Antiquaire - Galerie

MARCHÉ DE L’ART

Paris capitale des arts premiers

Par Marie Potard · Le Journal des Arts

Le 6 septembre 2022 - 913 mots

PARIS

Constitué en France au début du XXe siècle, ce marché y a ensuite perdu de son prestige au profit des États-Unis, pour revenir en force à partir des années 1980. Depuis, Paris a retrouvé le premier rang mondial.

Exposition à la galerie Martin Doustar lors de l'édition 2021 de Parcours des Mondes. © Roar Atelier
Exposition à la galerie Martin Doustar lors de l'édition 2021 de Parcours des Mondes.
© Roar Atelier

Paris. Marchands, experts, maisons de ventes, collectionneurs, tous l’affirment haut et fort : aujourd’hui, Paris est indéniablement la capitale des arts premiers. Cette place, la ville l’avait perdue après la guerre, quand New York lui succède, avec Londres en deuxième position. Mais c’est bien en France qu’est né ce marché, les grands artistes français ayant été les premiers à s’y intéresser. « Vers 1907, cela devient un vrai marché, avec de véritables collectionneurs, comme Derain, Matisse, Vlaminck, Braque et surtout Picasso. Par ailleurs, la France a un passé colonial, de nombreuses colonies (Gabon, Mali…) avec lesquelles elle a conservé de bons rapports », relate l’expert et marchand Bernard Dulon.

Parallèlement sont arrivés les grands marchands : Paul Guillaume, puis Charles Ratton, pour ne citer qu’eux. « Les clients américains venaient alors acheter à Paris, comme le docteur Albert Barnes, un des pionniers, avec une approche beaucoup plus esthétique et moins ethnographique », rappelle Alexis Maggiar, chef du département d’art tribal chez Christie’s Paris. Le basculement du marché vers les États-Unis s’est opéré dans les années 1930, avec la présentation des premières expositions historiques, telle « African Negro Art » en 1935 au MoMA, qui ont suscité outre-Atlantique un grand nombre de vocations de collectionneurs, parmi lesquels John et Dominique de Ménil. Le déplacement du marché s’est amplifié pendant la Seconde Guerre mondiale, de nombreux artistes s’exilant à New York. « La ville a pris le pouvoir et de grands marchands sont nés, tels que John J. Klejman, jusqu’à Merton Simpson [1928-2013]», se souvient Bernard Dulon. En 1957, l’ouverture à New York du Museum of Primitive Art a continué d’attirer les pointures du secteur et le marché est devenu très dynamique, auréolé par la dispersion de la collection Helena Rubinstein en 1966 – qui fut la première vente historique.

Au même moment, des marchands comme René Rasmussen ou Robert Duperrier tentaient de faire vivre le marché parisien, mais Londres a pris le pas sur celui-ci avec de prestigieuses collections dispersées par Sotheby’s (George Ortiz en 1978) et Christie’s (James Hooper en 1979), les deux auctioneers n’étant pas autorisés à vendre en France. « Jusqu’à la fin des années 1970, le marché a été phagocyté par les Américains », résume Bernard Dulon. Mais un commissaire-priseur français va jouer un rôle capital dans la reconquête de ce marché par Paris dans les années 1980-1990 : Guy Loudmer. Celui-ci va organiser des vacations mémorables, comme celles de Tristan Tzara (1988) ou de Gaston de Havenon (1994), « qui vont entraîner le retour des Américains à Paris », atteste Alexis Maggiar. L’ouverture en 2000 du marché français des ventes aux enchères va changer la destinée de la capitale avec l’arrivée de Christie’s et Sotheby’s, qui vont respectivement ouvrir des départements arts premiers en 2002 et 2003.

Saint-Germain-des-Prés

Aujourd’hui, Paris regroupe tous les événements culturels et commerciaux de la spécialité, qui en font la capitale mondiale avec : la tenue de la grande manifestation dans le domaine, le Parcours des mondes ; des musées spécialisés de premier ordre (Musée du quai Branly-Jacques Chirac) ; la présence des grandes maisons internationales et des commissaires-priseurs français (Binoche & Giquello, Ader…) qui orchestrent des ventes exclusivement dévolues aux arts premiers, mais aussi une concentration comme il n’en existe nulle part ailleurs de marchands renommés à Saint-Germain-des-Prés.

Qu’en est-il de la Belgique ? Certes, ce pays a aussi un passé colonial et il a été le premier à lancer une manifestation dans le domaine, Bruneaf (Brussels non European Art Fair). « Mais le Parcours l’a devancé, et de loin, car Pierre Moos [son directeur] a géré l’événement comme une entreprise et non comme une association de marchands, en y mettant autant les moyens financiers qu’intellectuels », observe Bernard Dulon. « Il y a aussi de nombreux marchands importants à Bruxelles, mais il n’y a pas les grandes maisons de ventes internationales. De toute façon, même à foires équivalentes, Paris drainera toujours plus de clientèle. Au Parcours, les exposants viennent du monde entier et même d’Australie. Ce n’est pas rien ! Cela montre la vigueur du marché », analyse l’avocat belge Yves-Bernard Debie, également DG par intérim du Parcours. « Et la question des restitutions n’a eu aucune influence sur le marché. La vente de la collection Périnet [en 2021] l’a démontré. »

Tout est réuni pour que Paris conserve sa place, pourvu que des événements internationaux continuent d’y être organisés. « C’est là que le rôle des marchands est fondamental », conclut Alexis Maggiar.

Le Parcours des mondes revient du 6 au 11 septembre  

Antiquaires. Pour sa 21e édition, le Parcours des mondes, grande manifestation internationale des arts extra-européens, accueille 47 exposants, venus de 9 pays. Le marchand américain Michael Hamson et la Pace Gallery font leur retour. Bruno Claessens (Anvers) et Richard Vinatier (Arles) figurent parmi les nouvelles enseignes. Plusieurs expositions thématiques jalonneront la manifestation, à l’instar d’un ensemble de 35 masques sowei de la société Bundu, peuple Sande de Sierra Leone (galerie Abla & Alain Lecomte) ; d’une présentation autour du singe Baoulé (Lucas Ratton) ou encore de l’art Kuba (Jo De Buck). À ne pas manquer, « Résonance », une importante exposition organisée à la Galerie Gradiva, exceptionnellement ouverte pour l’occasion. Elle confrontera des fétiches nkisi (16 prêtés par le musée de Tervuren en Belgique) aux dessins de l’artiste Jean-Michel Basquiat, issus de la collection de la galerie Enrico Navarra.

Marie Potard

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°593 du 8 juillet 2022, avec le titre suivant : Paris capitale des arts premiers

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