La haute cour a confirmé l’obligation faite aux auteurs de catalogues raisonnés
d’y inclure l’ensemble de l’œuvre des artistes concernés.
Les litiges autour des catalogues raisonnés sont fréquents, à la mesure de l’enjeu que constitue l’inscription ou l’exclusion d’une œuvre dans l’ouvrage faisant autorité. Et lorsque les ayants droit des artistes y sont mêlés, les contentieux tournent au casse-tête chinois, les juges étant tiraillés entre les droits des possesseurs d’œuvres ostracisées, ceux des rédacteurs des catalogues, et enfin ceux des titulaires des droits moraux ou patrimoniaux des artistes.
En tranchant définitivement un litige autour d’une œuvre d’Atlan, par un arrêt du 13 mars 2008 (1), la Cour de cassation a joué l’apaisement tout en clarifiant les règles du jeu.
Double refus
À la source du litige, un tableau acheté en 1965 dans une galerie. À la fin des années 1990, l’acheteur, désireux de mettre le tableau en vente, s’était tourné vers les titulaires du droit moral et l’auteur du catalogue raisonné, pour obtenir des uns un certificat d’authenticité, de l’autre un écrit attestant que l’œuvre serait incluse dans les futures éditions du catalogue raisonné. Il s’était heurté à un double refus. Par voie judiciaire, il avait obtenu la désignation d’un comité composé de trois experts (un spécialiste en tableaux modernes, un expert scientifique et une experte en graphologie), lequel avait conclu à l’authenticité de l’œuvre en juillet 2001. En dépit de cette authentification judiciaire, il n’avait pu obtenir gain de cause. La Cour de cassation, saisie une première fois de la cause, avait annulé un premier arrêt d’appel en 2005 et renvoyé l’affaire devant la cour d’appel de Versailles.
Celle-ci avait scindé la question en deux, entre la position des titulaires du droit moral, et celle de l’auteur du catalogue raisonné. Elle avait estimé que le refus des héritiers du droit moral de délivrer un certificat d’authenticité n’était pas constitutif d’un abus de droit. En revanche, elle avait considéré que le refus de l’auteur du catalogue « d’envisager d’inclure le tableau litigieux, judiciairement authentifié, dans son prochain catalogue répertoriant l’œuvre complète de l’artiste était fautif » et l’avait en conséquence condamné « à procéder à l’insertion du tableau litigieux dans la nouvelle édition du catalogue, son supplément ou correctif en cours de préparation ». La cour d’appel avait en outre condamné l’auteur du catalogue à verser 20 000 euros de dommages et intérêts au propriétaire du tableau.
Obligation d’insertion
La Cour de cassation devait une nouvelle fois examiner l’affaire sur le pourvoi formé par le rédacteur du catalogue. Celui-ci arguait que l’obligation d’insérer un tableau « dont il a l’intime conviction qu’il n’est pas authentique [...] constitu[ait] une atteinte à la liberté d’expression » protégée par la Convention européenne des droits de l’homme. En outre, cette obligation portait atteinte à son droit moral d’auteur du catalogue, lequel est en soi une œuvre protégée par le droit d’auteur. La Cour de cassation a écarté cette double argumentation en rappelant « l’impératif d’objectivité que requiert l’établissement d’un catalogue présenté comme répertoriant l’œuvre complète d’un peintre, sans pour autant impliquer l’adhésion à cette mention de l’auteur de cet ouvrage ». Autrement dit, l’autorité d’une expertise judiciaire doit l’emporter sur la subjectivité de l’auteur du catalogue, puisque le catalogue se présente comme un inventaire objectif.
Après avoir ainsi cadré les marges de manœuvre de l’auteur d’un catalogue raisonné, la Cour de cassation en adoucissait cependant les conséquences, estimant que les juges de Versailles étaient allés trop loin en condamnant l’auteur à des dommages-intérêts.
Là encore, la Cour précisait les règles du jeu. La cour de Versailles avait retenu que, « quelle que soit la liberté de présenter dans un ouvrage, selon ses vues, les œuvres de l’artiste disparu, le cataloguiste répond[ait] cependant de ses fautes dans l’exercice de sa mission s’il p[ouvai]t être établi que son choix d’exclure l’œuvre litigieuse résult[ait] d’une omission volontaire, au mépris d’opinions émanant de personnes qualifiées et reconnues, au point de fournir dans son ouvrage une information non seulement partielle mais partiale ». Sans remettre en cause cette considération des juges de Versailles, la Cour de cassation considérait que « la simple déclaration [de l’auteur] selon laquelle il n’envisageait pas d’insérer le tableau dans de futures publications » n’exprimait qu’une « simple velléité », insuffisante pour caractériser « l’abstention fautive » sanctionnée par les dommages-intérêts. Ce que l’on doit comprendre en ces termes : si cette velléité se concrétisait, la condamnation s’imposerait.
In fine, la Cour de cassation annulait cette seule disposition de l’arrêt de Versailles – les dommages et intérêts –, mais confirmait le reste de l’arrêt, c’est-à-dire l’obligation d’insertion de l’œuvre.
Pas de révolution dans cet arrêt. Mais en quelque sorte un mode d’emploi qui laisse toute liberté aux titulaires des droits de l’artiste, tout en rappelant aux auteurs des catalogues qu’ils ne peuvent présenter leurs travaux comme des monuments d’objectivité qu’à la condition de faire place aux conclusions d’autres spécialistes.
Reste au propriétaire du tableau à attendre patiemment la prochaine édition ou l’addendum au catalogue.
(1) Cass. 1re ch. civ. 13 mars 2008, pourvoi n° B 07-13.024 sur CA Versailles, 12 janv. 2007.
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La Cour de cassation calme et précise le jeu
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°285 du 4 juillet 2008, avec le titre suivant : La Cour de cassation calme et précise le jeu