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PAROLES D’ARTISTE

Pilar Albarracín

« Réconcilier les Espagnols avec leur passé »

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 24 juin 2009 - 756 mots

Des cartes postales par centaines, sur des tourniquets ou encadrées au mur. Toujours des clichés, dont la plupart ont trait à la persistance d’une imagerie folklorique d’inspiration hispanique. À la galerie Georges-Philippe et Nathalie Vallois, à Paris, Pilar Albarracín questionne archétypes et identités.

Il y a dans votre exposition un grand nombre de cartes postales figurant des caractères d’un héritage folklorique ibérique, le flamenco en particulier. En quoi mêler héritage et folklore vous paraît-il important ?
J’ai toujours aimé porter un regard sur mes racines. Je suis née en Andalousie et j’ai toujours considéré tout cela comme des choses importantes. Aujourd’hui, ce sont des images de carte postale et des icônes d’un passé pas si éloigné. J’aime l’idée que les étrangers se font des Espagnols et de leur culture, mais il est aussi intéressant d’analyser toutes les connexions politiques avec la période du franquisme, et de quelle manière il fut alors décidé de « vendre » l’Espagne à l’étranger afin de développer le tourisme. Dans toutes les cartes rassemblées ici, j’ai tenté de retrouver le comportement commun que les gens croient que nous avions par le passé : la relation entre les hommes et les femmes, la passion, les attributs des Espagnols…

Vous mentionnez la relation homme-femme. La culture hispanique est-elle toujours très macho ?
Je crois que la culture hispanique est comme toutes les autres, même si perdure cette idée du macho ibérique, dur avec les femmes, que vous retrouvez en effet dans tous les films des années 1970. Mais vous pouvez identifier cet homme-là partout.

Vous affirmez donc que nous entretenons sciemment beaucoup de clichés ?
En effet, beaucoup de clichés sont entretenus tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de notre pays. Et les clichés peuvent varier, être perçus différemment. Tous mes amis, lorsqu’ils se rendent en Espagne, veulent aller voir du flamenco ou manger une omelette espagnole. Si je viens en France, je cherche à déguster un fromage incroyable… Tous ces clichés, qui touchent chaque pays, sont quelque part utiles à la définition d’une culture car ils permettent de la reconnaître. Pour certaines des cartes postales exposées ici, je voulais initialement travailler avec différents genres de robes traditionnelles. Mais évidemment, à la fin, celle qui apparaît la plus traditionnelle est la robe andalouse. C’est l’icône identifiable par tous.

Ce travail « folklorique » est-il une façon d’entretenir un souvenir ou plutôt une sorte d’illusion ?
J’aime jouer avec les deux. à la fois avec des choses liées à la mémoire historique et avec les signes auxquels les gens accordent une certaine valeur. Car ce que beaucoup pensent être historiquement vrai, notamment sur la foi d’images, ne l’est pas toujours. Il s’agit parfois d’un mensonge transmis de générations en générations qui, par la suite, passe pour une vérité.

Montrez-vous ici, d’une certaine manière, des mensonges ?
Je montre des attitudes et des comportements différents. Je ne sais pas s’ils sont vrais ou non. Si vous vous promenez en France, dans un petit village très touristique où l’on vous montre la gastronomie, par exemple, il s’agit d’un mélange entre illusion et réalité.

L’Espagne a énormément changé depuis les années 1980. Quel est, selon vous, l’intérêt d’entretenir cette image de carte postale qui n’existe plus vraiment ?
Elle n’existe plus mais beaucoup l’exploitent ! L’une des plus grandes entreprises de Franco a été d’exporter le folklore espagnol car c’était stratégique en termes d’image. C’est comme quand vous invitez quelqu’un chez vous. Vous lui montrez la plus belle partie de la maison car, quand ils ont vu le meilleur, les gens ne cherchent pas à en voir plus. Je crois que ceux qui ont commencé à travailler avec ces clichés ont pris une partie de la vraie vie de l’Espagne afin de présenter des choses respectables. Quand j’ai commencé à travailler dans cette voie, l’important pour moi était d’aller vers une réconciliation avec notre passé. Si vous êtes moderne vous ne pouvez pas travailler avec le folklore, vous devez regarder ailleurs. Mais en même temps je veux pouvoir montrer des choses avec un autre point de vue.

Votre ironie est-elle une marque d’insoumission, particulièrement quand vous vous intéressez à la condition des femmes ?
J’utilise toujours l’ironie d’une manière respectueuse. Je crois que quand vous êtes trop sérieux la plupart des gens ne vous écoutent pas. Quand vous maniez l’humour et l’ironie, vos réflexions, souvent, les atteignent plus facilement.

PILAR ALBARRACÁ?N

jusqu’au 19 juillet, Galerie Georges-Philippe et Nathalie Vallois, 36, rue de Seine, 75006 Paris, tél. 01 46 34 61 07, www.galerie-vallois.com, tlj sauf dimanche 10h30-13h / 14h-19h.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°306 du 26 juin 2009, avec le titre suivant : Pilar AlbarracÁ­n

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