Les ventes de novembre, à Genève, sont dominées par l’un des œufs impériaux de Fabergé les plus extraordinaires, estimé entre 3,2 et 5,8 millions de francs suisses.
GENÈVE - Christie’s Genève se métamorphose, au fil des ventes, en poule aux œufs d’or. Régulièrement, chaque catalogue de vente aux enchères d’objets Fabergé propose la dernière ponte. En mai dernier, deux œufs de Fabergé, le "fleur de pommier" et "l’œuf de glace", se sont vendus respectivement 1 213 000 et 311 500 francs suisses.
Le 16 novembre, Alexis de Tiesenhausen, l’expert en art russe de Christie’s, propose l’objet le plus important créé par les ateliers de Fabergé et offert aux enchères depuis la vente des ex-collections du roi Farouk en 1954 : il s’agit de l’œuf "hiver".
Le jour de Pâques, le tsar Nicholas II avait coutume d’offrir à son épouse et à sa mère une somptueuse pièce d’orfèvrerie en forme d’œuf et contenant une surprise. L’élaboration de tels chefs-d’œuvre – les réalisations les plus étourdissantes de Fabergé – prenait exactement un an entre le dessin préliminaire et l’exécution finale, et ces œufs n’ont pour rivales que les boîtes en or et pierres précieuses réalisées pour le roi Frédéric de Prusse. L’œuf "hiver" a été créé pour l’impératrice douairière en 1913, date commémorative du troisième centenaire de la dynastie Romanov.
La facture originale, retrouvée dans les archives d’État de Saint-Pétersbourg, décrit l’objet comme un "grand œuf fait en cristal de roche, décoré de motifs de givre avec 1 308 petits diamants sertis dans le cristal, les bords ornés de 360 brillants (…). À l’intérieur de l’œuf, un petit panier de platine, décoré de 1 378 petits diamants, contenant des anémones de quartz blanc avec feuilles en néphrite". D’un prix de vingt-quatre mille six cents roubles, c’est l’ouvrage le plus cher jamais vendu par Fabergé.
Renouveau dans l’art décoratif
Cet œuf symbolise également un renouveau dans le goût des arts décoratifs russes, qui ont toujours oscillé entre le néo-rococo, la copie du style Louis XVI et l’influence slavisante, négligeant le Symbolisme et l’Art nouveau. Après toute une série résolument classique, représentant des carrosses, des palais, des effigies impériales, cet œuf reprend le thème de la résurrection pascale avec les anémones qui percent à travers la neige. Les dessins préparatoires furent exécutés par Alma Theresia Phil, qui apportait toujours une note poétique aux pièces auxquelles elle participait, poésie qui fait souvent défaut dans les productions de Fabergé.
Enfin, pour le marché de l’art, cet objet a d’autres qualités fondamentales : il est reproduit dans tous les catalogues et livres raisonnés ; il est intact, toutes les parties qui le composent sont authentiques, assure Christie’s, et il a aussi l’attrait de l’objet mystérieux, puisqu’il est apparu sur le marché pour la dernière fois en 1948 et n’a jamais été exposé depuis. Il est estimé de 3 200 000 à 5 800 000 francs suisses. N’oublions pas que Christie’s a vendu, en mai 1989 pour 5 280 000 francs suisses, un autre œuf impérial, le "pomme de pin". Ce record risque fort d’être battu.
Le reste des ventes d’automne de Christie’s et Sotheby’s souffre de la comparaison avec une pièce aussi prestigieuse. Toujours chez Christie’s, deux paires d’objets sont toutefois dignes d’attention. Une paire de montres-vaporisateurs de parfum en forme de pistolet, faite pour le marché chinois en 1810 par les orfèvres genevois Bautte et Moynier, demeure le sommet du raffinement. En appuyant sur la gâchette, une tulipe éclot du canon et répand les essences les plus rares.
Une paire de jardinières faisant partie d’un très fameux surtout de table, exécuté par l’orfèvre lillois Pacot pour un commanditaire anglais – la ville de Lille étant occupée par les Anglais à l’époque –, estimée de 250 000 à 350 000 francs suisses, est l’objet le plus important de la vente d’argenterie de Christie’s. Plusieurs pièces de ce surtout étant apparues aux enchères ces dernières années, le résultat de la vente sera intéressant à observer.
Chez Sotheby’s, comme toujours, la vente la plus intéressante sera celle d’argenterie. Le lot le plus important est, certes, un peu périlleux car il passe pour la troisième fois en douze ans dans une vente aux enchères à Genève, avec une estimation alignée sur le dernier prix, réalisé en 1990, de 1 300 000 à 1 600 000 francs suisses. Il s’agit d’une paire de soupières de Jean Baptiste Claude Odiot, faite à Paris en 1819 pour le Comte Branicki, et qui faisait partie d’un service énorme, comparable seulement à celui du prince Demidoff.
À ce sujet, il est juste de rappeler qu’une paire de rafraîchissoirs du service Demidoff qui, elle aussi, passa en vente trois fois dans le même laps de temps, trouva preneur de la même façon en mai dernier, toujours chez Sotheby’s. Le lot artistiquement le plus intéressant reste un plat belge datant de 1630, de l’orfèvre anversois Wierick Somers I. Cet exemple typique du maniérisme flamand, toujours demeuré la propriété de la même famille espagnole, est estimé de 300 000 à 400 000 francs suisses.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
La poule aux œufs d’or
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°8 du 1 novembre 1994, avec le titre suivant : La poule aux œufs d’or