Qu’ils souhaitent s’agrandir, renouveler leurs espaces ou favoriser les rapports humains, les galeristes réaffirment dans l’ensemble leur attachement au lieu physique de l’exposition.
PARIS - VnH (Victoire de Pourtalès et Hélène Nguyen-Ban), Loo & Lou, Marie-Hélène de la Forest Divonne, Françoise Livinec, Galerie RX, Christophe Gaillard, Jacqueline et Caroline Rabouan Moussion, Eva Meyer, Olivier Robert, Thomas Bernard-Cortex Athletico, Art : Concept / Olivier Antoine, Laurent Godin, Hélène Bailly : en 2015, ce sont au moins treize galeries qui, à Paris ou dans sa banlieue proche, ont été créées, ont ouvert un espace supplémentaire ou ont déménagé, et ce souvent dans un jeu de chaises musicales. Thomas Bernard s’est ainsi installé dans l’ancienne galerie d’Olivier Antoine, tandis qu’Eva Meyer a investi les murs d’Olivier Robert. Face à la seule fermeture de Vidal-Saint Phalle (en juillet dernier), la balance penche nettement du côté du mouvement.
Pourquoi tous ces déménagements et investissements au moment où les foires, devenues les grand-messes incontournables de l’art contemporain, n’ont jamais été aussi nombreuses et, pour les plus importantes d’entre elles, sont si convoitées ? À tel point qu’une idée largement répandue voudrait que, en dehors des foires, il n’y ait plus de salut. La réalité paraît manifestement autre, à en croire ceux qui ont déménagé par désir ou par besoin d’augmenter la superficie de leur galerie – à signaler que l’on ne connaît aucun exemple de galeriste ayant été, en 2015, dans le sens contraire, celle d’une réduction de la voilure. La question de l’espace est d’ailleurs de façon unanime le premier argument invoqué par les galeristes. « Au bout d’un certain nombre d’années, on atteint un seuil critique. Il faut alors prendre des décisions de développement si on veut progresser car le milieu de l’art attend du nouveau, explique Olivier Antoine. Et puis ouvrir une nouvelle galerie, c’est aussi ouvrir de nouvelles possibilités pour les artistes qui ont usé l’espace précédent. Si l’on déménage, c’est pour donner des conditions de présentation optimales aux artistes, leur donner un écrin. » Un plus vaste espace, où l’on peut exposer un plus grand nombre d’œuvres, multiplie selon lui les possibilités de vente. En outre, il pourra présenter dans les foires celles qui n’ont pas été acquises et dont il n’aurait sans doute pu disposer autrement, qui plus est si l’artiste est sollicité par d’autres confrères sur un plan international. « Ma précédente galerie était trop petite, c’était frustrant pour moi, pour les artistes. L’art contemporain demande de l’espace », indique pour sa part Jacqueline Rabouan Moussion. « Ici c’est plus grand, tout simplement », résume Olivier Robert, qui a fait un saut de deux numéros pour glisser, fin octobre, du 3 au 5 de la rue des Haudriettes et devenir la « galerie Lily Robert » (échangeant ici son prénom contre celui de sa fille).
La seconde raison mise en avant par tous les protagonistes concerne le rapport humain, à travers la relation aussi bien aux artistes qu’aux collectionneurs. Thomas Bernard, de la galerie Cortex Athletico, qui est passé à la rentrée de septembre de la rue du Grenier-Saint-Lazare à la rue des Arquebusiers, toujours dans le Marais, a cette jolie formule : « Dans une foire, on vend un bien, dans une galerie on vend un lien. » Et donne un exemple précis : « Nous présentons l’artiste Rolf Julius. Je n’ai quasiment jamais vu son plus gros collectionneur, qui construit pour lui une fondation au Texas. Mais le fait que l’on soit ouvert au public, disponible pour les visiteurs, et que le travail de l’artiste soit bien montré est lié pour lui à un travail de promotion, de diffusion, de médiation très important. D’où la nécessité d’un endroit chaleureux où l’on a envie de s’asseoir, de se poser, de discuter, de prendre son temps. » Un point de vue sur lequel ils sont nombreux à s’accorder, parmi lesquels Laurent Godin. À l’occasion de l’ouverture de son second espace, excentré puisque situé rue Eugène-Oudiné, dans le 13e arrondissement, il précisait : « L’enjeu de ce nouveau lieu est de retrouver une relation plus humaine […] de partager des émotions face à des œuvres avec des amateurs qui ont fait l’effort de venir » (lire le JdA no 443, 16 octobre 2015). Car il n’est pas le seul de cette trempe et de cette génération à partager l’éthique qui consiste à cent fois sur le métier remettre le rôle du galeriste. Olivier Robert encore : « Mon métier c’est de produire des expositions dans ma galerie, c’est de donner aux artistes le maximum de possibilités d’accrochage et de plaisir. Je crois en la galerie, je crois en mon métier de galeriste, je crois en la boutique. » On ne saurait mieux dire, pour défendre l’espace concret de la galerie, qui n’a pas dit son dernier mot. La trilogie bureau ou showroom-Internet-foire n’est heureusement pas encore devenue le (business-) modèle absolu. Car, pour avoir accès aux grandes foires, mieux vaut avoir un vrai pignon sur rue. Et même, lorsqu’on en a les moyens, une belle adresse et d’importants volumes comme le démontrent les grandes marques que sont devenues les Gagosian, Thaddaeus Ropac, Perrotin, Almine Rech…
Le choix du Marais
À l’exception de Marie Hélène de la Forest Divonne, qui est la seule à avoir quitté le Marais pour la rue des Beaux-Arts à Saint-Germain-des-Prés, et de Françoise Livinec et Hélène Bailly qui ont toutes deux opté pour le 8e arrondissement (« qui correspond mieux à l’art moderne, que je vais y montrer », indique la seconde), les autres galeries réaffirment leur choix du Marais. « J’y suis installée depuis 1988 et le quartier est devenu historique pour l’art contemporain, souligne Jacqueline Rabouan Moussion. La concentration de galeries attire les collectionneurs, quoi qu’on en dise, et il ne faut pas oublier que les affaires se font beaucoup dans les galeries. Les gens viennent là où sont montrées des œuvres importantes. »
L’année 2016 pourrait bien voir cette mobilité se poursuivre avec, à ce jour, les annonces de l’ouverture du deuxième espace de la galerie Triple V (avec le soutien de Laurent Strouk) début février rue du Mail, dans le 2e arrondissement, et, au printemps, du troisième espace (après ceux de la rue Saint-André-des-Arts et de la rue du Pont-de-Lodi) de Kamel Mennour. Celui-ci, qui s’installera avenue Matignon (8e), conclut « la galerie reste un lieu vital pour la création ». Le lieu où naissent souvent les artistes et où sont généralement montrées les œuvres pour la première fois.
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Les galeristes cultivent leurs espaces
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°449 du 22 janvier 2016, avec le titre suivant : Les galeristes cultivent leurs espaces