbool Fida Husain, observent d’incroyables embardées de prix.
En septembre 2005, une toile de Tyeb Mehta baptisée Mahisasura s’est adjugée pour 1,5 million de dollars, plus du double de son estimation, chez Christie’s à New York. En septembre dernier, c’est une autre toile de facture très similaire qui a décroché 1,2 million de dollars cette fois chez Sotheby’s. De telles œuvres n’auraient guère obtenu plus de 20 000 dollars voilà encore dix ans !
Les ventes très honorables des artistes du xxe siècle
À l’exception du collectionneur japonais Masanori Fukuoka, les amateurs indiens, notamment ceux de la diaspora, sont les plus actifs sur ce marché. Les Européens s’attachent surtout aux créateurs qui ont séjourné chez eux. Les Anglais apprécient ainsi Francis Newton Souza (né en 1924), tandis que les Français affichent une prédilection pour Sayed Haider Raza (né en 1922).
Les prix de Francis Newton Souza talonnent ceux des premiers de cordée. Une de ses œuvres des années 1950 a décroché 1,2 million de dollars en septembre dernier chez Christie’s. Pour être davantage associé à la seconde école de Paris, Sayed Haider Raza ne prétend pas encore à de tels sommets. En mars dernier chez Christie’s, une toile de 1975 s’est toutefois propulsée au prix record de 744 000 euros. Un prix plus qu’honorable comparé à des figures plus établies de l’abstraction française d’après-guerre comme Atlan ! Plus modestement, les prix des œuvres vendues en octobre dernier chez Artcurial se sont échelonnés de 23 000 à 333 000 euros.
Les contemporains emboîtent le pas aux modernes
L’envolée des prix des œuvres modernes profite aux artistes contemporains. Certains émergent déjà sur le marché international, à l’image de Subodh Gupta (né en 1964), à l’affiche de la Biennale de Venise en 2005. L’artiste dépeint la vie quotidienne indienne en transformant les objets domestiques en œuvres d’art.
Au-delà d’une filiation avec les ready-mades de Marcel Duchamp, Subodh Gupta joue surtout sur la symbolique des objets dans des contextes ruraux et urbains. La galerie In Situ a vendu en 2005 à la fondation mexicaine Jumex une installation baptisée Sister (40 000 euros). Cette œuvre se composait d’une table, sur laquelle une vidéo projetait des images de banquets lors d’un mariage. De son côté, le collectionneur François Pinault a jeté son dévolu sur l’énorme crâne composé d’ustensiles de cuisine, installé en octobre dernier à l’église Saint-Bernard dans le cadre de la Nuit blanche.
Pétris de références à l’histoire de l’art et à l’art populaire, les tableaux d’Atul Dodiya jouent sur plusieurs niveaux de lecture. En mai dernier, une œuvre s’est adjugée pour 170 100 dollars chez Christie’s. Un bond spectaculaire pour un artiste, dont la première œuvre introduite sur le marché en 2002 s’était contentée de 3 370 dollars !
Sayed Haider Raza Membre fondateur du Progressive Artists Group, il s’est installé en France à partir de 1950. Son abstraction emprunte aussi bien à ses origines indiennes qu’à l’influence de la seconde école de Paris. Tyeb Mehta Proche des Progressive Artists, Mehta s’était installé à Londres de 1959 à 1964 avant de retourner en Inde. Jouant sur des aplats de couleur, son travail se caractérise par une figuration stylisée. Subodh Gupta Son œuvre traite à la fois de la culture locale et du phénomène de la globalisation. Connu pour ses sculptures composées d’ustensiles de cuisine en inox, il a aussi réalisé des performances.
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Quand l’art indien éveille le marché
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°587 du 1 janvier 2007, avec le titre suivant : Quand l’art indien éveille le marché