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Les galeries commencent à délaisser Berlin

Par Isabelle Spicer (Correspondante à Berlin) · Le Journal des Arts

Le 11 octobre 2016 - 1007 mots

BERLIN / ALLEMAGNE

La capitale allemande ne semble plus être cet éden caractérisé par l’effervescence de sa jeune scène artistique. Elle est touchée par une série de fermetures et de départs de plusieurs galeries.

BERLIN -  La fermeture de Veneklasen Werner cet été s’ajoute à la longue liste des galeries qui ont fermé leurs portes depuis deux ans à Berlin (Kamm, Sassa Trülzsch, Ehrentraut, Florent Tosin et  Schleicher Lange) auxquelles s’ajoutent trois autres départs : les galeries Gebrüder Lehmann, Zink et Croy Nielsen. Après huit ans, la galerie Gebrüder Lehmann (frères Lehmann) a quitté Berlin pour se recentrer sur Dresde, maison-mère du temps de la RDA. Ralf Lehmann explique ce choix avant tout pour se concentrer sur la participation aux foires et à des projets spécifiques. « La galerie n’est pas très grande et possède des ressources limitées, dit-il, mais surtout, je ne voulais pas perdre le contact avec les artistes. » Les galeries visent toujours plus de croissance et d’internationalisation, ce qui rend les contacts de plus en plus impersonnels, selon lui. Les frères Lehmann  avaient ouvert un second espace à Berlin suivant nombre de leurs artistes qui y étaient installés, mais aussi attirés par l’ambiance anarchique et l’ouverture d’esprit de la capitale. « Berlin n’est pas une ville de collectionneurs où toutes les galeries peuvent bien vivre », poursuit-il. À Dresde, il y a une bonne base de collectionneurs, ainsi que de bons contacts institutionnels. « Une autre de nos raisons concerne  les gros problèmes rencontrés l’an passé avec les organisateurs de la foire ABC. » Il dénonce l’ambiance délétère parmi les galeries à Berlin : « il y a une structure fixe de galeries qui peuvent décider ce qui est bien et ce qui ne l’est pas », regrette-t-il.

La galerie Zink avait ouvert une filiale à Berlin en 2007, en même temps que nombre de galeries munichoises et du reste de l’Allemagne, attirées par la pression des artistes souhaitant exposer dans la capitale allemande. Pendant deux ans, Michael Zink a mené de front deux espaces de la galerie, un à Munich, l’autre à Berlin, avant de ne conserver que les locaux dans la capitale en 2009 suite à la crise financière. Aujourd’hui la décision de quitter Berlin est avant tout personnelle : il n’y vit plus depuis quatre ans et son associé, Florian Kromus a déménagé l’an dernier à Paris. La galerie opérera désormais depuis Waldkirchen, avec des expositions prévues à Hambourg et Gand.
Enfin, la galerie Croy Nielsen, créée en 2008 à Berlin par un couple austro-danois, Oliver Croy et Henrikke Nielsen, a choisi de s’installer à Vienne en raison des opportunités qu’offre la capitale autrichienne : moins de galeries, mais beaucoup d’institutions et une école d’art très dynamique. « C’est une décision en faveur de Vienne et pas contre Berlin », explique Henrikke Nielsen.

Le Français Florent Tosin a tiré le rideau de sa galerie ouverte en 2009 cinq ans plus tard, principalement pour raison économique. Le galeriste s’est financièrement épuisé avec le coût de la participation aux foires. Par ailleurs, il déplorait la starisation des artistes qui, dès la sortie de l’école, souhaitent intégrer de grandes galeries internationales.

Diminution du nombre de galeries
Cette nouvelle série de fermetures et de départs de galeries n’est plus compensée par la création ou l’arrivée de nouvelles galeries à Berlin. « Le nombre de galeries a diminué ces cinq dernières années », déplore Anemone Vostell, directrice de l’Association régionale des galeries de Berlin. Selon l’association, il y aurait actuellement 350 galeries à Berlin, qui en comptait jusqu’à  400 il y a encore quelques années. « Ce phénomène est lié à l’augmentation de la TVA. Les galeries berlinoises présentent avant tout de l’art contemporain émergent, avec des niveaux de prix de 3 000 à 15 000 euros. Il n’y a pratiquement pas de marché secondaire. » Dans ce segment de prix, l’augmentation de la TVA de 7 à 19 % a eu un fort impact pour les collectionneurs.

Parmi les autres difficultés citées par les galeries, figure le phénomène de gentrification à Berlin, où les prix des loyers augmentent inexorablement, les nouvelles dispositions bureaucratiques générées par la réforme de la loi sur le patrimoine, mais aussi pour les plus grandes galeries l’obligation de contribuer à la Caisse de sécurité sociale des artistes, qui s’élève à 5,2 % du chiffre d’affaires cette année. « Le marché est dominé par 10 % des galeries, les grandes galeries « blockbusters » », poursuit Anemone Vostell. Elle considère que le départ récent des trois galeries est un phénomène de concentration qui n’est pas propre à Berlin, mais à envisager dans un contexte plus global. « C’est une question que l’on retrouve de manière plus générale au niveau international. On se recentre sur l’activité de la galerie, sur la maison mère, on rassemble ses forces. Les conditions du marché sont devenues plus difficiles », affirme-t-elle. La fusion des galeries Esther Schipper et Johnen l’an dernier est une autre forme de concentration. Autre symptome, plusieurs anciens propriétaires de galeries ont rejoint des grandes galeries internationales : Christian Ehrentraut est retourné chez Eigen Art, Andreas Schleicher Lange a rejoint l’équipe de directeurs de la branche berlinoise de Sprüth Magers, Florent Tosin est devenu directeur pour les foires pour la galerie Guy Baudach.

Si la situation est difficile, Berlin reste cependant la ville des possibles, comme le montre la galerie Wentrup, qui a, elle, fait le choix de la croissance après onze ans d’existence, en ouvrant un second espace, WENTRP, inauguré lors de la dernière Berlin Art Week avec une exposition de l’artiste franco-marocain Hicham Berrada. Cet espace sera l’occasion de montrer des projets expérimentaux, explique Tina Wentrup. Un projet possible à Berlin, mais qui le serait beaucoup plus difficilement à Londres ou New York. « On y a beaucoup moins l’occasion d’expérimenter, pour la simple raison qu’il faut rentabiliser chaque exposition. À Berlin, il y a toujours cette liberté d’expérimenter. Plusieurs de nos artistes étrangers sont toujours attirés par cette ville, par l’ambiance, la créativité, la scène des galeries. Ils veulent exposer ici » conclut-elle.

Légende photo

Vue de l'exposition d'Albert Mertz à la galerie Croy Nielsen de Berlin, en 2015. La galerie vient de fermer son espace berlinois pour s'installer à Vienne. © Photo: Joachim Schulz.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°465 du 14 octobre 2016, avec le titre suivant : Les galeries commencent à délaisser Berlin

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