Foire & Salon

L’œuvre d’art au plus près de la main

Une sélection des plus belles feuilles du Salon du dessin

Par Armelle Malvoisin · Le Journal des Arts

Le 8 mars 2002 - 1637 mots

Comme chaque année, vingt-cinq galeries françaises et étrangères se retrouvent en mars à Paris pour le Salon du dessin. Pour l’occasion, nous avons demandé à huit d’entre elles de choisir une feuille qui leur tient particulièrement à cœur et de nous la présenter.

- Noël Hallé (1711-1781), Portrait d’homme barbu, signé et daté en bas à gauche hallé 1751, pastel sur papier bleu, 43,5 x 32 cm, galerie Didier Aaron & Cie, Paris.
Après une première formation d’architecte, Noël Hallé suit les traces de son père, Claude-Guy Hallé, recteur de l’Académie de peinture, et de Jean Restout, son beau-frère. En 1736, il remporte le Prix de Rome, puis part pour l’Italie. Agréé en 1746, Hallé expose régulièrement au Salon jusqu’en 1779. Il est reçu membre de l’Académie en 1748. Il réalise beaucoup de commandes religieuses et de peintures d’histoire, mais également les décors de nombreuses résidences royales. Tout au long de sa carrière, il travaille pour les Gobelins. En 1771, Hallé obtient le poste prestigieux d’inspecteur des Gobelins, puis, quatre ans plus tard, est nommé commissaire du roi et envoyé à Rome, chargé de réorganiser le palais Mancini. Bien que très célèbre de son vivant, Noël Hallé n’a été redécouvert par la critique qu’assez récemment. “Dessinateur fécond, Hallé utilisa fréquemment la pierre noire rehaussée de blanc ou le pastel, comme dans notre Portrait d’homme barbu, particulièrement frais, précise Hervé Aaron. Il représente ici une belle tête de vieillard, comme il en réalisa à de nombreuses reprises, au dessin, ou dans des compositions peintes. Ces beaux visages d’hommes, très étudiés et expressifs, ont été exécutés relativement tôt dans sa carrière, après son retour d’Italie, entre 1745 et 1751.”

- Edgar Degas (1834-1917), Portrait de Adelchi Morbilli assis, crayon sur papier blanc, cachet de la vente Degas en bas à gauche, 242 x 165 mm, galerie Jean-Luc Baroni Fine Art, Londres.
Au début de sa carrière d’artiste, de 1855 jusqu’au milieu des années 1870, Edgar Degas montre une prédilection pour l’art du portrait. Ce dessin, réalisé au crayon sur papier blanc, représente l’un de ses cousins napolitains, Adelchi Morbilli (1837-1913), qui devait alors avoir dix-neuf ou vingt ans. Ce portrait a probablement été exécuté lors de l’un des deux séjours de l’artiste à Naples, soit entre juillet et octobre 1856 ou entre août et octobre 1857. Il provient de l’atelier de Degas à Paris et fut dispersé avec deux autres portraits lors de la troisième vente du fonds en 1919, avant d’entrer dans la collection Mellerio. Il s’agit donc d’une feuille qui n’est pas apparue sur le marché depuis près d’un siècle.
Pour Jean-Luc Baroni, “c’est un dessin bouleversant, sans doute l’un des plus beaux portraits que j’aie jamais eus entre les mains. C’est une représentation sophistiquée et extrêmement élégante, du niveau d’un dessin d’Ingres – on sait d’ailleurs que l’œuvre dessinée d’Ingres a eu une importance particulière pour Degas à cette période. Degas y a mis tout son talent et son émotion. On sent bien que le personnage représenté est proche de lui : comparativement à un portrait officiel, il apparaît quelque chose de plus spontané et de plus expressif dans l’exécution. L’œuvre n’est pas seulement exceptionnelle de qualité mais aussi de conservation. Ce dessin n’a vraisemblablement jamais pris la lumière, même le cachet est d’une fraîcheur incroyable, ce qui est assez rare”.

- Nicolas de Plattemontagne (1631-1706), Étude de deux figures ailées, sanguine et pierre noire avec rehauts de blanc, 27,4 x 43 cm, galerie Jean-François Baroni, Paris.
Fils d’un peintre de marines d’Anvers, Nicolas de Plattemontagne reçoit un enseignement de Charles Le Brun, de son oncle, le graveur Jean Morin, et surtout de Philippe de Champaigne dont l’influence fut sans doute la plus forte. Il est reçu à l’Académie comme portraitiste en 1663, puis comme peintre d’histoire en 1665 et enfin comme professeur en 1681. Sollicité par de nombreux ordres, il peint beaucoup de sujets religieux. “Bien qu’il fût l’un des meilleurs portraitistes de son temps et l’un des peintres de sujets religieux les plus respectés de la seconde moitié du XVIIe siècle, Plattemontagne a récemment été redécouvert, rappelle Jean-François Baroni. Si, dans les premières années, sa manière se rapproche de celle de Philippe de Champaigne, Plattemontagne adoptera par la suite un style original fait d’une ligne vigoureuse et d’un trait lourd, avec des ombres fortement marquées, comme pour ce présent dessin, œuvre de maturité.”

