Vous avez ouvert votre galerie en septembre avec Vera Molnar, suivie de Braco Dimitrijevic. Préalablement, vous aviez donné un avant-goût de votre programmation en organisant l’exposition Hamish Fulton chez Patricia Dorfmann. Pourquoi une jeune galerie choisit-elle un axe d’emblée historique ?
Ce sont des opportunités. Quelques années avant que je n’ouvre ma galerie, Braco m’avait dit qu’il me soutiendrait le jour où je le ferai. J’ai adopté la même démarche vis-à-vis des artistes historiques que vis-à-vis d’artistes plus jeunes. Bien que ces créateurs soient sollicités par de grandes institutions et des commissaires d’exposition renommés, il y a un décalage entre leur notoriété et leur valeur sur le marché de l’art. Aujourd’hui, une gouache d’Hamish Fulton vaut 5 000 euros, un Vera Molnar entre 6 000 et 10 000 euros. C’est le même prix que pour un artiste qui sort des Beaux-Arts ! Mon rôle est de les accompagner sur le marché, de les vendre à de nouveaux collectionneurs qui seront prescripteurs et influeront sur la demande afin de rectifier une situation injuste.
Qu’apporte une jeune galerie à des artistes déjà reconnus ?
Une jeune galerie apporte une nouvelle audience. Depuis plusieurs années, le public de Molnar ne se renouvelait pas car elle n’était montrée que dans des contextes spécialisés. À l’occasion de son exposition en septembre, tout à coup, des collectionneurs, pour la plupart membres de l’Adiaf [Association pour la diffusion internationale de l’art français], se sont jetés dessus. Ce qui change, c’est la manière de montrer ce travail. Cela a libéré Vera du poids de la tradition qu’elle incarne. On a pu s’intéresser à elle sans forcément la rattacher à l’art construit. Une jeune galerie est aussi dans l’action, elle s’impose des objectifs. Un artiste plus mature peut se réjouir d’avoir à ses côtés quelqu’un de volontaire. Ce qui m’intéresse, c’est de produire de nouvelles pièces de ces créateurs. J’ai proposé à Hamish de refaire une marche artistique en France. Elle aura lieu au printemps prochain dans le parc national du Mercantour, et cela donnera lieu à une exposition à la galerie en septembre 2011.
Serait-il finalement plus facile de convaincre des géants de l’histoire que des jeunes artistes ?
Pas nécessairement, mais certains jeunes artistes peuvent se montrer très exigeants, capricieux. Ils ont beaucoup de choses à prouver, et certains peuvent manquer d’humilité. Les artistes plus matures ont un souci du détail, mais aussi une compréhension, une empathie vis-à-vis de leur galeriste.
Pourquoi avez-vous sollicité le commissariat de Mathieu Mercier pour montrer Dimitrijevic ?
Quand j’ai parlé à Mathieu d’une éventuelle exposition de groupe, je me suis rendu compte qu’il connaissait très bien l’œuvre de Braco, il était dans une sorte d’héritage par rapport à sa relecture des icônes des avant-gardes. Je lui ai d’abord demandé de répondre à des œuvres choisies, et il a eu finalement envie de sélectionner des pièces précises d’artistes de sa génération comme Franck Scurti, Vincent Beaurin et Véronique Joumard, pour mieux faire comprendre l’œuvre conceptuelle de Braco.
Après avoir célébré des maîtres, vous exposerez à partir du 27 novembre Florian Pugnaire et David Raffini, deux jeunes artistes présentés dans l’exposition « Dynasty » au Palais de Tokyo et au Musée d’art moderne de la Ville de Paris. Pourquoi ce choix ? Je les connais depuis plusieurs années et j’avais été frappé par une peinture de David Raffini que Judicaël Lavrador avait montrée au Pavillon du Palais de Tokyo. Je les ai alors rencontrés. Quand j’ai vu « Dynasty », je me suis dit qu’ils étaient prêts.
Pourquoi avez-vous décidé d’ouvrir dans une année compliquée pour la plupart des galeries ? Le choix d’ouvrir une galerie est intime et il s’effectue indépendamment du contexte économique. Il y a trois ans, en pleine euphorie, je ne me sentais pas prêt. C’est la raison pour laquelle je me suis adossé à la galerie Patricia Dorfmann. Il fallait que je fasse mes classes, que je comprenne la réalité économique de ce métier. C’est dur, mais j’ai l’intime conviction qu’il s’agit d’un projet qui me correspond, après un parcours dédié au conseil et à l’expertise.
Avez-vous des modèles ?
J’aime le tempérament décomplexé et innovant d’Emmanuel Perrotin, l’élégance de Thaddaeus Ropac, le goût d’Yvon Lambert et, à l’étranger, Xavier Hufkens, David Zwirner et Barbara Gladstone. Ils me servent de balises, mais je veux développer ma propre identité.
7, rue Saint-Claude, 75003 Paris, tél. 01 40 27 00 32, www.galerietorri.com
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Entretien - Romain Torri, galeriste à Paris
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°335 du 19 novembre 2010, avec le titre suivant : Entretien - Romain Torri, galeriste à Paris