Galerie - Mode

ÉCONOMIE DES GALERIES

Les galeries privatisent de plus en plus leurs espaces lors des Fashion Weeks

Par Anne-Cécile Sanchez · Le Journal des Arts

Le 29 octobre 2024 - 949 mots

Les galeries d’art contemporain sont de plus en plus tentées, pour s’en sortir financièrement, de louer leurs espaces lors des semaines de défilés de mode.

Showroom de la marque Dreems lors de la Paris Fashion Week 2020. © Dreems
Showroom de la marque Dreems lors de la Paris Fashion Week 2020.
© Dreems

Paris. La mode féminine printemps/été 2025 défilait du 23 septembre au 1er octobre dernier dans la capitale. Cette semaine-là, une centaine de galeries parisiennes ont fermé leurs portes, partiellement ou totalement. La raison en est simple : leurs espaces étaient occupés par des showrooms, où les marques reçoivent les acheteurs du monde entier venus faire leurs choix et passer commande pour l’année suivante.

La première « Fashion Week » officielle, organisée par la Fédération française de la haute couture et de la mode, date de 1973, et les galeries ont plus ou moins toujours loué ponctuellement leurs murs. Si la pratique n’est pas nouvelle, elle s’est cependant banalisée, amplifiée et surtout professionnalisée au cours de la décennie écoulée. « Nous sommes spécialisés dans la recherche de lieux, tout particulièrement dans le cadre de la semaine de la mode, explique Vincent Bouchenez, fondateur de l’agence Paris Showroom. Nous avons commencé comme une startup il y a dix ans avec quelques galeries, et très vite, d’autres nous ont contactés. »

Galeries proposées à la location temporaire par la société Make It Happen. © Make It Happen
Galeries proposées à la location temporaire par la société Make It Happen.
© Make It Happen
Le « white cube » recherché

Créée également il y a un peu plus de dix ans, l’agence Make It Happen œuvre pour sa part à tous les niveaux de l’organisation d’événements professionnels dans les domaines de la mode, du design et de l’art de vivre. « Notre cercle de clients et notre catalogue de lieux se sont considérablement élargis et diversifiés depuis nos débuts, y compris pour ce qui est des galeries », constate sa fondatrice, Hélène Olivier-Schmite. La base de données de l’agence, consultable en ligne, est régulièrement actualisée afin de « suivre l’évolution des structures que [l’agence] exploite déjà, par exemple pour savoir si certains travaux ont été faits ».

La semaine de la mode se déroule essentiellement dans le Marais, ainsi que dans les 1er et 8e arrondissements. Ce sont les quartiers stratégiques. « Le haut Marais est très recherché, détaille Vincent Bouchenez, c’est là que se concentre l’activité des showrooms. » L’architecture intérieure des galeries, ainsi que leur équipement, correspondent parfaitement aux attentes des marques. « Certains showrooms se tiennent en appartement, mais une galerie qui offre des rails de spots, un bon Wi-Fi, un coin cuisine, c’est bien plus fonctionnel. » La froide neutralité du « white cube », parfois critiquée dans le milieu de l’art, est justement ce que recherchent les clients, qui parlent de « white box », souligne Hélène Olivier-Schmite : « Le vêtement, comme un tableau ou une sculpture, tire profit de ces espaces clairs où il s’impose sans parasitage visuel. La lecture se trouve ainsi facilitée pour le potentiel acheteur. Les verrières, souvent présentes dans les galeries du Marais, sont un autre atout de ces espaces qui constituent de véritables écrins pour les collections. »

La tarification varie en fonction de différents critères, tels que la situation géographique, la surface, le découpage des espaces, les qualités architecturales du lieu, la présence d’une vitrine… « Pour une semaine, une galerie de 200 m2 de très bon standing dans le Marais se loue entre 3 000 et 4 000 euros par jour », précise la directrice de l’agence. Une véritable aubaine financière pour nombre de galeries, d’autant plus dans une période où le marché de l’art tourne au ralenti. « Cela nous rapporte environ 30 000 euros, trois à quatre fois par an, calcule une galeriste : cela paye quelques factures. » La discrétion est cependant de rigueur, les agences ne divulguant pas le nom de leurs clients. « Nous démarchons régulièrement des jeunes galeries qui ouvrent et nous assurent qu’elles ne souhaitent en aucun cas faire appel à nos services, par principe. Le plus souvent, ce sont elles qui nous rappellent quelques mois plus tard… », observe Vincent Bouchenez.

« En anticipant leur calendrier d’expositions, les galeries peuvent à l’avance s’accorder deux ou quatre fois par an une fermeture, au moment où les tarifs des locations sont élevés, sans véritablement se détourner de leur cœur d’activité puisque ces périodes sont circonscrites aux semaines de la mode, soit sept jours », assure Hélène Olivier-Schmite dont l’agence Make It Happen fait valoir un process qui professionnalise la location et sécurise au maximum la galerie. « Nous signons un contrat (notre présence en France et dans le Marais rassure d’ailleurs la galerie en cas de litige), nous avons une assurance professionnelle, nous effectuons les états d’entrée et de sortie avec l’aide d’un huissier. »

Décrocher et raccrocher une exposition

Pour autant, cette opportunité financière et les garanties que mettent en avant ces agences ne suffisent pas à convaincre tous les galeristes. « Pour louer une semaine, il faut fermer dix jours, le temps de décrocher et de raccrocher une exposition. Je m’y refuse par respect pour les artistes et pour nos clients, mais aussi parce que je ne veux pas concevoir notre programmation en fonction d’un planning qui n’est pas celui de la galerie », affirme Benoît Porcher, fondateur de la galerie Semiose, qui estime que le jeu n’en vaut pas la chandelle.

Mais si la location apporte une bouffée d’oxygène bienvenue à nombre de marchands, dont certains louent jusqu’à quatre fois par an (le graal étant d’être réservé en janvier, mars, juin et septembre par le même showroom), les critères de standing des marques sont de plus en plus exigeants : niveau de confort, design épuré et surtout, volumes spacieux. « Je recherche actuellement activement une belle galerie de 1 000 m2 pour un client prestigieux, le quartier étant secondaire », relate ainsi Hélène Olivier-Schmite. Et d’autres facteurs conjoncturels viennent aussi mettre ce marché en tension. « Les coûts hôteliers ont explosé à Paris depuis la crise sanitaire, puis avec les Jeux olympiques. Cela affecte le budget des acheteurs étrangers, lesquels vont par conséquent vouloir négocier les tarifs de location des showrooms », prévoit Vincent Bouchenez.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°641 du 18 octobre 2024, avec le titre suivant : Les galeries en mode Fashion Weeks

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