- Victor-Jean Nicolle (1754-1826), Vue de la petite place Saint-Marc et du palais des Doges à Venise, située par l’artiste au verso, plume et aquarelle, 24 x 42 cm, galerie Bruno de Bayser, Paris.
Victor-Jean Nicolle a réalisé de nombreuses vues d’Italie lors de deux séjours prolongés en terre latine (de 1787 à 1798 et de 1806 à 1811). “D’un format inhabituel, notre aquarelle de Venise témoigne de l’excellence de Nicolle dans le rendu de l’architecture et de la perspective, souligne Bruno de Bayser. Le souci du détail, la précision du trait de plume, le rendu consciencieux de l’architecture prennent toute leur saveur à travers un examen minutieux. On y retrouve la bibliothèque, le campanile et la tour de l’Horloge. Entre les colonnes byzantines, où sont juchés le lion de saint Marc et un saint Théodore armé – protecteurs de la cité –, se profile la basilique Saint-Marc. Au premier plan, gondoles et péottes livrent leur ballet quotidien. Enfin, la vie anime cette jolie vue par de nombreux personnages causant, flânant tant sur la Piazzetta qu’au balcon de la fenêtre monumentale et sous la colonnade supérieure.”

- Armand Paulis (1884-1977), Torse de femme nue, vers 1920, signé en bas vers le milieu, fusain, craie blanche et pastel sur papier brun, 66 x 48 cm, galerie Chantal Kiener, Paris.
“Cette œuvre est un bon exemple du travail que je poursuis dans la galerie, car parallèlement à une activité plus classique, je m’investis avec passion et avec risque dans l’exposition d’artistes qui m’ont vraiment plu et qui sont à redécouvrir, explique Chantal Kiener. Ce dessin fait partie d’un ensemble trouvé en province, signalé par un vieil ami qui connaît bien mes goûts. Quand j’ai vu les œuvres, j’ai immédiatement été séduite. L’artiste belge Paulis est totalement tombé dans l’oubli – il ne figure même pas dans le Bénézit ! Mais après des recherches, j’ai découvert qu’en son temps, entre 1920 et 1940, il avait connu une véritable notoriété puisqu’il avait reçu des commandes officielles et décoré des demeures de la bourgeoisie aisée bruxelloise. Cependant, une grande partie de son œuvre, peinture murale, vitraux, décoration en grès, a disparu durant la dernière guerre puis lors des travaux de reconstruction de Bruxelles. Tous les dessins de Paulis sont grands et beaux, mais celui-ci m’a fascinée par sa perfection dans le modelé, et par la tendresse et la sensualité qui s’en dégagent.”

- Paul Signac (1863-1935), Vue de Venise, signée et datée en bas à gauche P. Signac 1904, numérotée en bas à droite 120, 18 x 25 cm, galerie Brame & Lorenceau, Paris.
Si les thèmes d’inspiration de Signac sont multiples, la passion du maître du Néo-impressionnisme pour la mer domine son œuvre. Grand voyageur, il peint de La Rochelle à Marseille et de Venise à Constantinople, observant et notant, s’efforçant toujours de traduire les multiples effets de la lumière. C’est à la galerie Druet en 1904 que Paul Signac a exposé pour la première fois des vues de Venise, peintures et aquarelles, qui, selon François Lorenceau, “doivent compter parmi les premières visions qu’il nous a données de cette cité où il a trouvé une source d’inspiration particulièrement riche. Il ne s’intéressait pas à la vie de cette ville pittoresque, mais au féerique spectacle que lui offraient les couleurs des voiles et des architectures rayonnant dans la lumière et se reflétant dans les eaux”.

- Jean-François-Thérèse Chalgrin (1739-1811), Projets de décoration pour le salon de compagnie et la chambre à coucher de Madame au petit château de Brunoy, 1781, deux dessins à la plume et encres noire et brune, lavis de bistre, 320 x 480 mm et 280 x 400 mm, galerie Daniel Greiner, Paris.
D’une part, le Sallon de compagnie côté de la cheminée, et d’autre part, la Décoration de la chambre à coucher de Madame côté de la cheminée, ces deux projets décoratifs, signés en bas à gauche “par nous Premier architecte de Monsieur à Paris le 16 mars 1781 Chalgrin”, n’étaient jusqu’à présent associés à aucune demeure précise. Jean-François-Thérèse Chalgrin est nommé en 1775 premier architecte et intendant des Bâtiments de Monsieur, le comte de Provence. Jusqu’à la Révolution, il intervient dans divers chantiers de construction ou de réaménagement. En 1781, date des deux dessins, le comte de Provence possède notamment un appartement au château de Versailles, le palais du Luxembourg à Paris et les châteaux de Brunoy en Essonne. Les papiers du comte de Provence conservés aux Archives nationales ont permis de rattacher ces projets au petit château de Brunoy. Un mémoire daté du 7 avril 1781 mentionne que des travaux décoratifs y sont exécutés, parmi lesquels un salon de compagnie et une chambre à coucher. Mais on ignore encore si ces décors furent complètement réalisés. “C’est à la fois une œuvre d’art et un document historique important, explique Daniel Greiner, passionné par ce genre de dessins d’architecture. Car il s’agit d’une commande de Monsieur, comte de Provence, frère du roi et futur Louis XVIII pour sa résidence favorite, le petit château de Brunoy où étaient données de nombreuses fêtes. Ce bâtiment n’existe plus et ces deux dessins, avec un troisième du même salon, du côté des fenêtres, qui figure dans les collections du Musée des arts décoratifs, sont les rares témoins de ce faste disparu.”

- Salon du dessin, du 20 au 25 mars, salons Hoche, 9 avenue Hoche, 75008 Paris ; 12h- 20h30, nocturnes le jeudi 21 et le lundi 25, jusqu’à 22h ; entrée 10 e, catalogue compris.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°144 du 8 mars 2002, avec le titre suivant : L’œuvre d’art au plus près de la main

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