Après de longues années de préparatifs, l’ouverture du marché des ventes volontaires se profile enfin. La tête pensante du dispositif se nomme Conseil des ventes volontaires. C’est lui qui sera chargé de gérer un dispositif réglementaire qui, à la lecture de la loi du 10 juillet 2000, se révèle être une usine à gaz. Une crainte encore confirmée par l’étude des décrets d’application publiés en juillet dernier. Une fois sorti de la confusion de la réforme, le Conseil pourra-t-il donner une orientation claire à ces textes ?
PARIS - Pour opérer il ne manque qu’une chose au Conseil des ventes : une orientation législative claire qui aujourd’hui lui fait défaut pour ordonner son action. Cette carence n’a rien de surprenant si l’on sait que la loi et les textes d’application ont cherché à concilier les attentes contradictoires d’officiers ministériels recroquevillés sur leurs acquis et de sociétés internationales désireuses d’ajouter un marché à leur couronne. Sur cette confusion des objectifs est venue se greffer une législation européenne qui imposait dans la forme, sinon au fond, le respect des principes de liberté d’établissement et d’exercice.
Dans ce contexte – qui explique l’interminable cheminement de la réforme –, le législateur puis les rédacteurs des décrets d’application, empêtrés dans des considérations technico-juridiques, ne pouvaient que se concentrer sur une chose : en finir. Avec l’espoir que l’échafaudage complexe sur lequel ils ont hissé le marché français des enchères ne s’effondrerait pas au premier grain.
Il revient donc maintenant au Conseil des ventes de donner à la réforme le souffle qui lui manque. Heureusement, il lui est épargné le soin de gérer l’indemnisation.
Pour les professionnels, l’absence d’orientation claire fixée par la loi pourrait être considérée comme une chance, car elle pourrait leur laisser le soin de déterminer leur propre avenir. Dans ce sens, la composition œcuménique du premier Conseil des ventes – à la notable exception d’un représentant identifié des grands antiquaires français – semble lui donner l’apparence d’une coalition représentative de l’interprofession. La présidence de Gérard Champin qui pouvait laisser penser que les commissaires-priseurs assumaient sans gêne la réalité du pouvoir avec la bénédiction du ministère de la Justice, assurera au moins une mémoire au Conseil et rassurera les commissaires-priseurs qu’aurait pu inquiéter la forte représentation des sociétés de ventes anglo-saxonnes et de leurs homologues parisiennes. Il reste à savoir si la complexité du dispositif réglementaire ne va pas enliser le travail du Conseil.
Un double filtre d’accès au marché
Car les textes d’application n’ont pas simplifié la lecture du dispositif. Ainsi des décrets qui font clairement apparaître un double filtrage de l’accès au marché.
Le premier, clairement identifié dans la loi, est celui de l’agrément des sociétés de vente. Il est censé réguler la liberté d’établissement en autorisant les sociétés de ventes volontaires établies en France à exercer leur commerce.
Il y a quelques années, le rapport Aicardi imaginait de conditionner la création de sociétés de ventes à la détention d’un capital social minimum fixé à 100 ou 200 millions de francs. Mais cette construction heurtait à la fois le droit européen qui aurait pu la juger disproportionnée, et les impératifs des études petites et moyennes qui auraient été contraintes à des regroupements qu’elles ne voulaient ou ne pouvaient envisager.
La réforme en a tiré les conséquences en prévoyant la vague définition de moyens financiers et humains appropriés, complétée d’obligation d’assurance sur les fonds vendeurs exprimée au prorata des ventes prévisionnelles. De la sorte, toutes les études de France pourront requérir et obtenir un agrément. Cette situation n’est pas en elle-même positive ou négative. Elle satisfera ceux qui plaidaient pour des études “aménageuses du territoire”, dont la disparition aurait laissé un vide en province ; elle inquiétera ceux qui espéraient des regroupements d’études permettant de constituer des unités suffisamment importantes pour entrer en concurrence avec les majors anglo-saxons. En fait, la réforme tire les conséquences des tentatives avortées de regroupements conduites depuis 1990. Et comme la loi a institué la compatibilité entre le statut d’officier ministériel et la participation à des sociétés de ventes volontaires, il est prévisible que d’assez nombreux commissaires-priseurs cumuleront.
Le deuxième outil de contrôle législatif était moins visible. Pour répondre à l’impératif de liberté d’exercice à l’échelle européenne, tout en maintenant un certain niveau de compétence, le texte prévoit une habilitation des personnes dirigeant les ventes.
Un dispositif à géométrie variable
Ce deuxième rideau s’est développé, d’une façon extrêmement complexe, dans les décrets d’application. Pour éviter d’enfreindre les principes européens, les décrets d’application ont établi un dispositif à géométrie variable, prenant en compte les directives européennes sur la reconnaissance des diplômes mais également le degré de réglementation de l’État d’origine des postulants. Le tout sous le contrôle du Conseil des ventes qui peut, in fine, décider de faire passer différents examens, depuis l’épreuve devant jury à l’audition simplifiée permettant de s’assurer que “le teneur de marteau” connaît la réglementation française... Le dispositif est trop récent pour en mesurer l’efficacité en termes de compétence, mais sa complexité, apparente ou réelle, aura pour premier effet de décourager les volontaires et de tenir à l’écart les sociétés de ventes européennes qui voudraient organiser des ventes occasionnelles.
Cette deuxième barrière va mécaniquement contribuer à valoriser les marteaux français. En effet, les textes habilitent d’office les titulaires de l’ancien “diplôme français” de commissaires-priseurs. Cette mesure profitera à ceux qui n’avaient pu s’acheter une charge (ils sont plus d’une centaine) qui pourront désormais “louer” leur marteau. Mais aussi aux officiers ministériels en place qui seront tentés d’en faire autant (certains le font depuis de nombreuses années). Ces pratiques éloigneront d’autant l’obligation de regroupement, de modernisation et d’investissement. Au surplus, certains pourraient se dire qu’il y a plus à gagner à protéger ce nouveau “monopole du titre” qu’à se lancer dans la compétition. Dans cette hypothèse, le Conseil des ventes pourrait avoir à arbitrer des actions d’obstruction systématique contre les ventes occasionnelles de sociétés européennes non implantées, ou même contre la constitution en France de sociétés de ventes volontaires qui ne voudraient pas payer “l’impôt” imposé par la loi obligeant indirectement de recourir à un marteau. Et il n’est pas exclu qu’un consensus se fasse à l’intérieur du Conseil des ventes autour d’un nouveau statu quo : un oligopole à Paris et l’émiettement en province. Mais, en définitive, “passoire” ou gardien, le Conseil des ventes, s’il parvient à surmonter les contradictions de la réforme qui sont largement celles des professionnels, pourrait devenir l’autorité qui manque au marché de l’art français.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
La réforme des ventes publiques à la loupe (part I)
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°133 du 28 septembre 2001, avec le titre suivant : La réforme des ventes publiques à la loupe (part I)