Vingt-cinq artistes français ou résidant en France sur trois cent quatre-vingts sélectionnés par Francesco Bonami et son équipe de commissaires d’exposition seront présents cette année à la Biennale de Venise. Leur marché est inégal selon qu’ils soient frais émoulus sur la scène internationale ou arpenteurs au long cours des grands raouts de l’art contemporain.
En 1964, alors que les Français escomptaient le Grand Prix en faveur du père de l’abstraction lyrique, Roger Bissière, ce fut Robert Rauschenberg qui lui dama le pion, marquant le glas de l’école de Paris au profit de New York. Après une période de flottement, les Français ont pris leur revanche sur ce camouflet. Daniel Buren (1986), Fabrice Hybert (1997) et Pierre Huygue (2001) sont successivement primés. Cette vigueur renouvelée des artistes français trouve son prolongement cette année avec une forte présence hexagonale dans les expositions parallèles aux pavillons (cf. La Biennale de Venise, pp. 48-59). On y retrouve aussi de nombreux étrangers ayant choisi la France comme terre d’élection, à l’image des Chinois Huang Yong Ping et Yan Pei Ming ou de la coréenne Koo Jeong-a.
Les artistes présents cette année se segmentent en quatre ensembles. Certains, architectes comme Claude Parent ou Yona Friedman, graphistes comme le cabinet M & M, ou réalisateurs de cinéma comme Agnès Varda, ne peuvent être observés à l’aune du marché. D’autres, comme Michel Lasserre et Paola Yacoub, anciens architectes impliqués depuis trois ans dans la photographie, n’ont émergé que très récemment. Une troisième catégorie se compose d’artistes comme Jean-Luc Moulène, dont
la notoriété déjà assise en France commence à franchir nos frontières. Le dernier volet embrasse des artistes de stature internationale.
Dans la toute jeune génération adoubée par la Biennale se trouve Tatiana Trouvé, lauréate en 2001 du prix Ricard. Cette plasticienne a commencé à émerger en 1997 avec une première exposition à la villa Arson à Nice. Fortement soutenue par Éric Mangion, directeur du FRAC PACA, elle figure depuis trois ans dans l’écurie de Georges-Philippe et Nathalie Vallois. L’œuvre de Tatiana Trouvé repose sur le Bureau des activités implicites composé de Modules et de Polders. Les Modules sont des lieux de travail destinés à recenser les pensées et les traces d’activités. Les Polders sont des espaces d’échelles différentes prenant le dessus sur d’autres espaces. « Les premiers polders se vendaient à 1 800 euros. Maintenant c’est dans les 12 000 à 15 000 euros ». Elle se trouve aujourd’hui dans les collections privées et publiques en France. « Depuis un an et demi, deux ans, on constate davantage d’intérêt », estime le galeriste Georges-Philippe Vallois. L’artiste présente à Venise dans la section « Clandestini » orchestrée par Francesco Bonami deux Black Polder, recréant l’univers d’un espace de travail. Le premier est composé de chocolat, Plexiglas, fer, bois, savon et mousse. Le second constitué de fer, silicone, plastique et bière. L’effet Biennale est sans doute multiplicateur puisque chacun des deux polders est proposé au prix de 25 000 euros. La Biennale aura-t-elle par ricochet des retombées ? « La Biennale polarise l’attention aussi bien du marchand australien que du collectionneur américain. Une concurrence féroce s’établit entre les artistes. Il y a quatre ans, un de nos artistes, Gilles Barbier était présent à la Biennale. Mais, il n’a pas pu imposer l’œuvre qu’il voulait. C’est plutôt Bâle qui a eu un effet déclencheur pour lui. Tatiana a pu, elle, défendre son choix », explique Georges-Philippe Vallois. Les galeries françaises qui présentent leurs poulains à l’occasion de cette manifestation espèrent aguicher surtout leurs confrères américains. Cette quête du marché américain n’est pas une priorité pour Anri Sala, défendu en France par Chantal Crousel et aujourd’hui courtisé par plusieurs enseignes américaines. Les premières vidéos de ce chouchou de la scène internationale coûtaient en 1999 entre 6 000 et 9 000 euros. Il faut compter aujourd’hui entre 20 000 et 30 000 euros, selon la complexité de la présentation.
Plus installés que ces jeunes pousses, Philippe Parreno et Dominique Gonzalez-Foerster figurent aussi dans la sélection. Tous deux jouissent depuis cinq ans d’un véritable intérêt. Les premières Chambres proposées par Dominique Gonzalez-Foerster voilà dix ans suscitaient la réticence des collectionneurs et la timidité des institutions. Ses prix ont depuis notablement évolué. Les tout premiers environnements coûtaient entre 3 800 et 4 500 euros. Ils valent aujourd’hui entre 30 000 et 60 000 euros selon l’ancienneté. En trois ans, le prix de ses vidéos a aussi sensiblement progressé. Éditées à cinq exemplaires, elles se vendaient autour de 20 000 euros. Elles valent aujourd’hui entre 35 000 et 40 000 euros. « Son marché est devenu international depuis quatre, cinq ans. Depuis deux ans, elle monte en puissance. Quand on regarde sa biographie, il n’est pas surprenant de la retrouver à la Documenta l’an dernier et à la Biennale cette année », estime sa galeriste Jennifer Flay.
D’autres artistes, comme Annette Messager ou Thomas Hirschhorn, bénéficient déjà d’un marché fort à l’étranger. Présent aussi l’an dernier à la Documenta, l’artiste suisse Thomas Hirschhorn est devenu un incontournable de ces manifestations internationales. Adepte d’une terminologie militante, le sculpteur assène en continu l’adage « travail, engagement et positionnement ». Nul étonnement dès lors qu’il figure dans la section « Station Utopie » de la Biennale. Si ses matériaux de prédilection comme le carton, le scotch adhésif ou le papier aluminium, soulevaient une certaine perplexité, il a aujourd’hui rejoint de grandes collections internationales. Depuis l’automne dernier, il est chapeauté par la toute puissante galerie américaine Barbara Gladstone. « Ses prix ont augmenté de manière raisonnable, entre 10 et 20 % par an en fonction de la complexité du travail. C’est lui qui décide à chaque fois de la hausse », explique Chantal Crousel qui travaille avec lui depuis 1996. Malgré ses galons, Hirschhorn reste un artiste abordable. Ses premiers dessins en 1996 valaient autour de 600 euros. Ils se négocient aujourd’hui autour de 3 000 euros. Une petite pièce ancienne comme Oben Unten, datant de 1989, vaut aujourd’hui 5 000 euros. Ses installations plus complexes sont en revanche plus coûteuses.
Dans cette dernière catégorie on retrouve aussi Roman Opalka. En selle depuis trente-cinq ans, ce peintre d’origine polonaise a déjà inscrit son sillon dans l’histoire de l’art. Depuis 1965, il couvre ses toiles, baptisées Détails, d’une suite de nombres inscrits en blanc sur fond noir. Le fond s’est progressivement éclairci, l’écriture se confondant de plus en plus avec le support. Il siège en toute logique dans la section « Systèmes individuels » de la Biennale. Cet artiste reste rare puisqu’il ne réalise que deux à trois de ces Détails par an. Les prix, qui étaient de l’ordre de 110 000 à 120 000 euros voilà trois ans, avoisinent les 200 000 euros aujourd’hui. Les Détails ont aussi investi les ventes publiques, autour de 60 000 euros.
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Les Français contre-attaquent
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°548 du 1 juin 2003, avec le titre suivant : Les Français contre-attaquent