PARIS
Les tableaux grand format saturés de couleurs que cet artiste américain réalise à l’aide d’une imprimante sont accrochés à la galerie Chantal Crousel.
Paris. C’est la troisième exposition personnelle de Wade Guyton (né en 1972, aux États-Unis) à la galerie Chantal Crousel. Depuis sa rétrospective de mi-carrière au Whitney Museum de New York (« Wade Guyton OS », 2012), les prix de ses tableaux de grand format (213,4 x 175,3 cm) n’ont cessé d’augmenter, excédant aujourd’hui le demi-million d’euros. Le processus créatif en revanche est resté le même. À partir d’une photo, le plus souvent prise avec un smartphone, Wade Guyton effectue une impression sur une toile de lin. Celle-ci, pliée en deux, est insérée, d’un côté, puis de l’autre, afin que toute sa surface soit traitée. La toile étant enduite, l’encre de l’imprimante s’écoule souvent de façon excédentaire sans pouvoir en pénétrer la trame, laissant des traînées qui, sur le tableau, apparaissent à la verticale, dans le sens de la hauteur, tandis qu’au milieu, elles forment une rigole de peinture rappelant l’endroit du pli.
Les sujets sont quasiment tous issus de l’environnement immédiat de l’artiste, celui du studio : le sol de l’atelier, le détail du cannage d’une chaise, un motif agrandi jusqu’à devenir une image matricielle de points de couleur (bitmap). Les seuls apports extérieurs proviennent d’une vue de la ville, New York, prise depuis la fenêtre de l’atelier en chantier, et d’une capture d’écran, difficilement lisible, de la une du New York Times témoignant d’un rapport au réel également numérisé. La seule exception à ce protocole de confinement volontaire a fourni l’image du carton d’invitation, fortement énigmatique : il s’agit du cadavre d’un daim échoué sur un rivage caillouteux. On peut y voir une référence à un tableau de Gustave Courbet (Biche morte), que l’artiste a peut-être vu au Musée d’Orsay, ou bien, comme le suggère John Kelsey dans son texte de présentation, une allusion à « l’équation faite par Warhol entre sérialité et mort ». Dans tous les cas, il s’agit d’un clin d’œil crypté à l’histoire de l’art.
D’un point de vue conceptuel, Wade Guyton expose et explore le potentiel créatif de la technologie : la part de hasard, ou d’erreur, capable de produire une variante, l’imperfection (telles ces coulures de peinture) inhérente à une inadéquation qu’il pousse à ses limites, de la même manière qu’il sature la gamme chromatique, jusqu’à obtenir cette fois des couleurs fluo. Mais c’est aussi un jeu entre le fini et l’infini qu’évoque son travail, lequel inlassablement part du même espace et des mêmes moyens, réduits, à sa disposition pour tenter inlassablement d’inventer une chose nouvelle. Cet éternel recommencement à partir de l’existant se manifeste aussi dans l’accrochage, les tableaux issus de mêmes séries, telles les vues d’atelier, revenant aux mêmes emplacements que dans l’exposition précédente.
Pour introduire cependant un nouveau paramètre dans cette réalité limitée, Wade Guyton a démoli les murs occultant deux fenêtres de la galerie, laissant à l’état brut les ouvertures opérées. Sur le plan esthétique, ses images, dont on ne sait s’il faut les définir comme des photos ou des peintures, s’imposent par une tension entre le banal et l’indéfinissable, qui force à regarder, mais aussi par ce corps à corps avec la machine, plus que jamais d’actualité.
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La partition à l’infini de Wade Guyton
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°614 du 23 juin 2023, avec le titre suivant : La partition à l’infini de Wade Guyton