Les Rencontres du 9e art s’apprêtent à déferler sur Aix-en-Provence, mettant en lumière une BD « d’auteur », qui a gagné galeries et salles des ventes.
COLLECTIONNER - À partir du deuxième week-end d’avril, la BD s’expose partout à Aix : Jochen Gerner déconstruit la palette d’Hergé, Nine Antico s’interroge sur la féminité non sans une bonne dose d’ironie, Pierre La Police passe à la moulinette de l’absurde les stéréotypes de la culture populaire. Le propos de ces Rencontres ? « Défendre une programmation qui sort des sentiers battus pour donner à voir une scène graphique moins médiatisée », mettent en avant les organisateurs, une vision qui illustre le tournant pris par la bande dessinée. Dans les années 1960, le genre est renouvelé en profondeur par une série de dessinateurs publiés dans des revues, et qui s’affirment comme auteurs : en France, Philippe Druillet ou Jean Giraud notamment, aux États-Unis Robert Crumb puis Art Spiegelman. Dans les années 1990, l’expérimentation en BD trouve un terrain fertile avec la maison L’Association, autour de laquelle gravitent Lewis Trondheim, Patrice Killoffer, Jean-Christophe Menu ou Joann Sfar. Histoires sans paroles, peintures expressionnistes, aquarelles foisonnantes, textes flirtant avec le lettrisme, récits littéraires, livres objets aux entrées multiples… Face à la BD commerciale, une BD « d’auteur » fourmille de créativité. « C’est ainsi que j’aime l’appeler, de la même façon que nous parlons d’un cinéma d’auteur », indique Anne Barrault, galeriste. Initialement vendues en librairie pour des prix dérisoires, ces planches originales ont désormais gagné des galeries spécialisées, d’Arts Factory à la Galerie Martel, ou encore les salles des ventes, Artcurial au premier chef. Si certains prix record sont atteints par des artistes comme Enki Bilal, ces œuvres restent globalement très raisonnables. Certaines galeries d’art contemporain, comme Anne Barrault ou Nathalie et Philippe Vallois, font glisser ces créateurs vers l’art contemporain en montrant des œuvres réalisées en parallèle des BD. « J’ai d’emblée mis Killoffer ou David B. au même niveau de prix que les autres artistes de la galerie. Cela a été très difficile au départ puis, grâce à leur notoriété croissante, leur cote ont progressé comme celle d’un autre artiste », témoigne Anne Barrault.
Cette BD « d’auteur » gagne-t-elle un nouveau public de collectionneurs ?
La majorité de nos collectionneurs connaissent très bien la BD ou le graphisme ; c’est un public de passionnés qui vient depuis toujours à la galerie. Bien sûr, nous rencontrons des collectionneurs d’art contemporain lorsque nous allons à Art Paris ou Drawing Now : beaucoup de pièces rencontrent un écho favorable et nous pouvons très bien les vendre. Mais cela reste difficile de gagner ce type de collectionneurs : les frontières restent encore bien établies et l’évolution assez mince.
Comment évolue la cote de ces créateurs ?
Pour certains auteurs comme Brecht Evens, les prix ont doublé en quatre ans, grâce au succès de ses livres et à la visibilité que les foires lui apportent. Certaines pièces comme les couvertures du New Yorker se vendent très cher depuis longtemps. C’est aussi le cas pour des artistes comme Daniel Clowes, pour lesquels il n’y a aucune offre : nous avons présenté cet hiver sa seule exposition en galerie. Mais beaucoup restent encore sous-évalués, car tout ce qui tourne autour de la BD et de l’illustration conserve une connotation qui les discrédite.
1 - Chris Ware - Paru aux États-Unis en 2012, Building Stories est la mise en forme de dix années de publications de Chris Ware dans la presse. À rebours du format standard de la BD, 48 pages cartonnées couleur, l’œuvre est constituée d’un coffret de 14 éléments de tous les formats, invitant le lecteur à le manipuler en tous sens pour construire lui-même son histoire. Figure de la BD contemporaine, Chris Ware reste pourtant abordable : en 2013, une planche de Building Stories s’est ainsi vendue 6 624 euros chez Millon.
Adjugé 6 624 euros. Est. 6 000-6 500 euros, Millon et associés, 16 juin 2013 (Paris).
2 - Enki Bilal - Artcurial a pleinement participé à rendre visible la BD aux enchères et à soutenir la cote d’Enki Bilal. En 2015, la maison mettait en vente la couverture de La Femme piège, 2e opus de la trilogie Nikopol, cédée plus de 350 000 euros. Cette pièce en couleur issue d’un album culte signait ainsi un record mondial pour le créateur et, dans le même temps, pour tout auteur de BD vivant, confirmant son entrée dans la cour de l’art contemporain.
Adjugé 354 892 euros. Est. 80 000-115 000 euros, Artcurial, 5 octobre 2015 (Hong Kong).
3 - Lorenzo Mattoti - C’est par le biais de la bande dessinée que Lorenzo Mattotti s’est fait connaître. En 1984, il est révélé au grand public grâce à Feux, un album où la couleur devient un véritable langage. Par la suite, il mène plusieurs activités en parallèle : illustration pour des magazines, peinture, animation, etc. Il est représenté par la Galerie Martel, qui montrait en 2016 à Drawing Now un dessin issu d’une série inédite, Alla segreta fonte.
Vendu 4 700 euros, galerie Martel (Paris).
4 - Jochen Gerner - L'auteur est de ceux qui participent à redéfinir les frontières de la BD et à dissiper celles qui la séparaient traditionnellement de l’art contemporain. Auteur de BD – s’agit-il de BD ou de livres d’artiste ? –, illustrateur pour la presse ou pour l’édition jeunesse, il déroule également un travail d’artiste contemporain, exposé à la Galerie Anne Barrault [lire p. 92]. C’est le cas de ce dessin, visible jusqu’au 8 avril au sein de l’exposition « Lac noir », réalisé avec sa technique de recouvrement initiée dans TNT en Amérique.
Vendu 1 400 euros, galerie Anne Barrault.
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La BD d’auteur
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Abonnez-vous dès 1 €« Les Rencontres du 9e art. Festival de bande dessinée et autres arts associés », d’avril à mai 2017. « Week-end BD », 7, 8 et 9 avril 2017. Cité du livre – Bibliothèque Méjanes, 8-10, rue des Allumettes, Aix-en-Provence (13). www.bd-aix.com
Galerie Anne Barrault, 51, rue des Archives, Paris-3e, www.annebarrault.com
Galerie Martel, 17, rue Martel, Paris-10e, www.galeriemartel.com
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°700 du 1 avril 2017, avec le titre suivant : La BD d’auteur