Ventes aux enchères

Lyon

Le style Anaf creuse l’écart

Succès d’un commissaire-priseur hors catégorie

Par Pierre-Alain Four · Le Journal des Arts

Le 1 octobre 1994 - 690 mots

Comment faire d’une obscure étude lyonnaise l’une des premières de France en moins de 20 ans ? C’est le tour de force réalisé par Jean-Claude Anaf, sous l’œil inquiet mais aussi admiratif de ses confrères.

LYON - Jean-Claude Anaf, qui annonce "160 millions de francs de chiffre d’affaire en 1993", se place parmi les 10 % des commissaires qui réalisent 90 % des ventes françaises, et hisse du même coup Lyon juste derrière Paris, alors que la ville était 23e en 1975 ! Un résultat qu’il doit à une volonté de renouveler l’exercice de son métier : "Si certains de mes collègues se contentent de se faire appeler Maître, moi, je considère que c’est une époque révolue".

Il a importé les techniques parisiennes : "J’ai imité Mes Rheims et Ader. En province, j’étais le premier à le faire". Considérant son étude "comme une entreprise", il fait du commissaire-priseur un "commercial".

"Publicité tapageuse"
Jean-Claude Anaf organise des ventes prestigieuses – notamment à l’aide de marchands parisiens – accompagnées de catalogues rutilants, provoquant une abondance de pièces sur un marché local habitué à la discrétion, c’est-à-dire revendant ses beaux objets à Paris. Mais aussi, et peut-être surtout, ces ventes sont élégamment mises en scène parce qu’elles se déroulent à l’hôtel Sofitel et au Palais des congrès. Les annonces légales sont ainsi démultipliées par "l’événement", qui est repris par la presse locale, voire nationale. Grâce à ce coup de projecteur, Jean-Claude Anaf permet de "faire découvrir aux Lyonnais autre chose que les ventes à la sauvette" : la vente publique devient simultanément lucrative et de bon ton.

Mais cette dynamique n’est pas du goût de tout le monde. Me André Dumas, qui s’est installé à Lyon en même temps que Jean-Claude Anaf se refuse "à entrer dans le jeu des publicités tapageuses et des catalogues sur papier glacé qui détruisent le charme des enchères, parce que la clientèle est trop impressionnée pour participer". Me Michel Rambert, de l’étude Rambert-Leseuil, estime que "Jean-Claude Anaf est davantage un organisateur de ventes, au demeurant excellent, qu’un connaisseur des objets d’arts, car il délègue l’évaluation aux experts". "Mes confrères sont des esthètes, ils contemplent les objets. Pendant qu’ils en rentrent un, moi j’en rentre cinquante", rétorque Me Anaf.

Investir dans la pierre
En 1988, Jean-Claude Anaf s’est emparé de la gare des Brotteaux, récemment désaffectée. Pour 15 millions de francs, il s’est offert une salle des ventes modulable, des réserves fonctionnelles et des bureaux luxueux. Dès la première année, son chiffre d’affaire a progressé de 60 %, indique-t-il. L’an dernier, il a fait construire à Saint-Priest un hangar futuriste pour ses ventes de matériel informatique et de quelque 4 000 voitures. Dans les deux cas l’image, c’est-à-dire le bâtiment, sert de publicité à l’étude.

Mais la grande habileté de Jean-Claude Anaf est d’aborder son métier sans préjugés : "Je me considère comme un généraliste : un commissaire-priseur doit vendre de tout". Ainsi, les objets d’art l’ont fait connaître, mais n’ont jamais constitué plus de 60 % du chiffre d’affaires (encore était-ce pendant la période d’euphorie du marché de l’art). Estimant qu’il "ne pouvait en rester là", Jean-Claude Anaf s’est habilement orienté sur des créneaux moins nobles, mais tout aussi rémunérateurs : ventes judiciaires et véhicules représentent aujourd’hui les deux tiers du chiffre. "Moi, je ne me suis pas transformé en garagiste", lache Alain Milliarède, doyen de la profession à Lyon, illustrant le fossé qui sépare deux conceptions radicalement différentes du métier.

En fait, la plupart des commissaires-priseurs lyonnais ne cherchent pas à adopter le "style" Anaf. Bien au contraire, ils préférent défendre une conception plus traditionnelle du métier. "On fait de la vente véritable, on ne travaille pas avec des marchands, mais avec des notaires", affirme Benoît Scrive. Certaines études se sont néanmoins spécialisées sur des créneaux très pointus, comme André Dumas avec l’art oriental ou Michel Rambert avec les ventes de violons. Mais, seule l’étude Rambert et Leseuil est affiliée au groupe Gersaint dans le but "d’organiser des ventes à l’échelle nationale". Dans l’ensemble, l’hégémonie de Jean-Claude Anaf est vécue avec fatalisme : "Il ne joue pas dans la même catégorie que nous", confie Benoît Scrive.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°7 du 1 octobre 1994, avec le titre suivant : Le style Anaf creuse l’écart

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