Après la vogue chinoise, la scène russe montre ses dents. État des lieux d’une création entre Pop et Sot’s Art qui manque cruellement d’infrastructures...
A l’aube de la perestroïka, les professionnels du marché de l’art ont arpenté l’Empire éclaté en quête de nouveaux créateurs. Révélés par cette pêche pas toujours miraculeuse, seuls Ilya Kabakov, Erik Bulatov ou Komar & Melamid se sont tracés un chemin sur la scène internationale. Au point que, lors de la vente d’art contemporain russe orchestrée par Sotheby’s en février 2007, une pièce de Bulatov a atteint le record de 251 600 euros.
La Révolution, le Pop Art et les médias, sources d’inspiration des artistes russes
Depuis cinq ans environ, une nouvelle vague d’artistes se fraie un chemin dans les arcanes occidentaux. « Moscou, désormais au diapason du monde, s’emballe. Mais deux fois, quatre fois, dix fois plus vite semblerait-il. Même si, de l’intérieur, le sentiment qui semble prédominer au sein de la scène artistique est celui d’une certaine forme de stagnation agitée », écrivait Anne Landréat dans la préface de l’exposition « Passage d’Europe », organisée en 2004 au musée d’Art moderne de Saint-Étienne.
La scène moscovite actuelle semble éclatée, fragile, car dépourvue d’infrastructure d’accompagnement, ce malgré le lancement d’une biennale d’art contemporain en janvier 2005. « Le marché russe est en route, mais le problème c’est qu’on n’a que 5 à 7 artistes autour de 45-50 ans, comme AES, Dimitry Gutov ou Alexandre Ponomarev », indique Olga Sviblova, directrice de la Maison de la photographie à Moscou. Bien qu’il soit illusoire de résumer des sensibilités singulières sous une oriflamme nationale, quelques sources d’inspiration pointent en filigrane autour de la Révolution, du Pop Art et des médias.
Le Pop est la terre d’élection des duettistes Dubossarsky & Vinogradov, dont les paradis terrestres et aquatiques pataugent dans le kitsch. En 2003, leurs peintures valaient autour de 12 000 euros. Deux ans plus tard, le collectionneur britannique Charles Saatchi leur a acheté deux œuvres. En mai dernier, la galerie new-yorkaise Jeffrey Deitch proposait certaines toiles pour 97 000 euros !
Une progression similaire s’observe pour Valery Koshlyakov, d’abord connu pour ses reproductions en Scotch des icônes de l’histoire de l’art. Voilà encore dix ans, celles-ci valaient autour de 5 000 euros. La galerie Orel Art propose aujourd’hui ses grandes peintures pour 43 000 euros.
A la légèreté de Blue Noses, Kulig et Ponomarev offrent un art aux positions plus féroces
Découvert aussi bien à la Biennale de Moscou qu’à celle de Venise en 2005, le collectif satirique Blue Noses s’est fait connaître par ses vidéos très potaches projetées dans des boîtes en carton et ses photos reprenant les formes des constructions suprématistes, mais avec du pain noir et du salami. Des œuvres qui ne sont pas sans rappeler les marqueteries en salaisons de Wim Delvoye. Le collectif a lui aussi observé des embardées notables. Des vidéos qui s’échangeaient pour 1 000 dollars en 2000 valent entre 6 000 et 9 000 euros aujourd’hui à la galerie Volker Diehl.
Cette légèreté proche du Grand-Guignol ne doit pas masquer certaines positions plus féroces, comme celle d’Oleg Kulig. Ce dernier avait d’abord choisi le registre de l’animalité, en se transformant en chien aboyeur et mordeur. La galerie Rabouan-Moussion proposait en 2005 sur la Fiac, pour 50 000 euros, une installation de Kulig baptisée Holy Family, représentant un Abribus dans lequel
on voit la photo d’une terroriste tchétchène à l’emplacement des habituels panneaux publicitaires.
Représenté par la galerie Cueto Project à New York, Alexandre Ponomarev est un artiste singulier. Ancien officier de marine et ingénieur naval devenu artiste, il cherchera à redonner vie aux épaves de bateaux... en les peignant. Dans la foulée, il transformera les sous-marins, objets de guerre par excellence, en objets d’art. En mai dernier, il proposait chez Cueto Project des projections réalisées à partir de l’image d’une coque de bateau en navigation. Son exposition l’an dernier à la Salpêtrière, dans le cadre du Festival d’automne, et sa prestation remarquée dans le pavillon russe à la Biennale de Venise lui promettent une bonne notoriété internationale.
Vlad Monroe Avec un narcissisme consommé, cet artiste prend les atours des célébrités, de Greta Garbo à Andy Warhol en passant par Marilyn Monroe. Difficile de voir dans ces grimages plus que du one-line joke. AES Ce collectif s’est fait connaître lors de la Biennale de Venise 2007 avec les images glaciales de jeunes adolescents s’égorgeant les uns les autres à l’arme blanche. Dubossarsky & Vinogradov Leurs peintures aux couleurs aquatiques puisent dans le kitsch et les icônes de la consommation, mélangeant ainsi l’héritage du réalisme socialiste et celui du Pop.
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La Russie, futur eldorado de l’art ?
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Abonnez-vous dès 1 €Pourquoi l’art contemporain russe a-t-il tardé à décoller à l’étranger et notamment en France par rapport à l’art contemporain chinois ? L’année de la Chine en France, en 2002, avait déclenché une grande vague d’intérêt. Pour la Russie, il n’y a pas eu d’événement global. L’exposition « Russia ! » au Guggenheim en 2005 a été le point déclencheur. À partir de là, on a vu venir un grand nombre de collectionneurs en galerie. Je pense que 2010, qui marquera l’année de la Russie en France et de la France en Russie, aura aussi un effet positif. Y a-t-il une spécificité de la scène russe actuelle ? C’est une génération qui a grandi avec le Sot’s Art et qui revisite ce mouvement. Il y a toujours eu dans l’art russe beaucoup d’humour, de critique sociale. L’autre courant dont s’inspirent les artistes, c’est le Pop Art. On observe aussi un grand retour de la peinture, qui avait été abandonnée. Les prix de ces artistes se sont-ils emballés ? Lorsque nous avons présenté Dubossarsky et Vinogradov pour la première fois en France en 2003, les prix étaient au maximum de 10 000-12 000 euros. Les mêmes œuvres valent aujourd’hui 50 000 euros. On essaie de ne pas être influencé par les ventes publiques. Une œuvre de Dubossarsky et Vinogradov a fait 170 000 euros chez Phillips. Mais on ne peut pas mettre de tels prix en galerie.
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°604 du 1 juillet 2008, avec le titre suivant : La Russie, futur eldorado de l’art ?