Le metteur en scène Robert Carsen se fait à nouveau scénographe d’exposition, cette fois pour «”¯L’impressionnisme et la mode”¯» présentée au Musée d’Orsay. Il détaille les aspects concrets de ce travail.
Après « Marie-Antoinette » aux Galeries nationales du Grand Palais en 2008, et « Charles Garnier » à l’École nationale supérieure des beaux-arts de Paris en 2010, le metteur en scène canadien Robert Carsen se fait une nouvelle fois scénographe d’exposition avec « L’impressionnisme et la mode », au Musée d’Orsay, et « Bohèmes » aux Galeries nationales du Grand Palais. Conçue par Gloria Groom, conservatrice de Peinture et Sculpture du XIXe siècle européen à l’Art Institute de Chicago, l’exposition d’Orsay rend compte de la modernité d’une époque, matérialisée aussi bien par la peinture d’avant-garde que par la mode. Outre Orsay et l’Art Institute of Chicago, l’exposition sera présentée en 2013 au Metropolitan Museum of Art, à New York. Les musées de Paris et de Chicago ont fait appel à Robert Carsen pour orchestrer cette mise en regard inédite entre une vingtaine d’ensembles et une sélection de tableaux. Celui-ci a remplacé au pied levé le couturier John Galliano (1).
Maureen Marozeau : Comment le choix du scénographe s’est-il porté sur vous ?
Robert Carsen : L’amitié qui me lie à Guy Cogeval [président du Musée d’Osay] date d’une vingtaine d’années – elle a commencé avec une fan letter. Il était alors directeur du Musée des monuments français [à Paris] et pensait qu’il serait formidable de faire un jour une exposition ensemble… J’avais déjà décliné deux de ses propositions, c’est lui qui a suggéré mon nom aux organisateurs de « Marie-Antoinette », et j’ai fini par accepter pour ce projet sur l’impressionnisme malgré des contraintes d’emploi du temps [l’exposition « Bohèmes » ouvre au même moment]. Et je ne saurais que trop le remercier d’avoir pensé à moi, car ce genre de projet est devenu un complément important dans ma vie et mon travail.
M.M. : Les commissaires vous ont-ils donné carte blanche ?
R.C. : J’ai eu carte blanche pour élaborer une proposition à partir d’une liste préétablie de quatre-vingts tableaux, et j’ai participé à la sélection des robes. J’ai surtout suggéré d’élargir le champ d’études en incluant des accessoires, ce qui n’était pas nécessairement l’intention première. Ce travail sur les expositions me passionne d’autant plus que je me plonge dans des terrains inconnus. Si j’apprécie beaucoup la peinture impressionniste, il m’a fallu quand même m’imprégner du sujet – l’histoire est là, mais que veut-on raconter ? Pourquoi mettre en scène cette association entre mode et tableaux ? Il était primordial que ce dialogue soit enrichissant, qu’il se fasse au bénéfice et non au détriment des deux parties. Le plus beau chez les peintres impressionnistes est cette manière d’insuffler la vie, le mouvement, la lumière dans leurs tableaux. Ce qui n’est pas le cas d’une robe simplement suspendue… Surtout celles de cette époque, aussi précieuses que rares, qui sont d’autant plus délicates à manipuler. Comme il n’y a rien de plus fragile au monde, il était exclu de jouer sur les postures, de lever un bras ou de tordre le tissu, ce qui risquait de provoquer des tensions sur les fibres. Les conservateurs sont, avec raison, très exigeants. Mais l’association des deux amène une émotion inattendue ! Les tableaux tentent de saisir un instant fugace, et les robes sont la trace tangible d’une mode qui est par essence éphémère.
M.M. : Pouvez-vous nous en dire plus sur le parcours de l’exposition ?
R.C. : Tout est venu des tableaux et des espaces. Guy Cogeval tenait absolument à ce que la galerie Chauchard [par laquelle le visiteur accède aux espaces temporaires] soit pour la première fois incluse dans les espaces d’exposition. Grâce à cet ajout, le parcours m’a paru évident. À mes yeux, lorsqu’on visite une exposition – en particulier une exposition de mode –, les espaces doivent être utilisés à la perfection, taillés comme une robe de haute couture, afin qu’ils semblent être faits sur mesure pour ce projet et aucun autre. Et même si l’exposition va voyager à New York puis à Chicago, le lien avec Paris est très fort, tant sur le plan de l’Histoire que sur celui toujours actuel de la mode. Je voulais qu’elle soit très fortement ancrée dans le contexte de l’époque, car l’obsession pour la mode y était aussi importante qu’aujourd’hui. La période 1860-1880 correspond à l’ouverture des grands magasins, à la profusion de catalogues, d’illustrés, de revues, d’affiches, de réclames, à la parution d’Au Bonheur des dames de Zola… On est dans l’analyse sociale d’une époque. Mais il fallait conserver la légèreté d’esprit de la mode !
