Entretien

Gil Presti, directeur de la galerie Sutton Lane

« Les gens font attention à leurs achats »

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 1 décembre 2010 - 724 mots

Pourquoi avez-vous choisi d’ouvrir, en plus de votre galerie londonienne, deux antennes, à Paris en 2007 et Bruxelles en 2009 ?
Quelques-uns de mes artistes allemands et américains étaient intéressés par la création en France dans les années 1960-1970. Nous avons d’abord envisagé une série d’expositions à la galerie Hussenot. J’ai organisé dix événements sur environ deux ans à partir de 2005, et après nous nous sommes dit pourquoi ne pas rester. Certaines institutions publiques ont été intriguées par notre programme. Fabrice Hergott [directeur du Musée d’art moderne de la Ville de Paris] a témoigné beaucoup d’intérêt. Nous avons vu quelques collectionneurs. Mais, en France, les gens prennent leur temps pour se renseigner, pour vous identifier. Mes artistes, comme Liz Deschenes ou Eileen Quinlan, sont très liés à un contexte new-yorkais. Bruxelles est pour sa part un espace de projet appartenant au collectionneur Charles Riva, où nous montons trois expositions par an. 

Avez-vous noté un changement en France depuis ces cinq dernières années ?
Je ne saurais dire comment c’était avant. J’ai été expatrié pendant quinze ans. Mais je constate des différences de fonctionnement entre les communautés française et anglo-saxonne. Mes confrères anglo-saxons, comme Sadie Coles, Andrew Kreps ou Daniel Buchholz, sont plus généreux dans leurs relations. À Paris, j’entretiens des liens d’amitié, mais pas de travail avec d’autres galeries françaises. Il me semble qu’une galerie doit amener ses collectionneurs chez ses confrères qui ont un bon programme. Il serait stupide de penser que seuls vos artistes peuvent exister dans une collection. Si un collectionneur acquiert une œuvre chez un marchand que vous lui avez présenté, cela ne veut pas dire qu’il n’aura plus d’argent pour acheter chez vous. Je vois chez moi plus d’étrangers que de Français au niveau institutionnel. Le jour où je commencerai à présenter plus d’artistes français, cela changera. Je présenterai, par exemple, Clément Rodzielski sur « Art statements », à la foire de Bâle en juin prochain. Mais je constate que, lorsque je fais une exposition d’un artiste américain à Paris, les collectionneurs américains sont les premiers à m’appeler. En revanche, lorsque j’ai montré Martin Barré ou Clément Rodzielski à Londres, je n’ai constaté aucun intérêt de la part des collectionneurs français. 

Y a-t-il une différence entre vos programmations parisienne et londonienne ?
Non, il n’y a pas de hiérarchie. À Londres, la façon de travailler est différente qu’en France. On décroche son téléphone, c’est plus direct. À Paris, il faut être socialement plus présent.

La crise est-elle vécue différemment à Paris et à Londres ?
Non. Les gens font tous beaucoup plus attention à leurs achats. Au lieu de dix pièces par an, ils n’en achètent que quatre ou cinq. Les galeries doivent être plus exigeantes sur la qualité des œuvres montrées, mais aussi sur la relation développée avec les collectionneurs. Il faut être professionnel et ne pas penser qu’on peut vendre n’importe quoi à n’importe quel prix. Il faut entretenir un dialogue avec le collectionneur, qu’il achète ou pas. C’est la relation tissée avec les gens qui détermine leur envie d’acheter chez vous. En période d’euphorie, on a tendance à négliger cette relation alors même que, en période de crise, les artistes recherchés suscitent toujours autant d’intérêt chez les amateurs.

N’est-il pas risqué de développer trois espaces dans une période difficile ?
Avec Emanuela Campoli à Paris et Cora Muennich à Londres, j’ai une équipe solide. C’est indispensable quand on possède trois galeries. Mais, bien sûr, il faut faire attention. Nous sommes quasiment obligés de tout vendre dans une exposition pour pouvoir nous lancer dans la suivante. 

Votre galerie semble confidentielle. Est-ce un choix ?
C’est plus une question de discrétion : je n’entretiens pas de mystère. Nous n’avons pas de vitrine sur la rue qui, elle-même, n’est guère passante. Nous sommes plus une destination qu’un lieu de passage. J’ai privilégié la stratégie de l’écho, que quelqu’un dise que je présente une exposition de qualité plutôt que de le dire moi-même. Peu de personnes me connaissent peut-être, mais je suis très content de la relation établie avec celles-ci. Les gens peuvent me trouver, je suis disponible. Je préfère décrocher le téléphone et travailler que courtiser, mais je devrais peut-être faire un effort du côté social.

Galerie Sutton Lane, 6, rue de Braque, 75003 Paris, tél. 01 40 29 08 92, www.suttonlane.com, tlj sauf dimanche et lundi 14h-19h

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°336 du 3 décembre 2010, avec le titre suivant : Gil Presti, directeur de la galerie Sutton Lane

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