La fiscalité du marché de l’art s’est stabilisée en 2014 et 2015. Dans le même temps, la coopération entre les administrations fiscales de nombreux États s’est considérablement renforcée.
À l’exception d’une importante réforme fiscale en Espagne, l’année 2014 a été marquée par une relative stabilité pour les systèmes fiscaux nationaux des États couverts par cette étude. Cependant, comme en 2013, certains dispositifs spécifiques au marché de l’art ont encore évolué, notamment en France. Le plus grand fait marquant de 2014 se situe davantage sur le plan international, dans l’intensification sans précédent de l’assistance entre les administrations fiscales.
Fiscalité patrimoniale : un cadre français stable mais particulièrement lourd
Le cadre applicable à l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF), tel qu’issu des dispositions de la loi de finances pour 2013, est resté stable. Au cours des travaux sur la loi de finances pour 2015, un amendement parlementaire rituel tendant à la suppression de l’exonération des œuvres d’art a été, comme chaque année, déposé et rejeté, cette fois-ci sans grand débat. Hors de France, seule la Suisse, au niveau cantonal, et l’Espagne pratiquent une telle imposition. En Espagne, l’impôt sur la fortune, qui est levé par les communautés autonomes, a été réintroduit en 2008 à titre temporaire, mais, reconduit chaque année depuis 2011, il a encore été prorogé pour 2015 (pour la dernière fois, selon les déclarations du gouvernement espagnol).
La fiscalité successorale française, qui contrairement à l’ISF frappe les œuvres d’art, figure toujours parmi les plus lourdes notamment en ligne directe, avec un taux marginal de 45 % et des abattements à la base d’un montant réduit. On a déjà signalé dans ces colonnes que la fiscalité successorale varie fortement entre les États, et qu’un nombre important d’entre eux (Chine, Hongkong, Singapour, Luxembourg, Russie, certains cantons suisses…) ne l’appliquent pas du tout ou en tout cas pas en ligne directe alors que certains pays, comme l’Italie, pratiquent des taux très modestes. Dans certains États (États-Unis, Royaume-Uni, Allemagne…), les taux d’imposition, du moins en ligne directe, s’approchent des taux français, mais c’est généralement sous réserve d’abattements plus généreux, qui permettent d’exonérer une part importante des successions. Plus rarement, quelques législations offrent également un régime d’exonération totale ou partielle pour certaines catégories d’œuvres d’art (en Espagne ou en Allemagne).
Sur le plan successoral, l’année 2014 a été marquée par une mauvaise nouvelle pour les contribuables entretenant des liens avec la Suisse. La France a en effet dénoncé, depuis le 1er janvier 2015, la convention franco-suisse du 31 décembre 1953 qui visait à éviter les doubles impositions en matière d’impôts sur les successions. En substance, cela conduit notamment à assujettir aux droits de succession français la valeur des biens immobiliers ou œuvres d’art situés en Suisse dès lors que le défunt ou le bénéficiaire étaient fiscalement domiciliés en France le jour du décès.
L’impôt sur le revenu des particuliers : aucun changement notable en 2014
La fiscalité des revenus des particuliers a été, dans ses grandes lignes, remarquablement stable en 2014, ce qui contraste notamment avec la période 2011-2013. On signalera quand même, en France, une mini-réforme du barème de l’impôt sur le revenu (suppression du taux de 5,5 %), dont seuls cependant les ménages modestes ont tiré un avantage. Sur ce point, à l’étranger, la seule réforme fiscale d’envergure a eu lieu en Espagne, avec une simplification d’un barème complexe partagé entre l’État central et les communautés autonomes ainsi qu’une baisse des taux. Les taux marginaux de l’impôt sur le revenu espagnol sont ainsi repassés au-dessous de la barre de 50 % tout en restant très élevés en comparaison avec les autres pays.
La charge fiscale pesant en France sur les revenus des particuliers reste élevée mais pas exceptionnelle, plusieurs États atteignant des niveaux comparables (Espagne, États-Unis, Allemagne, Royaume-Uni, Belgique…).
