Vous présentez jusqu’au 20 février Julije Knifer, un artiste de l’abstraction géométrique décédé en 2004. Comment celui-ci s’intègre-t-il dans votre programmation ?
Il y a tout d’abord une forme de légitimité, puisque c’est la troisième exposition monographique que je fais de lui. Je me suis rendu compte à quel point son travail était actuel, et n’avait pas pris une ride. On constate aussi en ce moment que de nombreuses galeries veulent présenter un corpus historique d’Europe centrale.
Je ne cherche pas à voir comment Knifer pourrait être relié au reste de mon programme. Au vu des réactions très positives, j’ai évité l’écueil de la question : « mais qu’est-ce que ça fait là ? ». Une pièce de l’exposition va d’ailleurs passer en commission d’achat pour le Musée national d’art moderne [Paris]. Kasper König veut acheter une série de graphites pour le Musée Ludwig [Cologne] et Vicente Todoli veut une grande toile pour la Tate [Londres].
Vous avez présenté l’an dernier Wallace Berman, une figure de la beat generation, qui fait lui aussi l’objet d’un revival.
J’ai découvert Berman à l’occasion de l’exposition « Los Angeles 1955-1985. Naissance d’une capitale artistique » présentée au Centre Pompidou en 2006. J’ai trouvé que son travail était d’une grande fraîcheur et montrait une vraie pertinence. Cela avait du sens de le présenter à Paris car la beat generation a beaucoup communiqué avec le mouvement surréaliste. Cela s’est révélé judicieux dans un contexte de crise.
Quand j’ai montré Berman en janvier 2009, les gens avaient envie de revenir vers des choses plus établies, sous-cotées. Ils étaient plus rassurés de dépenser 20 000 euros pour Berman que 2 000-3 000 euros pour un jeune artiste. J’ai pu le montrer en octobre 2009 à Frieze à Londres, car la foire avait besoin à ce moment-là de ce type d’artistes pour asseoir sa réputation. Plutôt que de se bagarrer pour obtenir la dernière vedette berlinoise ou new-yorkaise, il n’est pas mauvais de regarder autre chose.
Pourquoi les successions des artistes historiques aiment-elles travailler de plus en plus avec des jeunes galeries ?
Les jeunes galeries apportent une énergie, une envie, un mélange de branchitude et de sérieux. Mon challenge, pour Knifer, était de le sortir du carcan Mouans-Sartoux/Honegger [l’Espace de l’Art concret]. À l’occasion de mon exposition, un article sur Knifer est paru dans le magazine Technikart. Un de ses tableaux a fait la couverture de la revue 02. C’est ce que je visais. Je vais proposer un solo show de lui à Frieze. Mon ambition est de toucher le marché anglo-saxon.
Comptez-vous intégrer d’autres successions dans votre liste ?
Non, je vise les artistes en milieu de carrière, comme la photographe Justine Kurland que je montrerai en fin d’année. J’ai démarré avec les jeunes artistes, mais ce n’est pas un chemin économiquement viable. C’est aussi d’ordre générationnel. Plus ça va, moins je suis attiré par les artistes émergents, avec lesquels je peux me retrouver en décalage. Mais je compte emmener mes artistes émergents au statut de milieu de carrière.
Pourquoi vous êtes-vous séparé d’Olivier Babin et de Lilian Bourgeat ?
Nous avons décidé de nous séparer d’un commun accord au moment de la FIAC [Foire internationale d’art contemporain] en octobre dernier. Je tournais en rond. Nous étions dans un faux rythme, dans une espèce de placard doré : on faisait une exposition, on vendait, une fois tous les trois ans un FRAC [Fonds régional d’art contemporain] achetait, et malgré tout, personne ne les connaissait. En revanche, quand j’ai exposé Gyan Panchal, son travail a d’emblée attiré l’attention des curateurs étrangers. Cela fait partie de la vie d’un galeriste, il y a des entrées et des sorties d’artistes.
Vous vous êtes fait une spécialité des expositions thématiques. Pourquoi avoir développé ce format d’événements ?
J’ai voulu travailler avec certains artistes, mais comme ils étaient célèbres, ce n’était pas possible. Ils ne me connaissaient pas. Mais quand on a une bonne idée d’exposition thématique, les plus grands artistes vous suivent.
En 2006, pour l’exposition « Deaf », pensée autour des liens entre la musique et les arts plastiques, j’ai approché Christian Marclay. Il m’a envoyé deux pièces magistrales. J’ai pris contact avec Kelley Walker, qui m’a mis en relation avec son assistante, l’artiste Meredith Sparks, laquelle a depuis rejoint la galerie. J’ai ainsi pu travailler avec Martin Creed, Rodney Graham ou Dave Muller. J’ai en projet une exposition sur le surf [27 mars-20 avril], loin des clichés des beach boys. Il y aura aussi bien une gravure de Gauguin, une estampe d’Hokusai, qu’une planche de John McCracken ou une peinture d’Alex Hubbard.
Galerie Frank Elbaz, 7, rue Saint-Claude, 75003 Paris, tél. 01 48 87 50 04, www.galeriefrankelbaz.com, du mardi au samedi 11h-19h.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Entretien : Frank Elbaz, directeur de galerie à Paris - 'Je vise les artistes en milieu de carrière'
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°318 du 5 février 2010, avec le titre suivant : Entretien : Frank Elbaz, directeur de galerie à Paris - 'Je vise les artistes en milieu de carrière'