PARIS
Son matériau de prédilection est devenu le grès émaillé. Cependant Elmar Trenkwalder ne se considère ni comme un céramiste ni comme un sculpteur, mais comme un plasticien.
Paris. Bernard Jordan a ouvert un nouvel espace à Saint-Germain-des-Prés, où il rêvait de s’installer depuis longtemps. « Ce qui me plaît ici, c’est le mélange d’art contemporain, de second marché, d’antiquité, de design, et la proximité avec l’École des beaux-arts, qui assure son cachet au quartier », explique-t-il, ravi. Sa galerie, qui fêtera ses 40 ans en 2024, conserve, pour le moment, son adresse rue Charlot. « La crise sanitaire a perturbé notre programmation, nous avons besoin de nous rattraper en faisant plus d’expositions », précise-t-il. Après plusieurs mois très calmes dans le Marais, Bernard Jordan a apprécié l’animation lors du vernissage de l’exposition inaugurale, consacrée aux sculptures en grès émaillé d’Elmar Trenkwalder (né en 1959). L’affluence s’expliquait par l’effet de curiosité pour ce nouveau lieu, mais aussi par l’intérêt que suscite le travail du plasticien autrichien, qui figure dans d’importantes collections françaises, publiques et privées.
Amateur de beau bizarre, le collectionneur et mécène Antoine de Galbert, qui a exposé Trenkwalder à la Maison rouge – l’espace d’exposition de sa Fondation qui a fermé depuis –, a fait don en 2020 au Musée d’art moderne du Centre Pompidou d’une grande table surmontée de quatre figures (WVZ 0150-S, 2000) ; il s’agit de la première œuvre monumentale réalisée par l’artiste. Pour les besoins de l’exposition, Bernard Jordan en présente une autre, de proportions plus modestes, mais également plus ancienne (1992), un bas-relief en faïence blanc cassé comportant deux hauts panneaux symétriques, placé sur le mur du fond de la galerie (c’est la seule pièce de l’exposition dont le prix excède 50 000 euros). Cette façade ivoirine en trompe-l’œil témoigne de l’intérêt de l’artiste pour l’architecture. Avec sa frise ouvragée, ses colonnades et ses arches, elle présente l’aspect le plus féerique – mais aussi le plus classique – d’une production dont la profusion formelle hésite en permanence entre le grotesque et le voluptueux, l’obscène et un goût de l’ornement nourri de références maniéristes.
En 2012, une résidence à la Manufacture de Sèvres est l’occasion pour Elmar Trenkwalder, qui jusque-là modelait la terre, de s’initier à la céramique. Cette découverte se traduit par un enrichissement de sa palette chromatique, l’émaillage du grès ouvrant à de nouvelles audaces. Ainsi cette colonne aux torsions de liane (WVZ 348, 2019), dont les teintes mêlées mauves et verdâtres suggèrent une spumosité naturelle ou une alchimie secrète. Ou cette autre, sorte de trône ouvertement femelle, surmonté par une déité inconnue, et dont les reflets métalliques luisants tirent sur la coquille d’huître (WVZ 350, 2019). Cet apprentissage à la manufacture royale a poussé par ailleurs le plasticien à investir dans deux fours, lui permettant de maîtriser toute la chaîne, de l’esquisse à la cuisson, et de produire à corps perdu. Il faut imaginer combien la tâche est chronophage : une grande pièce de Trenkwalder peut comporter jusqu’à soixante-dix éléments nécessitant chacun deux cuissons… sans compter la casse. Celle-ci est cependant de plus en plus rare, car Trenkwalder a développé, en autodidacte complet, une approche de son art aussi sensible qu’empirique.
Il crée en façonnant la matière et compare sa dextérité à celle d’un pianiste qui a besoin de s’entraîner chaque jour. Aux murs, des dessins à la mine de plomb encadrés d’épaisses bordures en céramique reprennent un principe présent dès ses débuts, dans plusieurs séries, quand il peignait sur un morceau de moquette ou de carton dont il repliait, en les roulant, les bords pour en faire un cadre, qui se trouvait ainsi faire partie de l’image. Cette ambivalence entre le réel et l’imaginaire, la lourdeur et la légèreté, comporte aussi le rappel du geste de la main, toujours à l’œuvre. Tout comme l’humour teinté d’ironie de ces constructions étranges qui jouent avec l’idée du décoratif pour mieux la détourner.
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Les fantasmagories de grès d’Elmar Trenkwalder
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°582 du 4 février 2022, avec le titre suivant : Les fantasmagories de grès d’Elmar Trenkwalder