En matière de plus-values lors des cession d’œuvres d’art réalisées par les particuliers, la possibilité d’arbitrer entre une taxe forfaitaire de 6,5 % sur le prix de vente et une imposition proportionnelle de la plus-value de cession (de 34,5 % mais sur une assiette égale à la différence entre le prix de cession et le prix d’acquisition, diminuée d’un abattement pour durée de détention) est un avantage pour le collectionneur français par rapport à la fiscalité espagnole, américaine ou britannique. Mais elle ne résiste pas à la comparaison avec une exonération pure et simple des plus-values mobilières réalisées dans le cadre de la gestion du patrimoine privé (Belgique, Italie, Singapour, Hongkong…) ou une exonération acquise au terme d’un délai de détention bref (un an au plus : Allemagne, Luxembourg…). Sur ce point, aucun changement notable n’est à signaler en France, après, certes, un alourdissement récent opéré par la loi de finances pour 2014 : d’une part, le taux de la taxe forfaitaire, frappant le seul prix de vente d’une œuvre d’art, a été rehaussé et passe de 5 % à 6,5 % (compte tenu de la CRDS [contribution au remboursement de la dette sociale]) ; d’autre part, le taux de l’abattement pour durée de détention applicable à la plus-value a été substantiellement raboté et est passé de 10 % à 5 % pour chaque année de détention au-delà de la deuxième.
En 2014, l’Espagne a modifié sa législation applicable aux plus-values de cession avec, certes, une baisse des taux du barème progressif spécifique applicable à cette catégorie des revenus, mais celle-ci s’est parallèlement accompagnée de la suppression de tout un système d’abattements qui permettaient de réduire l’imposition de certains biens détenus de longue date.
Fiscalité directe des entreprises : décrochage de la France
En matière d’impôts sur les bénéfices des sociétés, important pour les marges des intermédiaires du marché de l’art, le groupe d’États qui affichent un taux supérieur ou égal à 30 % se réduit encore et ne compte plus que la France, les États-Unis, la Belgique, l’Allemagne et l’Italie (si on tient compte de l’impôt régional sur la valeur ajoutée). La réforme fiscale adoptée en 2014 par l’Espagne a ramené le taux de l’impôt sur les sociétés de 30 % à 28 % pour 2015 et à 25 % pour 2016. Au Royaume-Uni, le taux de l’impôt sur les sociétés baissera à 20 % à partir du 1er avril 2015 alors qu’il était encore de 28 % en 2010. Dans les pays asiatiques, il est de 25 % en Chine et inférieur à 20 % à Hongkong et au Singapour. Ainsi, en comparaison avec les autres pays, les niveaux de l’imposition des bénéfices des entreprises françaises apparaissent de plus en plus élevés, surtout si on intègre dans l’analyse l’impôt local, à savoir la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) ; un équivalent existe en Italie seulement, frappant jusqu’à 1,5 % la valeur ajoutée, soit une assiette plus large que le bénéfice (englobant, en substance, le bénéfice augmenté de la masse salariale et des charges financières, de sorte qu’une entreprise peut devoir payer la CVAE alors qu’elle ne réalise aucun bénéfice). Certes, le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE), qui permet aux entreprises d’imputer sur leur impôt sur les sociétés 6 % des rémunérations salariales versées, est désormais pleinement opérationnel. Mais il ne s’applique qu’à des rémunérations proches du salaire moyen (seuls les salaires inférieurs à 2,5 fois la valeur du smic sont éligibles), et s’analyse davantage en une baisse déguisée des cotisations patronales, par ailleurs particulièrement lourdes en France. Il y a fort à craindre que le décrochage en termes de taux d’imposition sur les sociétés ne pèse de plus en plus dans l’appréciation de la compétitivité internationale du marché français.
