L’œil de l’expert

12 180 000 F
Record du monde, le manuscrit du Voyage au bout de la nuit de Céline, préempté le 15 mai, reste bel et bien en tête du palmarès contrairement à ce qu’annonce Christie’s. Les 2,46 millions $ atteints par On the Road de Jack Kerouac (New York, 22 mai) ne concernant pas un manuscrit mais un « tapuscrit », ne pas confondre ! « C’est une pièce majeure qui rejoint la Bibliothèque Nationale », déclare l’expert Thierry Bodin. Le texte de Céline s’était évanoui dans la nature depuis plus d’un demi-siècle. Vendu en 1943 au marchand de tableaux Etienne Bignou pour 10 000 F de l’époque et un petit Renoir, il a été retrouvé outre-Manche par le libraire Pierre Berès. Chez qui ? Mystère. Mystère aussi autour de l’acheteur, un inconnu agissant contre le libraire Claude Vrain et qui s’est éclipsé aussitôt après avoir été dépossédé de son trésor. Ce précieux manuscrit a été acquis grâce à Nahed Ojjeh, fille du richissime collectionneur Akram Ojjeh, qui a largement complété l’enveloppe de l’état français qui n’était pas suffisante.
Etude Piasa, Drouot Montaigne, 15 mai.
 
2 900 000 F
Après La Femme aux yeux clos resté en rade le 26 avril chez Me Nicolaÿ et le portrait d’Olga invendu à New York chez Christie’s le 9 mai, le Portrait de Joaquim Biosca de Picasso n’a pas soulevé l’enthousiasme le 30 mai chez Me Ricqlès. Annoncé entre 4 et 6 millions, le tableau est resté cloué au sol à 2,9 millions. L’œuvre, pourtant, ne manquait pas d’atouts. Inédite, peinte en 1899 ou 1900, alors que le peintre participe au bouillonnement culturel qui agite Barcelone, elle bénéficiait d’un pedigree irréprochable. Des vendeurs trop gourmands ? « C’est une hypothèse », reconnaît Lionel Gosset, l’assistant de Me Ricqlès. Pourtant, au regard des prix obtenus à la vente Dora Maar en 1998, l’estimation ne semblait pas exagérée. En revanche, dans la même vente, les tableaux d’Alexandra Exter ont suscité une formidable convoitise. Artiste majeure, contemporaine de Malévitch, Gontcharova et Delaunay, elle est peu connue en France. Russes et Américains étaient sur les rangs mais les Français ont raflé la mise. Une aquarelle de 1915, Surfaces-Plans, s’est envolée à 465 000 F, sur une estimation de 30 à 40 000 F.
Etude Ricqlès, Drouot Montaigne, 30 mai.

5 982 000 F
Nouveau record pour Dupré-Lafon (L’Œil n°517), avec ce bureau gainé de parchemin. Dans la foulée, un bureau à caissons s’est négocié à 3 880 000 F. Après les 4 320 000 F pour une table basse le 22 novembre (Tajan), les prix atteints désormais par cet architecte d’intérieur marseillais monté à Paris en 1923 laissent rêveur. Cela va-t-il durer ? « Mais oui, assure François Tajan, ces meubles, étonnante synthèse entre raffinement et confort, sont gais et ludiques, on se les arrache ». Les 40 pièces de l’ensemblier figurant dans la vente provenaient de plusieurs amateurs. Tous avaient
été acquis avant et après la guerre, directement chez l’artiste. Y a-t-il encore beaucoup de Dupré-Lafon dans la nature ? François Tajan l’affirme. Puisque les prix font sortir la marchandise du bois, tous les espoirs sont permis. Seule condition, avoir un portefeuille bien garni.
Etude Tajan, Espace Tajan, 22 mai.

38 500 000 $
Résultats mitigés pour les ventes de tableaux modernes de New York (L’Œil n°524). Quelques déceptions, par exemple pour la collection du marchand collectionneur Heinz Berggruen chez Phillips, le 7 mai. Le tableau phare, La Montagne Sainte-Victoire de Cézanne, adjugée 38,5 millions $, est un record pour un paysage du maître. En revanche, un autre Cézanne et un Van Gogh sont allés au tapis, tués, dit-on, par des estimations trop généreuses. Chez Sotheby’s  à New York (8-9 mai), en revanche, la collection Seeger a parfaitement fonctionné. 59 des 63 lots ont dépassé les estimations et un record pour Bacon, 8,5 millions $, pour le triptyque Study of Human Body, dont on attendait la moitié.
Phillips, New York, 7 mai et Sotheby’s, New York, 8-9 mai.