PARIS
Cet Italien courtois et chaleureux, plus anglais que les Anglais, et travailleur acharné, est aux commandes de la filiale française depuis deux ans.
Au 76, rue du Faubourg Saint-Honoré, à l’étage feutré de l’adresse parisienne de la vénérable maison de ventes anglo-saxonne, une photographie d’Irving Penn est accrochée au-dessus de son bureau. Elle est issue de la série des nourritures congelées (« Frozen Foods »), dont un tirage était proposé lors de la vente de photographie du 10 novembre, programmée au moment de la foire Paris Photo. Pour le président-directeur général de Sotheby’s France, vice-président Europe et directeur européen des ventes de collections, l’image est prétexte à évoquer son passé dans l’entreprise alimentaire familiale. Une première vie. Avant de faire, jusqu’ici, toute sa carrière chez Sotheby’s.
Enfant, il collectionnait les suppléments sur l’art de la revue Epoca. Son premier voyage à Venise avec un oncle, Tomaso Ingegnoli, le fils d’un des plus grands collectionneurs de tableaux XIXe en Italie, entre les deux guerres, est une révélation. « Il a été le moteur de ma vocation », confesse-t-il. En voyageant ensuite avec lui à Versailles, Sans-Souci, Capri, Florence, un monde s’ouvre. Aux Offices, il est frappé par la Primavera de Boticcelli. Plus tard, il sera intrigué par les « Tagli » de Lucio Fontana. « Dans ma famille dominait un esprit patriarcal. Tous les enfants devaient un jour travailler dans l’usine fondée par mon grand-père. J’aurais voulu suivre un cursus en architecture. J’ai étudié l’économie à l’université de Gênes puis travaillé dans l’usine familiale. »
À 29 ans, il coupe le cordon ombilical. « Le jour où, autour de la table, j’ai annoncé que nous nous installions à Londres avec ma femme pour étudier l’histoire de l’art, tous les visages sont tombés dans la soupe ! Mais plus tard ils ont compris. Puis, l’entreprise familiale a fermé, seul mon frère est resté dans le secteur. Cette décision m’a ouvert une voie merveilleuse. C’était la plus belle année de ma vie. » En 1991, il décroche une bourse du Sotheby’s Institute, retenu avec deux ou trois autres parmi 300 candidats. « Si je devais postuler aujourd’hui, je ne pense pas que je réussirais. La nouvelle génération parle six langues ; mais j’avais exprimé une passion infinie. J’attribue cette réussite au fait d’avoir changé de carrière, pris un tournant courageux qui avait impressionné le jury de Sotheby’s. J’avais déjà une expérience commerciale, et donc j’étais capable de vendre des œuvres d’art. »
Atout non négligeable, l’homme a l’œil. Il reconnaît les objets qui lui sont montrés. « À Crémone, patrie de Stradivarius où je suis né, dans une famille d’origine génoise, il n’y avait pas de “liceo artistico”, raconte-t-il. Mais à l’école, on nous donnait à étudier les textes du grand historien de l’art Giulio Carlo Argan auxquels on ne pouvait rien comprendre à 11 ans. Alors je regardais les images. Lors d’une interrogation, j’avais impressionné la professeure car j’avais mémorisé tous les noms des artistes et des œuvres. » Une qualité que soulignent aujourd’hui encore ses proches, à l’égal de son sens esthétique.
