«Le marché de l’art s’écroule demain à 18 h 30. » Cet aphorisme de Ben, repris par le journaliste Harry Bellet, n’est pas encore d’actualité. Pourtant les tempéraments les plus optimistes restent circonspects devant les sommets vertigineux qu’atteint l’art moderne et contemporain. Mais la clientèle américaine n’en a cure comme l’ont montré les ventes new-yorkaises du mois de novembre.
Lors de la première semaine de ventes, les deux auctioneers présentaient chacun une période distincte, Christie’s ayant pris le pari risqué de l’impressionnisme et Sotheby’s, celui du moderne. Alors qu’on pouvait s’attendre à un certain attentisme aux lendemains des élections présidentielles américaines, le résultat des urnes n’a pas modifié la donne. Si l’humeur démocrate était en berne, le marché, pour le coup très libéral, était lui en fête. Le lot phare de Christie’s, Londres, le Parlement, effet de soleil dans le brouillard de Claude Monet a été décroché pour 20,1 millions de dollars par l’homme d’affaires Samir Traboulsi, contre un sous-enchérisseur européen.
Les deux précédents records pour un Parlement avaient été de 14,5 millions de dollars le 10 mai 2001 chez Sotheby’s et de 4,3 millions de dollars douze ans plus tôt chez Christie’s. « Je m’étais calé sur une estimation raisonnable car en dix ans les prix n’avaient pas évolué. Il y avait eu un seuil de résistance autour de 12-13 millions de dollars », rappelle Thomas Seydoux. L’acheteur a dû être attiré par le fait que le tableau n’avait pas quitté la famille Durand-Ruel depuis son achat en 1904. Le second prix le plus important de la vente revenait à La Caresse des étoiles de Miró, couverture du catalogue, qui décrochait 11,7 millions de dollars. Performance incroyable car le tableau est petit et sans réelle valeur historique.
Le lendemain, Sotheby’s alignait six records et un total de 194,29 millions de dollars, le plus important depuis 1990.
La Maternité II de Gauguin, que les professionnels estimaient en mauvais état, a atteint 39,2 millions de dollars. « L’état était tout à fait respectable. Il avait été rentoilé et présentait de petits repeints, ce qui n’est rien par rapport à la majorité des toiles de Tahiti qui ont connu de sévères restaurations », défend Andrew Strauss, spécialiste de Sotheby’s. Et d’ajouter : « Le marché est en excellente santé. Il est dirigé par l’impact visuel et non par les noms ou les dates. » Le très attendu Portrait de Jeanne Hébuterne de Modigliani a grimpé à 31,37 millions d’euros. Une prouesse pour un portrait habillé d’autant que le Nu racoleur de novembre 2003 avait atteint 22 millions de dollars chez Christie’s ! Toutefois les lourdes garanties que Sotheby’s a concédées pour décrocher la collection Hester Diamond doivent tempérer les résultats. Les scores restaient bien souvent en dessous des estimations plombées des auctioneers.
Le contemporain, star des ventes
Le véritable roi de New York était l’art contemporain. Le ton était donné lors de la dispersion de
la collection photographique de la baronne Lambert chez Phillips les 8 et 9 novembre avec 12,4 millions de dollars et à la clé neuf records. « Je m’attendais aux résultats de la vente du soir car les estimations étaient raisonnables, mais 100 % de vendu pour la vente de la journée, c’était fou », confesse le courtier Philippe Ségalot, consultant de la vente.
Bien que Sotheby’s ait plombé les estimations, elle affichait le lendemain un total de 93 millions de dollars, en dessous des prévisions hautes de 106 millions de dollars.
Le 10 novembre, Christie’s engrangeait 92,4 millions de dollars, juste sous la barre haute de 94 millions. Phillips enregistrait pour sa dernière vente 25,5 millions de dollars pour cinquante-huit lots. La poignée d’artistes starifiés dans les années 1980-1990 (Maurizio Cattelan, Richard Prince, Marlene Dumas, Cindy Sherman…) s’est taillée la part du lion. Marlene Dumas poursuit son chemin ascensionnel en obtenant 1,2 million de dollars pour une toile de 1985 sur une estimation de 200 000 dollars. Son dernier record de 993 600 dollars ne datait que de mai dernier chez Phillips !
Le consensus est tel qu’un one line joke comme Not Afraid of Love de Cattelan partait au prix record de 2,7 millions de dollars chez Christie’s le 10 novembre. Un record de courte durée, escamoté
le lendemain par les 3 millions de dollars de la Nona Ora chez Phillips. Malgré la faiblesse du dollar, les Européens n’étaient pas très actifs. « Il y avait une absence spectaculaire des collectionneurs allemands dans la salle. Les Français étaient là, mais pour les ventes de jour », remarque Caroline Smulders, spécialiste de Christie’s. On pourrait résumer ces ventes par la photographie de Barbara Kruger, adjugée au prix record de 601 600 dollars chez Phillips : I shop, therefore I am.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Moderne et contemporain : beau fixe à New York
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°565 du 1 janvier 2005, avec le titre suivant : Moderne et contemporain : beau fixe à New York