Commissaire-priseur, spécialiste des livres anciens, amoureux de peinture, Éric Buffetaud fêtera ses trente ans de métier en 2002. Sans regret, puisque chaque jour il part à la découverte d’une nouvelle œuvre d’art ou d’un créateur.
PARIS - Éric Buffetaud déborde d’énergie. Il se déplace rapidement, s’arrête peu, repart aussi vite. Il stoppe ce rythme bouillonnant pour admirer un tableau ou étudier un texte. Ses nuits sont courtes. Dans le silence, il travaille. Mais peut-on parler de travail puisque c’est une activité qu’il aime et qu’il a choisie ? L’art le passionne. Son grand-père fréquentait l’hôtel des ventes, évoluait dans un milieu élégant. Le jeune Éric partageait la table des peintres et des intellectuels. Très tôt, il s’est éveillé à l’art. « J’avais une douzaine d’années, ma mère, une femme cultivée, m’emmenait avec elle dans les ventes aux enchères. À quinze ans, j’adorais voir Me Étienne Ader tenir le marteau, je voulais déjà devenir commissaire-priseur ».
En 1972, âgé de vingt-six ans, il touche au but. Aucun regret ne vient ternir cette vocation précoce. « J’ai vendu des œuvres fabuleuses. » L’activité commerciale du métier le passionne autant et sied bien à son caractère opiniâtre. « Je peux poursuivre une affaire pendant trente ans. » Pourtant, il laisse échapper : « En réalité je désirais devenir musicien, interprète, compositeur. Je souffre de ne pas avoir fait de la musique, qui est pour moi un art majeur. » Il ne sera pas cet artiste rêvé. « Pour l’être, il faut être libre et puis j’aurais pu être médiocre. » Orgueilleux, Éric Buffetaud ? Réponse en forme de pirouette. « Je ne suis qu’un amateur d’art. »
Certes, mais un amateur d’art qui peut parcourir quelques centaines de kilomètres pour admirer un Cézanne. Partir un week-end pour un périple de mille cinq cents kilomètres en direction d’Anvers pour retrouver Fouquet. Faire un crochet par Rotterdam pour visiter l’exposition « Jérôme Bosch », repartir à Amsterdam rencontrer Rembrandt et quelques autres dans les différents musées de la ville. Puis, direction Bruges pour un Van Eyck et au retour arrêt aux musées de Lille et d’Arras. Rassasié ? « Non, j’aurais pu encore aller à New York, à Washington ou à Boston. » Ce n’est pas une boutade. Il ne sera jamais pleinement comblé. Il court toujours, insatisfait mais heureux. « J’aime l’art, c’est ma passion, c’est sacré. Je vais regretter de quitter la planète rien que pour ça. » L’artiste l’émeut profondément. « Ce qui me console d’être un être humain, c’est de savoir qu’il existe de grands artistes. » Laisserait-il percer une pointe d’amertume ?
Un fou qui serait sage
Le personnage est ambigu à l’image de son signe astral, signale-t-il. « Poisson, je suis un rêveur curieux, mais mon ascendant Scorpion me pousse aux affaires, un curieux mélange. »
Parfois insaisissable, ce poisson s’amuse. « J’aime assez que l’on me prenne pour un fou qui serait sage. » Sa curiosité le pousse vers les créateurs à l’esprit indépendant. »Quand je vois un artiste qui me semble libre, il m’attire. J’aime ceux qui s’échappent des sentiers battus, les ‘cinglés’, ceux qui font ressentir leur âme. » Il évoque Bacon, Caravage, ceux qui s’épanouissent à la marge. « L’art ne s’explique pas. »
Et la littérature ? Son premier achat concilie peinture et texte. Âgé d’une quinzaine d’années, il piaffe d’impatience pour posséder une œuvre. Avec sa bourse, pas assez pleine pour acheter une toile, mais suffisamment remplie pour acquérir un livre, il va chez un libraire. L’argent de son anniversaire lui permet de s’offrir une revue signée d’Alfred Jarry et illustrée d’eaux-fortes. Plus tard, il l’échange, le regrette, retrouve ce document deux fois sur sa route sans pouvoir le récupérer. Aujourd’hui, il vaudrait 100 000 francs. Son flair ne l’avait pas trompé. Depuis, sa passion pour la littérature est aussi forte que celle pour la peinture. Au-dessus de tout, il place Gérard de Nerval. « Je considère qu’il est le créateur de la poésie d’aujourd’hui, il est aussi l’initiateur de l’écriture moderne. » Il lui consacre deux expositions et un ouvrage qui dévoilent sa passion pour le poète.
Les livres comblent son enthousiasme. François Villon ou Nerval sont pour lui dans la lignée de Bacon ou Caravage. « Tous des crapules, des hommes dont la vie a été terrible et qui furent des créateurs sublimes. » Son métier lui a fait rencontrer des merveilles. « J’ai été comblé par Baudelaire, j’ai vendu dix-sept dessins autographes, 220 lettres à sa mère, le manuscrit autographe des Fleurs du mal, … » Pourtant, il jette un regard peu convaincu sur l’auteur des Paradis artificiels et lance. « Ce n’est pas mal, mais plus fabriqué que Rimbaud, plus esthétique, moins grinçant. » Le contestataire attiré par les marginaux ressurgit. « Il faut être libre pour être artiste. » Finalement, pour cet esprit élégant, généreux, qui déteste le mensonge, « la vie doit être simple. Il faut donner la priorité aux choses essentielles ». Lui, il a choisi sa famille, son métier : l’art.
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Éric Buffetaud - « Juste un amateur d’art »
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°138 du 7 décembre 2001, avec le titre suivant : Éric Buffetaud - « Juste un amateur d’art »