La TVA et impôts indirects : bonne nouvelle pour les artistes
Le feuilleton des modifications des taux de TVA, qui a débuté en 2012 par la création du taux intermédiaire de 7 %, porté ensuite à 10 %, s’achève par un happy end pour tous les acteurs concernés du marché de l’art. Après que le législateur a abaissé le taux de TVA à l’importation des œuvres d’art à 5,5 % à partir du 1er janvier 2014, la loi de finances pour 2015 a ramené, à partir du 1er janvier 2015, le taux de TVA applicable aux ventes directes des artistes de 10 % à 5,5 %. Les artistes français, qui dénonçaient une concurrence déloyale dès lors que les œuvres importées supportaient en 2014 un taux de TVA plus faible, ont donc obtenu gain de cause. Ainsi, les deux taux spécifiques au marché de l’art français retrouvent leur niveau d’avant 2012, raison pour laquelle, en comparaison avec les pays européens, les règles françaises en matière de TVA paraissent attractives : certains États (Royaume-Uni) n’appliquent pas, par exemple, de taux réduit aux ventes directes des artistes alors que la possibilité pour les intermédiaires d’asseoir la TVA sur une marge forfaitaire de 30 % du prix de vente reste une spécificité française (certes, copiée récemment par l’Allemagne, mais d’une façon qui ne satisfait pas, pour l’instant, les acteurs du marché).
Autre nouveauté de l’année, la loi de finances pour 2015 a supprimé, à compter du 1er janvier 2015, les droits d’enregistrement de 2,1 % applicables aux ventes publiques de biens meubles corporels, dont les œuvres d’art. En réalité, ces droits n’étaient susceptibles de s’appliquer qu’à des opérateurs de ventes volontaires agissant en intermédiaires « transparents » (ce qui implique de dévoiler le nom et les coordonnées du vendeur à l’acheteur) pour le compte, en substance, des clients non soumis à la TVA. Ces droits n’apportaient plus que 70 000 euros par an à l’État, ce qui a justifié leur suppression (Rapport no 2450, Assemblée nationale, p. 32). Ainsi, les droits de mutation à titre onéreux s’effacent définitivement du paysage fiscal du marché de l’art français alors qu’avant 1992 il s’agissait de l’imposition de droit commun des ventes publiques, à l’époque exonérées de TVA.
Sur le plan international, la Chine populaire reste toujours l’État qui fait supporter aux œuvres d’art importées la charge fiscale la plus lourde au titre à la fois de la TVA et, chose désormais exceptionnelle, des droits de douane. Dans ces conditions, le nouveau port franc culturel de Pékin semble promis à un bel avenir dès lors que ce type de structure permet d’entreposer et d’échanger des œuvres d’art en suspension de la TVA et des droits de douane. Leur multiplication, sur le modèle historique du port franc de Genève, est d’ailleurs une tendance lourde comme en témoigne l’exemple de Singapour et désormais de Pékin ou de Luxembourg.
L’intensification de la coopération administrative : un phénomène mondial majeur
Le développement majeur enregistré dans le domaine fiscal en 2014 sur un plan mondial n’est pas propre au marché de l’art, mais il l’intéresse au même titre que tous les secteurs de l’économie. Il tient à l’intensification de la coopération entre administrations fiscales qui intervient alors que, simultanément, les questions liées à la fraude et à l’optimisation fiscale agressive attirent une attention sans précédent de la part des médias généralistes (affaire Cahuzac, listes HSBC, scandale LuxLeaks…).
