La Cour de cassation a limité leur durée à 70 ans, y compris les prolongations pour faits de guerre.
Deux arrêts de la Cour de cassation du 27 février ont tranché les incertitudes ouvertes en 1997 par la loi française de transposition de la directive européenne de 1993 harmonisant dans l’Union le délai de protection du droit d’auteur. Jusqu’à cette loi du 27 mars 1997, le droit des auteurs d’œuvres d’art plastique était protégé en France pendant 50 ans après le décès de l’auteur. La directive européenne avait harmonisé cette durée à 70 ans en tenant compte du temps plus long applicable dans d’autres États dont l’Allemagne.
Monet renaît en 1995
L’allongement de la durée de protection avait créé en France une situation inédite : certains auteurs tombés dans le domaine public « sont nés à nouveau à la protection du droit d’auteur » (cf. CA Paris 4e ch. sect. B 2004). C’était en particulier le cas de Monet, décédé le 5 décembre 1926 et dont l’œuvre aurait dû tomber dans le domaine public en 1977 au terme du délai de 50 ans. La nouvelle règle française, prise avec effet au 1er juillet 1995, date limite de transposition de la directive, aboutissait à protéger l’œuvre du peintre jusqu’à fin décembre 1997 (le délai de 70 ans se décomptant à partir du début de l’année suivant celle du décès de l’auteur). Si l’intervalle paraissait mince, il était plus conséquent du fait du cumul du délai de 70 ans avec les prorogations du fait des guerres mondiales. En effet, la France, comme d’autres pays européens, a fait bénéficier les auteurs de délais complémentaires de protection pour les œuvres divulguées avant les guerres mondiales. Le délai de la guerre de 1914-1918 a été annihilé naturellement par le passage du temps : même en cumulant le délai de 70 ans et la « neutralisation » de la période de guerre (du 2 août 1914 au 3 février 1919) une œuvre du début de l’année 1914 est tombée dans le domaine public en 1989. En revanche, l’œuvre de Monet pouvait être protégé, du fait du délai de la prorogation de la Seconde Guerre mondiale (du 3 septembre 1939 au 1er janvier 1948) jusqu’en avril 2006.
La loi de transposition avait certes prévu des aménagements pour les droits qui se trouvaient ainsi rétablis. En particulier les reproductions ou publications intervenues après que l’œuvre relève du domaine public (pour Monet à partir de 1985 en tenant compte des délais de la Seconde Guerre mondiale) n’étaient pas considérées comme contrefaisantes. Toutefois, en cas de réédition intervenant après l’adoption du nouveau délai, l’autorisation des ayants droit ou sociétés d’auteurs les représentant étaient impératives.
In fine, l’harmonisation européenne se traduisait par des enchevêtrements chronologiques complexes doublés d’une incertitude. À partir du moment où l’on harmonisait en prenant pour critère les durées de protection les plus longues, était-il normal de laisser subsister des dispositifs nationaux, même s’ils reposaient sur des motifs difficiles à remettre en cause ? Car la loi française de transposition n’avait pas explicité la désuétude, l’abandon, voire l’abrogation des délais de guerre ; on imagine mal un gouvernement ou des députés tirant une croix sur un des « acquis sociaux » des anciens combattants.
Et disparaît derechef en 1997
C’est en fin de compte aux juges qu’il est revenu de régler la question, mais après un chassé-croisé illustrant les incertitudes. En effet, la Cour de cassation a dû trancher le 27 février deux pourvois formés contre des arrêts de la cour d’appel de Paris dont la 4e chambre spécialisée dans les questions de propriété intellectuelle avait réglé de façon contradictoire deux affaires similaires. Dans le cas de Monet, la cour d’appel de Paris (4e ch. sect. B) avait décidé le 16 janvier 2004 que le cumul du délai de 70 ans et des délais de guerre n’était pas possible. Mais dans le cas d’un illustrateur, Giovanni Boldini, décédé en janvier 1931, la section A de la même chambre avait en sens inverse accepté ce cumul le 12 octobre 2005. De quoi paniquer les éditeurs et allécher les sociétés d’auteurs.
La Cour de cassation a réunifié les principes applicables en détaillant les motifs de la directive européenne pour en conclure « qu’il en résulte que la période de 70 ans retenue pour harmoniser la durée de protection des droits d’auteur au sein de la Communauté européenne couvre les prolongations pour faits de guerre accordées par certains États membres ».
Prolongations de la guerre
Armée de sa propre conclusion, la Cour de cassation a critiqué le raisonnement des deux sections de la 4e chambre de la cour d’appel de Paris, en estimant que l’une et l’autre avaient violé les dispositions du code de la propriété intellectuelle. La section A par son arrêt du 12 octobre 2005 pour avoir accepté à tort le cumul au bénéfice de Giovanni Boldini ; la section B pour l’avoir refusé à Monet le 16 janvier 2004 « au motif inexact que cela reviendrait à compter une seconde fois les prolongations de guerre ». Mais, en substituant ces motifs à ceux de la section B, la Cour de cassation a validé la conclusion de l’arrêt de 2004, actant ainsi que Monet, à peine ressuscité, était mort en droit.
Afin que nul ne l’ignore, la Cour de cassation a mis un temps ces deux arrêts en Une de son site Internet, diffusé un communiqué et publiera les arrêts dans son bulletin qui constitue le vade-mecum de la jurisprudence judiciaire française.
Cass. Civ. 1, 27 févr. 2007 ; arrêt n° 280 ; pourvoi n°04-12.138 et Cass. Civ.1, 27 févr. 2007 ; arrêt n°281 ; pourvoi n°05-21.962
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°258 du 27 avril 2007, avec le titre suivant : Droits d’auteur encadrés