À Londres, il fait ses premières armes au département des tableaux XIXe. Après trois mois, on lui propose un poste dans ce département, qu’il refuse. « J’aime beaucoup la peinture de cette période, mais j’étais attiré par les arts décoratifs et le mobilier. Lorsque mon prédécesseur a quitté son poste, la compagnie m’a nommé à la tête d’un département, ce qui était très courageux car je n’étais qu’un expert junior. » Suit une ascension fulgurante. Cinq ans plus tard, en 1998, il est promu au comité Europe. Son entourage décrit un travailleur acharné. Il y voit l’explication de son parcours. « J’ai commencé chez Sotheby’s très tard, à 30 ans. J’ai toujours travaillé avec un immense enthousiasme. J’ai donné beaucoup à la compagnie et à mon métier en sacrifiant parfois ma vie familiale et mes trois enfants. Pas par ambition mais par passion. Et un sens du devoir hérité de mon père, qui m’a enseigné la rigueur et qu’il fallait travailler dur. » Avant d’ajouter : « Sotheby’s est une maison qui reconnaît le talent, la passion. » Dans un subtil mélange de chaleureuse volubilité italienne et de retenue tout anglo-saxonne, l’homme possède l’allant, l’élégance et le savoir-être de ceux qui fréquentent le monde du luxe, les collectionneurs aisés. Courtoisie, discours policé, ajoutés à un anglais et un français parfaits, avec juste ce qu’il faut d’accent italien. De quoi séduire et convaincre lorsqu’il s’agit de rechercher des pièces d’exception dans un contexte de concurrence croissante.
Depuis son arrivée à Paris, Sotheby’s France a augmenté le nombre de ses ventes, 37 cette année. Pour un résultat annuel en hausse, 220 millions d’euros en 2016, chiffres incluant commission à la charge de acheteur (hors TVA) et ventes directes réalisées après la vente publique. L’opérateur a diversifié son offre, mélangeant désormais dans une même adjudication moderne et contemporain, suivant le goût actuel. Il lance, le 20 novembre, « Excellence française », une vente haut de gamme consacrée à l’art, au mobilier, à la sculpture, avec une centaine de lots rares. À Londres, il avait développé « Treasures », la vente phare d’arts décoratifs qui se tient chaque année en juillet. À Paris, ses collaborateurs louent un management à l’écoute, qui laisserait une plus grande liberté d’action que ses prédécesseurs. Lui évoque « un esprit familial », attribué à l’échelle des bureaux parisiens, environ 130 personnes. En comparaison, près de 500 collaborateurs travaillent à Londres. « Je dis toujours que c’est le plus beau métier du monde, où la dimension humaine est essentielle. L’un des aspects que je préfère dans mon travail est de chercher à comprendre la psychologie d’un client qui souhaite vendre une œuvre ou une collection dans son ensemble. Pourquoi vend-il ? Comment faire pour le convaincre de vendre avec nous, dans un certain format ? La compétition me passionne, parfois m’irrite. Mais elle est toujours une source d’énergie et d’idées. »
La culture de Sotheby’s ? « Elle repose sur l’expertise mais aussi aujourd’hui sur le service proposé au client, qui n’existait pas lorsque j’ai commencé. Nous accordons beaucoup d’importance à la stratégie numérique et aux médias et réseaux sociaux, un changement culturel énorme. »
Quid des enjeux pour la maison de ventes ? « Comprendre ce que recherchent nos clients. Engager, fidéliser davantage les collectionneurs, attirer et garder leur attention. » Conquérir le marché asiatique est une autre priorité, alors que le nombre de collectionneurs explose à l’échelle mondiale. Enfin, trouver les œuvres. Sans elles, ni ventes ni clients. « C’est un business où on ne peut pas toujours promettre que l’on aura des collections à proposer, cela dépend du choix de chaque famille, des cycles de la vie. » Devenues un véritable enjeu, les collections contribuent à faire la différence en termes d’image et de chiffre d’affaires. Rassuré par une provenance, l’acheteur veut faire partie d’un événement, s’inscrire dans une histoire, avec un catalogue qui fera date. Son meilleur souvenir reste ainsi « la collection du château de la famille de Carla Bruni. J’avais adoré l’atmosphère de ce lieu qui a ensuite été filmé par Valeria Bruni-Tedeschi. Je me souviens encore de la première visite avec Laure de Beauvau-Craon [ancienne présidente de Sotheby’s France], j’étais fasciné. Je garde aussi de très beaux souvenirs de quelques ventes privées. »
1981-1984 Diplômé d’économie, université de Gênes.
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Mario Tavella le maestro de Sotheby’s France
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°489 du 17 novembre 2017, avec le titre suivant : Mario Tavella le maestro de Sotheby’s France