En effet, la lutte contre la fraude fiscale est devenue, avec la crise de 2008, une priorité absolue pour la plupart des gouvernements, les États du G20 ayant mandaté l’OCDE (l’Organisation de coopération et de développement économiques) pour conduire une action forte dans ce domaine. Ainsi, dès le sommet du G20 de Londres du 2 avril 2009, le principe de l’échange de renseignements entre administrations fiscales sur demande, y compris de renseignements bancaires et de renseignements détenus par des fiduciaires, a été érigé en « norme » internationale. Plusieurs États jusqu’alors réticents (l’Autriche, la Belgique, le Luxembourg et la Suisse) ont, à cette époque, abandonné le principe de l’opposabilité du secret bancaire aux demandes des administrations fiscales étrangères. Pour s’assurer de l’application effective de cette « norme OCDE », il a été créé un « Forum mondial sur la transparence et l’échange de renseignements à des fins fiscales » qui regroupe, à la fin 2014, 123 États et territoires, et évalue leurs progrès et manquements. Cependant, l’échange sur demande suppose, en substance, que l’administration à l’origine de celle-ci pose « la bonne question », ce qui implique qu’elle dispose déjà des éléments laissant présumer qu’un contribuable ait pu par exemple dissimuler un compte bancaire à l’étranger. L’année 2014 marque, de ce point de vue, un changement qualitatif, avec le passage de l’échange sur demande à l’échange annuel automatique des informations prédéfinies. Le 13 février 2014, l’OCDE a rendu publique une nouvelle « norme » relative à l’échange automatique de renseignements bancaires entre autorités fiscales, inspirée des accords dits « Fatca » conclus par les États-Unis avec plusieurs États, dont la France. Cette « norme » exige des États et territoires de se procurer des renseignements auprès de leurs institutions financières et de les échanger automatiquement avec d’autres États et territoires sur une base annuelle. Elle définit les renseignements relatifs aux comptes financiers à échanger, les institutions financières soumises à déclaration, les différents types de comptes et les contribuables concernés, ainsi que les procédures de diligence raisonnables à suivre par les institutions financières. À la fin 2014, 89 États et territoires se sont engagés à procéder aux échanges automatiques à partir de 2017 ou 2018. Parmi ces États et territoires, on trouve notamment la Suisse, les dépendances de la Couronne britannique (Bermudes, îles Vierges britanniques, les îles Caïmans, île de Man, Jersey…), Hongkong, Singapour ou les Émirats arabes unis.
Cet engagement a déjà été concrétisé par la signature le 29 octobre 2014 à Berlin, par 51 États et territoires, d’un « accord multilatéral entre autorités compétentes ». Par ailleurs, au sein de l’Union européenne, la mise en œuvre du principe d’échange automatique est encore plus avancée grâce à la révision du 9 décembre 2014 de la directive 2011/16/UE relative à la coopération administrative dans le domaine fiscal et à la révision de la directive 2003/48/CE (directive « épargne »), intervenue le 24 mars 2014.
La généralisation de l’échange automatique présente pour l’administration fiscale un avantage majeur par rapport à l’échange sur demande : l’administration devient chaque année destinataire d’une quantité importante de renseignements et peut découvrir des manquements dont elle ne soupçonnait même pas l’existence avec ses outils traditionnels de contrôle.
Un dossier réalisé en collaboration avec l’Institut Droit Art et Culture de l’université Lyon-III
Le tableau des fiscalités comparées [lire p. 30, 31] a été réalisé grâce au concours des étudiants du Master 2 professionnel « Droit et fiscalité du marché de l’art », attaché à l’Institut Droit Art et Culture (dirigé par le professeur Édouard Treppoz), faculté de droit, université Jean-Moulin Lyon-III : Blanche Baillet et Marie De Combles De Nayves (États-Unis) ; Juliette Rode (France) ; Arthur Yedid et Antoinette Samuel (Allemagne) ; Baptiste Durand et Léa Morgant (Espagne) ; Sophia Gintersos (Luxembourg) ; Patricia Falandysz et Richard Lefebvre (Chine) ; Antoine Dumont (Hong-kong) ; Agathe Lagauche (Suisse) ; Camille Edel et Loïc Imberti (Belgique) ; Raphaël Choukroun et Fabiola Rieussec (Royaume-Uni) ; Sophie Peyrat-Forestier (Russie) ; Camila Adach (Jersey) ; Maeva-Santa Antoniotti (Italie) ; Anna Marchand (Singapour). Leurs recherches ont été encadrées par Lukasz Stankiewicz, maître de conférences de droit public. Le Master 2 « Droit et fiscalité du marché de l’art », dirigé par Christine Ferrari-Breeur, maître de conférences (HDR) de droit public, a été créé il y a plus de dix ans et est, à ce jour, le seul master spécialisé dans le droit du marché de l’art. Avec moins de vingt étudiants pour une centaine de dossiers, il est aussi très sélectif.
Rens. http://dfma.univ-lyon3.fr
Lukasz Stankiewicz, maître de conférences de droit public, Centre d’études et de recherches financières et fiscales (CERFF), université Jean-Moulin Lyon-III
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La fiscalité du marché de l’art se stabilise
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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°433 du 10 avril 2015, avec le titre suivant : La fiscalité du marché de l’art se stabilise