Dans un marché défiant le bon sens, les rapports chiffrés sont supposés nous éclairer avec des données factuelles. La dernière enquête en date, baptisée YouGov Siraj, a été lancée par Christie’s pour jauger des habitudes d’achats des Moyen-Orientaux et expatriés sur une base de 100 000 résidents. Qu’apprend-on ? Que 47 % des sondés comptent augmenter leurs dépenses en art dans les 5 ans à venir. Que 64 % entendent s’éduquer davantage. Mais seuls 22 % imaginent le recours à des conseillers.
Christie’s a beau nous noyer sous une avalanche de statistiques et égrener cent treize records pour les artistes du cru en 2007, il faut modérer la gloriole. Les ventes publiques ne sont pas des indicateurs aussi déterminants qu’on veut bien le croire. Derrière les totaux hyperboliques et les records à la pelle se cachent les failles et les doutes. En se basant sur les ventes d’art contemporain de février à Londres, le site ArtTactic avait remarqué que 70 % des bons résultats reposaient uniquement sur une dizaine de lots. Difficile de dresser une tendance de fond à partir d’une vente au marketing habile. Ce raisonnement s’applique tout autant aux dispersions d’art du Moyen-Orient. Que l’artiste iranien Farhad Moshiri dépasse le million de dollars chez Bonhams ne signifie pas qu’il puisse se vendre à ce prix en galerie. Ni lui, ni aucun de ses compatriotes d’ailleurs.
Car les achats sont bien souvent dictés par des coups de tête. Les sondés de Christie’s achètent à 84 % pour des valeurs esthétiques mais aussi à 42 % pour des raisons sentimentales ! Les emplettes ne sont guère régulières : 21 % admettent n’acheter qu’une fois par an et 7 % seulement une fois tous les trois mois. Cette versatilité tient au manque d’éducation et à la faiblesse des appareils critiques. Dans The Arab world now à paraître en avril sous la houlette du marchand Enrico Navarra, le curateur Jack Persekian le dit bien : « Il y a peu de presse analytique ou critique, alors que la majorité des articles ne sont que du remplissage laudatif. Il ne s’agit pas d’accuser quiconque, ou de pointer du doigt les manques d’une région, mais à mon avis, cela trahit un problème encore plus grand : le hiatus entre la capacité à apprendre les langages, y compris visuels, et celle à faire des connexions. »
Le dialogue régional
Ce que les sondages ne mesurent guère, c’est l’impact pervers du boom du marché de l’art sur les artistes locaux. « Même s’il s’agit d’une période positive pour notre art contemporain, il faut que nous soyons conscients qu’il y a un danger à ce que ce focus change de manière radiale, et que les forces commerciales qui accompagnent cette attention commencent à submerger l’indépendance, l’intégrité artistique, le dialogue régional », prévient William Wells, directeur de la galerie Townhouse au Caire dans les annales du forum organisé l’an dernier par la foire Art Dubai.
Dans le même ouvrage, le critique d’art Tirdad Zolghadr est lui sans appel : « je ne pense pas que le Moyen-Orient affecte l’art contemporain à une échelle globale d’une manière décisive si ce n’est qu’en offrant un site de production et un marché pour des objets facilement commercialisés. » Un jugement un brin expéditif, car certains artistes, notamment libanais, laissent une trace déterminante dans l’art actuel.
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Mille et une nuits
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°278 du 28 mars 2008, avec le titre suivant : Mille et une nuits