M.M. : Quels sont les points forts ?
R.C. : La sélection des tableaux se divisait d’elle-même dans des sections très différentes. Elle comporte un nombre important de toiles intimes de femmes. Ce ne sont pas des portraits car ils ne sont pas posés, mais des scènes de la vie quotidienne : des hommes et des femmes en public (au théâtre, au bal, au cirque…) ; les grands formats de plein air ; la femme en déshabillé ; les accessoires… J’ai été amené à créer des espaces pour créer le bon contraste avec les robes ou les accessoires. J’ai aussi voulu faire un clin d’œil avec le monde de la mode d’aujourd’hui : dans un tableau de Berthe Morisot, une femme se tient assise sur une chaise Napoléon III, très moderne pour l’époque, laquelle chaise est aujourd’hui utilisée dans tous les défilés de mode ! Je voulais aussi donner une ambiance particulière en présentant des robes et des tableaux sur un fond de papier peint, comme on en voit en toile de fond de certaines compositions.
M.M. : La mode revêtait-elle la même importance aux yeux des peintres ?
R.C. : La sélection ne présente pas uniquement des tableaux impressionnistes destinés à illustrer une variété dans la représentation de la mode. James Tissot, par exemple, s’intéresse beaucoup plus au traitement de la robe, tandis que d’autres lui préfèrent l’émotion du personnage. Le coton des robes est une matière très prisée par les peintres impressionnistes pour donner l’illusion du mouvement.
M.M. : Le japonisme est-il présent ? On pense au portrait de Camille Monet en habit japonais…
R.C. : Non. Cela dit, il y a beaucoup de portraits avec des accessoires japonisants (Renoir, Stevens, Manet…). Le japonisme a surtout eu une influence sur les arts décoratifs, très peu sur la mode.
M.M. : Les prêts ont-ils été difficiles à obtenir ?
R.C. : Au départ, nous étions très inquiets de ne pas disposer, pour plusieurs raisons, de robes de l’époque en nombre suffisant. Grâce au Musée Galliera et aux Arts décoratifs à Paris, mais aussi aux prêts très importants de collectionneurs privés, nous sommes parvenus à une sélection conséquente de vingt-cinq robes, mais aussi, dans une moindre mesure, à un choix de vêtements d’homme.
M.M. : Portez-vous beaucoup d’attention au vêtement, au costume, dans vos mises en scène ?
R.C. : Dans les spectacles que je réalise, je n’utilise presque jamais de costumes d’époque. Je préfère les costumes contemporains les plus simples, pour cette raison que le théâtre est un art vivant. Je veux que le public soit impliqué dans ce qu’il se passe sur scène. Devant des gens en costumes XVIIIe, on a tendance à garder ses distances. Mais quand vous regardez un tableau, vous regardez une autre époque. Au théâtre ou à l’opéra, même si la musique est d’époque, le reste ne l’est pas. Dans cette exposition, il n’y a pas cette menace du kitch car l’on superpose deux éléments de la même époque. La seule exception dans le parcours est le tableau d’Albert Bartholomé [La Serre, v. 1881], le portrait en pied de son épouse qui est présenté avec la robe originale.
M.M. : Vous assurez au même moment la scénographie de l’exposition « Bohèmes ». Cette activité commence à prendre une place importante dans votre travail…
R.C. : Elle me prend un temps inimaginable ! Quand on me demande de monter un opéra célèbre, les spectateurs savent qu’il s’agit d’une interprétation. Ici, la responsabilité est tout autre. La présentation des œuvres doit respecter le propos scientifique, mais aussi la lumière, le graphisme des cartels, les couleurs, les textures, les mises à distance sécuritaires. Chaque détail est crucial et doit contribuer à provoquer une émotion.
(1) À la suite d’une plainte pour injures antisémites, John Galliano a été licencié en mars 2011 par la maison de couture Christian Dior (par ailleurs mécène de l’exposition avec LVMH).
L’IMPRESSIONNISME ET LA MODE, 25 septembre 2012-20 janvier 2013, Musée d’Orsay, 1, rue de la Légion-d’Honneur, 75007 Paris, tél. 01 40 49 48 14, tlj sauf lundi 9h30-18h, 9h30-21h45 le jeudi.
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°375 du 21 septembre 2012, avec le titre suivant : « Du sur-mesure pour le projet »