Aux États-Unis, contrairement en France, une photographie à l’édition limitée
peut valablement bénéficier d’un nouveau tirage si son format s’avère différent.
L’entrée de la photographie dans le circuit marchand des galeries, puis des maisons de ventes, à partir des années 1970, a consacré la pratique des tirages limités. Ainsi, les multiples ont pu bénéficier de nouvelles conventions permettant de hiérarchiser les différentes éditions réalisées et d’établir des critères d’appréciation de leur rareté. Des tirages d’époque contrôlés par le photographe, les vintages, aux contretypes, obtenus à partir d’une épreuve photographique rephotographiée, une classification s’est construite et a réussi à s’imposer sur le marché.
Pionnier de la photographie couleur aux États-Unis, William Eggleston avait réalisé de très rares tirages limités dans les années 1970. Afin d’assurer la conservation des plus de 35 000 pellicules, négatifs et diapositives possédés par le trust de l’artiste, trente-six tirages contemporains grand format d’images, pour certaines emblématiques, furent vendus aux enchères chez Christie’s en mars 2012. La vente connut un véritable succès, confirmant l’engouement actuel pour l’artiste, mais suscita l’ire d’un collectionneur. En effet, Jonathan Sobel avait acquis, entre 2008 et 2011, près de 190 tirages originaux des années 1970-1980 de William Eggleston et s’estimait lésé puisque, de son point de vue, la valeur marchande d’une œuvre repose sur sa rareté, critère déterminant dans sa décision d’acquisition. Une plainte fut alors déposée quelques jours après la vente, reprochant notamment au photographe et à son trust d’avoir adopté une démarche frauduleuse et d’avoir manqué à leurs obligations contractuelles.
William Eggleston avait-il alors dépassé la limite en réalisant et en vendant de nouvelles éditions de photographies vintages au tirage limité ? Assurément, selon le collectionneur ; nullement, selon une décision d’un tribunal new-yorkais du 28 mars 2013.
De l’importance des dimensions de la réédition
En effet selon les magistrats, les tirages litigieux différaient de ceux acquis par Jonathan Sobel par leurs dimensions, leur technique de production et leur date de réalisation. Alors que les œuvres vintages avaient été réalisées selon la technique du « dye-transfer », les œuvres litigieuses avaient été agrandies presque trois fois à partir de fichiers numériques ou d’images scannées. Dès lors, le tribunal a relevé que « bien que les œuvres (furent) produites à partir des mêmes images, elles s’avèrent manifestement différentes ».
Par ailleurs, au regard de la loi de l’État de New York sur les arts et les affaires culturelles, la mention d’une édition limitée n’emporte de conséquences qu’au moment de sa réalisation et non sur de futurs tirages aux propriétés différentes. L’article 11 de cette loi définit la notion d’édition limitée comme « des œuvres d’art tirées à partir d’un original, représentant toutes la même image et portant des numéros, ou toute autre marque indiquant la production limitée de celle-ci à un nombre maximum déclaré de multiples ». Le tribunal a alors relevé que les numéros indiqués sur les œuvres indiquaient uniquement que celles-ci étaient en tirage limité lors de leur vente, mais cela ne signifiait pas pour autant que les images ne pourraient être reproduites dans d’autres éditions limitées.
Ainsi, l’acquéreur ne possède aucun droit ou aucun recours au regard du terme d’édition limitée à l’encontre de l’artiste. Les droits corporels sur une œuvre n’emportent aucune conséquence sur les droits de l’auteur, solution identique en droit français. Le plaignant aurait pu, en revanche, tenter de rechercher la responsabilité des marchands de multiples. En effet, sur le fondement de l’article 15 de la même loi, la numérotation portée sur les œuvres « constitue une garantie expresse qu’aucun autre tirage de la même image n’a été réalisé », avec toutefois une tolérance de vingt exemplaires ou de 20 % de tirages supplémentaires. Mais là aussi, ses chances de succès auraient été fort ténues.
Enfin, si aux États-Unis une même image donne naissance à autant d’œuvres différentes que de formats différents, une telle solution n’aurait pu prospérer en droit français. L’article 98A de l’annexe III du code général des impôts qualifie d’œuvres d’art, les « photographies prises par l’artiste, tirées par lui ou sous son contrôle, signées et numérotées dans la limite de trente exemplaires, tous formats et supports confondus ». Le changement de format se révélant inopérant sur la qualification de l’œuvre, les nouveaux tirages auraient été alors considérés comme des reproductions au-delà de la limite légale.
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°394 du 21 juin 2013, avec le titre suivant : Nouveau format, nouvelle édition