ENTRETIEN

Farideh Cadot, galeriste à Paris : « L’art est en train de disparaître »

Par Henri-François Debailleux · Le Journal des Arts

Le 5 juillet 2017 - 800 mots

Ayant ouvert sa première galerie en avril 1976 dans une usine désaffectée du 13e arrondissement parisien, Farideh Cadot s’est installée de 1981 à 2002 au 77, rue des Archives, et a animé parallèlement, de 1985 à 1993, un espace à SoHo à New York. Elle a annoncé le 20 juin qu’elle fermait définitivement sa galerie de la rue Notre-Dame-de-Nazareth (Paris-3e) où elle était installée depuis octobre 2010.

Pourquoi fermez-vous votre galerie ? 
Je ne ferme que l’espace public. Je n’arrête pas mon activité, mais je vais l’exercer de façon différente, dans mon bureau privé situé 110, rue Vieille-du-Temple dans le Marais où je vais continuer à travailler sur mes archives, à représenter les artistes, à assurer leur promotion. Je ferai des expositions, des soirées uniquement avec les invités qui ont la mentalité pour regarder les œuvres. Ce qui n’est plus le cas aujourd’hui. Quand j’ai commencé ce métier, nous étions sur une tout autre dimension. Richard Serra dormait dans mon salon sur un matelas (seul à Paris après que le Centre Pompidou, lors de son ouverture, lui eut refusé son projet de sculpture), Sol LeWitt cuisinait des pâtes, de même pour les musiciens, j’allais chercher Philip Glass ou Bob Wilson avec ma vieille Renault. Je n’étais pas de la même génération mais c’était une époque où, que l’on soit artiste, galeriste ou critique d’art, le plus important était de préserver sa façon de penser, sa façon de vivre. Ce que nous faisions ressemblait à ce que nous disions. Et la seule chose à laquelle on ne pensait pas, c’était l’argent. Non qu’on ne l’aimait pas et que nous n’en avions pas besoin, mais il n’était pas le but premier.

Qu’est-ce qui a changé de ce point de vue ?
Notre force était que ceux qui avaient de l’argent étaient presque intimidés, ils osaient à peine pousser la porte des galeries, parce qu’ils savaient que leur argent ne pouvait pas tout acheter, qu’il fallait plus que cela. Mes collectionneurs de l’époque et qui me suivent encore aujourd’hui sont des gens qui achètent avec leur cœur, leur tête, avec lesquels il y a toujours eu un échange intellectuel, une amitié, un lien. On passait des après-midi entières dans la galerie à discuter, le but n’était pas uniquement de vendre. Maintenant c’est tout le contraire. J’avais déjà écrit un manifeste en 2011 sur ce sujet dans lequel j’annonçais ce déclin. Aujourd’hui, quand on lit le compte rendu de l’ouverture d’une Fondation au Mexique, il n’est question que de people, de tenues vestimentaires, de fête, mais jamais de ce que l’on y a vu. Dans cette histoire, l’art est en train de disparaître.

Comment l’expliquez-vous ?
Après la Bourse et l’immobilier, les gens riches viennent à l’art non par amour mais pour s’acheter une certaine notoriété. En donnant de l’argent à un musée, on devient membre de ce musée, ou, par d’autres voies, « sélectionneur » d’œuvres, on a accès à des commissions, etc. Je connais des directeurs d’entreprise qui sont devenus millionnaires grâce à Internet. Ils n’ont aucune culture, mais il suffit qu’ils achètent des œuvres à 3, 4 ou 10 millions d’euros pour avoir quatre pages dans un journal. Qu’y a-t-il de mieux en matière de communication ? Aujourd’hui il suffit d’avoir une bonne attachée de presse pour voir son portrait publié dans Vanity Fair. Moi cela ne m’intéresse pas. Et puis on s’amusait ; on ne s’amuse plus.

Pourquoi ?
Parce que les gens courent après l’argent. Lorsque plus de la moitié des galeries du Marais sont toujours vides, on peut se demander comment elles survivent. Pourquoi sont-elles obligées de garder un espace ? À cause du diktat des foires. De Bâle à Chicago, de la Fiac [à Paris] à l’Arco [à Madrid] dont j’ai fait les premières éditions, j’ai participé à ce type de manifestations pendant vingt ans. J’ai arrêté parce que les artistes avec lesquels je travaille étaient comme moi : ils ne voulaient pas figurer dans ces vitrines. En plus, aujourd’hui, ce sont les directeurs de foires qui nous imposent ce que nous devons montrer parce que le marché l’exige. Alors ces galeries, comment font-elles pour vivre ? Elles louent leurs espaces quatre fois par an lors de la fameuse « Fashion week », ce qui permet de couvrir leur propre loyer et même un peu plus. Si l’on vit pour ça, cela ne m’intéresse pas. De même, il n’y a plus de vrais vernissages mais des dîners organisés la veille pour que les acheteurs importants ne croisent pas les autres gens. Selon l’expression, quand on ne peut pas changer le monde, on change de monde. Or j’ai la liberté de le faire. Et ce qui me surprend et me touche est que ma position est en train d’ouvrir un débat sur ce monde de l’art devenu sans foi ni loi.

Légende photo

Farideh Cadot. © Photo : André Morain.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°483 du 7 juillet 2017, avec le titre suivant : Farideh Cadot, galeriste à Paris : « L’art est en train de disparaître »

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