L’Union européenne impose non seulement la fin du monopole des commissaires-priseurs et l’ouverture du marché français à la concurrence étrangère, programmées pour le 1er janvier 1998, mais également une harmonisation des réglementations. Celle-ci devrait avoir d’importantes répercussions outre-Manche, pouvant amoindrir la position britannique sur le marché international de l’art. L’harmonisation du taux de la TVA et l’introduction du droit de suite, telles qu’elles sont proposées par la Commission européenne, priveraient la Grande-Bretagne de ses privilèges actuels. L’alignement du taux de la TVA se traduirait par une hausse de 2,5 à 5 %, et un droit de suite de 2 à 4 % serait appliqué sur les œuvres d’art réalisées après 1927. Après avoir interrogé dans notre précédent numéro des professionnels français sur les conséquences de l’ouverture, nous avons demandé à plusieurs personnalités au Royaume-Uni d’évaluer l’impact de ces mesures. Certaines ne voient aucun changement, d’autres des conséquences terribles pour le marché londonien, d’autres encore redoutent que l’harmonisation ne profite qu’à New York : l’éventail des points de vue est donc large.
Anthony Browne, consultant auprès de Christie’s International et président de la British Art Market Federation (BAMF) :
"Les marchands français sont bien conscients que le marché européen souffrirait dans son ensemble d’une harmonisation qui ne profiterait qu’à New York et à Genève : que New York soit un jour considéré comme la place dominante du marché de l’art et c’en serait fini de l’Europe entière. Actuellement, la BAMF redouble d’efforts pour renforcer ses liens avec Paris, eu égard à la nécessité de travailler ensemble au développement global du marché européen".
Lord Hindlip, président de Christie’s International :
"L’ouverture de nos bureaux parisiens reste sujet à caution tant que les termes de la nouvelle législation ne seront pas définis, mais nous devrions progressivement mettre en place une importante succursale française. Nous n’écartons aucune hypothèse, même celle de travailler avec des commissaires-priseurs existants. Monaco gardera un marché à sa mesure, et les ventes des particuliers de la région y seront toujours organisées. Tant que nous arriverons à empêcher l’introduction du droit de suite à la française au Royaume-Uni, il ne fait aucun doute que le marché de l’art moderne et contemporain n’émigrera pas à Paris. D’ailleurs, si le gouvernement français souhaite le développement du marché hexagonal, il lui faut réfléchir très sérieusement à la suppression du droit de suite. Le marché londonien ne souffrira pas, c’est la France qui souffrira".
Roger Hollest, directeur général de Phillips Auctioneers :
"Phillips a fermé ses bureaux parisiens pendant la récession, mais nous cherchons actuellement à nous réimplanter peu à peu en France. Notre activité dans ce pays n’a jamais été très importante et, pour l’instant, nous nous intéressons davantage à nos salles de vente de New York et de Genève. Elles présentent l’énorme avantage de ne pas être assujetties aux taxes et aux lois d’exportation françaises. Beaucoup de facteurs jouent aujourd’hui contre l’épanouissement du marché au sein de la Communauté européenne, et Genève pourrait devenir une alternative intéressante pour les propriétaires français."
Christopher Elwes, directeur général de Bonhams Auctioneers :
"Notre associé à Paris, Me Jacques Tajan, est membre de l’International Association of Auctioneers. Il se réjouit des perspectives offertes aux commissaires-priseurs français par la déréglementation, et nous nous préparons à être plus présent sur le marché parisien. Néanmoins, l’ouverture d’un bureau Bonhams à Paris est parfaitement contraire à notre stratégie. Paris deviendra un centre d’affaires beaucoup plus important si le Royaume-Uni s’aligne sur le reste de l’Europe, avec la même TVA et l’application du droit de suite. Je ne doute pas une seconde que Sotheby’s et Christie’s installeront leurs départements d’Art français tout entiers à Paris".
Neil Smith, secrétaire général de la Society of London Art Dealers :
"Le projet d’harmonisation de la TVA doit être réexaminé en 1998, et nous avons pour objectif que la directive européenne sur le droit de suite soit retirée ou renvoyée devant la commission. Le marché européen de l’art ne peut être traité de façon fragmentée, c’est un problème global. Le Parlement européen de Bruxelles n’a pas idée des énormes pressions exercées sur Londres par New York et Genève, qui s’arrogeront la part du lion si la législation est adoptée. Nous ne sommes pas contre l’harmonisation, mais il serait absurde que celle-ci déstabilise le plus dynamique des marchés de l’art. Ce n’est pas seulement Londres qui en souffrirait, mais toute la Communauté".
Johnny Van Haeftan, marchand néerlandais de tableaux de maîtres anciens :
"Les œuvres d’art devraient affluer en moins grand nombre à Londres dès que Sotheby’s et Christie’s auront ouvert leurs portes à Paris. Les collectionneurs européens qui souhaiteront profiter de l’expertise confirmée et de la réputation internationale de ces deux maisons de vente pourront tout aussi bien s’adresser à leurs bureaux parisiens. Le marché londonien est menacé par les bureaucrates de Bruxelles au nom d’un accroissement de bénéfices négligeable. Ils ne comprennent pas que l’emploi de milliers de personnes – restaurateurs, assureurs, emballeurs, expéditeurs, imprimeurs… – dépend de ce marché. Le Royaume-Uni exporte plus d’œuvres d’art et d’antiquités qu’il n’en importe. Si l’on mine l’infrastructure de son marché de l’art, sa balance des paiements deviendra forcément négative".
Leslie Waddington, marchand d’art contemporain :
"Comparativement au reste de l’Europe et aux États-Unis, le marché de l’art contemporain à Londres a énormément souffert de l’instauration en 1973 d’un taux de TVA de 17,5 % pour toute œuvre réalisée postérieurement à cette date. Depuis vingt ans, le volume d’affaires traité à Londres est très faible. L’introduction du droit de suite n’entraînerait aucun changement significatif : selon ma propre expérience, les formalités administratives sont si complexes que très peu de familles le perçoivent. L’installation de Sotheby’s et de Christie’s à Paris aura des conséquences terribles sur le marché londonien. Le cœur du marché de l’art contemporain bat en Europe, pas à Londres ; c’est en Europe que se trouvent les collectionneurs et les œuvres. Dès que des ventes aux enchères de première importance seront organisées à Paris, marchands et collectionneurs n’auront plus aucune raison de confier leurs œuvres à la capitale britannique, et les marchands cesseront de la fréquenter".
Anthony Mould, marchand de tableaux de maîtres anciens :
"Les nombreuses entraves administratives et les frais toujours plus élevés qu’entraîne une galerie à Londres nous exposent à une véritable "fuite des cerveaux", à mesure que les marchands du West End ferment boutique. Londres offre l’avantage unique de regrouper les meilleurs experts sur quelques centaines de mètres carrés. Même si les musées et les maisons de vente remplissent parfaitement leur mission, personne ne peut remplacer les praticiens du marché de l’art pour ce qui est de rechercher de nouveaux talents, monter des expositions et restaurer les œuvres. New York étant un maelström d’une rare incohérence, si le cœur du marché doit y déménager, nous perdrons cette communauté dynamique et compétente qu’est le marché londonien".
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L’ouverture vue d’outre-Manche
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°33 du 1 février 1997, avec le titre suivant : L’ouverture vue d’outre-Manche