Résultant d’une liquidation de succession ou provenant par exemple de manoirs de l’aristocratie anglaise, une myriade d’objets exceptionnels est apparue sur le marché au cours des dix dernières années. Les prix élevés atteints, que justifie notamment la rareté de pièces éblouissantes, mettent en exergue la bonne santé du marché au cours de la décennie 1990-2000.
LONDRES (de notre correspondante) - Qu’ils proviennent d’aristocrates en manque de liquidités ou qu’ils apparaissent sur le marché après une liquidation de succession, de nombreux tableaux – peintures de maîtres anciens ou chefs-d’œuvre contemporains comme Le Rêve de Picasso – ont permis, ces dix dernières années, la réalisation de ventes importantes sur le marché de l’art. Les successions sont d’ailleurs les principales sources d’approvisionnement des marchés de l’art impressionniste et de l’art moderne. L’offre en œuvres de qualité s’amenuisant de plus en plus, ces pièces ont atteint des prix élevés. Des découvertes surprenantes – tels le dessin de Michel-Ange, en provenance de Castle Howard, et le Cimabue, tous deux récemment vendus par Sotheby’s – devraient encourager les musées et les collectionneurs privés. Notre sélection de dix œuvres exceptionnelles met en relief les circonstances de l’apparition de ces pièces sur le marché ainsi que les conditions de leur vente.
Pablo Picasso, Le Rêve, 1932, huile sur toile. Provenant de la collection de Victor et Sally Ganz, il a été acheté par un collectionneur privé chez Christie’s New York au prix de 48,4 millions de dollars en 1997.
Ce premier tableau a été acquis par Victor et Sally Ganz. Ce couple a par la suite constitué la plus grande collection privée d’œuvres de Picasso. Cette évocation classique de sa jeune maîtresse, Marie-Thérèse Walter, chargée d’érotisme et de douceur, est l’un des chefs-d’œuvre de l’artiste. Amis de Picasso, Victor et Sally Ganz ont acheté cette peinture en 1941. L’adjudication de leur remarquable collection a servi à payer les droits de succession et son produit s’est chiffré à plus de 200 millions de dollars, somme qui reste inégalée pour une vacation à vendeur unique.
Miroir doré réalisé par Robert Adam pour Coventry House, Londres, 1770-1771, acheté 325 000 livres aux Pelham Galleries par les administrateurs du Victoria & Albert Museum en 1992 (ill. 4).
Cette création parmi les plus belles d’Adam, flanquée de deux personnages couchés, montre que l’artiste avait assimilé aussi bien le baroque romain que l’influence de l’Antiquité. Provenant d’une grande maison londonienne, ce miroir ovale est une vanité suspendue aux cordelettes sculptées et dorées. Commandé par Lord Coventry pour la salle à manger de sa résidence londonienne, il n’a été identifié qu’au moment de son apparition dans la salle des ventes de Doyle’s à New York en 1989. Jusqu’alors, il était conservé dans la collection de Benjamin Sonnenberg. Après consultation des dessins d’Adam au Soane Museum, Alan Rubin, des Pelham Galleries, a fait acquisition de l’œuvre à New York avant de la vendre au Victoria & Albert Museum.
Lampe figurative en bronze, période Han, entre 206 avant J.-C. et 220 après J.-C, achetée par un collectionneur privé chez Eskenazi en 1996.
Si quelques exemples de lampes figuratives avec personnages agenouillés, datant de la dynastie Han, sont connus, celui-ci est tout à fait exceptionnel en raison du modelé extraordinairement naturaliste du personnage. Présentant des caractéristiques occidentales plutôt que chinoises, l’homme a probablement été modelé d’après l’une des minorités qui vivaient dans l’extrême nord de la Chine. Une hypothèse suggère également que le personnage pourrait être la représentation d’un domestique ou d’un esclave, voués à accompagner le maître dans l’au-delà. L’objet provenait d’une collection privée japonaise.
Max Beckmann, Autoportrait au cor, 1938, huile sur toile, acheté par la Neue Galerie à New York chez Sotheby’s au prix de 22,5 millions de dollars en 2001.
Ayant fait l’objet de nombreuses publications, cet autoportrait de Beckmann reflète une profonde solitude. Le regard de l’artiste semble suivre la résonance de l’appel du cor, qui reste sans réponse. Beckmann a vendu ce tableau à son ami Stephan Lackner peu de temps après l’avoir terminé. Lackner l’a conservé pendant plus de cinquante ans, puis l’œuvre est apparue sur le marché en provenance d’une autre collection privée.
Hans Holbein, Portrait d’une dame avec un écureuil, acheté 10 millions de livres, prix toutes taxes comprises, auprès du marquis de Cholmondeley par les administrateurs de la National Gallery en 1992. La vente a été négociée par Christie’s.
Ce tableau d’un maître ancien, parmi les plus importants qui soit apparu sur le marché au cours des dix dernières années, a vraisemblablement été peint lors du premier séjour de Holbein en Angleterre en 1526-1528. Si le modèle n’a toujours pas été identifié, l’écureuil et l’étourneau pourraient bien être des allusions à son nom. Devant réunir quelque 20 millions de livres afin d’entretenir ses demeures et domaines, Lord Cholmondeley a dû se défaire de cette œuvre autrefois accrochée dans une cage d’escalier secondaire et acquise par la famille en 1761.
Fibule celtique en or figurant un guerrier, vers 300-200 avant J.-C., achetée par les administrateurs du British Museum au prix de 1,1 million de livres chez Christie’s en 2001.
Figurant un jeune guerrier accompagné de ses chiens de chasse qui courent vers lui, ainsi que d’autres têtes d’animaux incorporées dans le motif, cet objet a d’abord été recensé dans la collection de la famille royale portugaise des Braganza. La forme, la provenance et le sujet laissent supposer l’existence d’un mécène princier ibérique, tandis que le style naturaliste et les techniques sophistiquées suggèrent que l’objet a été exécuté par un artisan grec, ou formé par un maître grec. Au croisement de l’art grec et du monde guerrier tribal de l’Europe celtique, cette pièce a fait l’objet de publications puis a été conservée dans la collection de Warrren Piper à Chicago, auquel elle a été achetée en 1949. Elle était en prêt au British Museum depuis 1997, avant que son propriétaire ne décide de la vendre.
Le pourpoint de Margaret Laton, Angleterre, vers 1620, acheté par les administrateurs du Victoria & Albert Museum auprès des héritiers de la vicomtesse Rothermere au prix de 229 000 livres en 1994.
La veste, brodée de soie et de fils d’argent, et le portrait qui l’accompagne – probablement exécuté par Marcus Gheeraerts le Jeune – ont été achetés par les administrateurs du Victoria & Albert Museum de Londres auprès des héritiers de la vicomtesse Rothermere lors d’une transaction privée, négociée par Christie’s, au prix de 229 000 livres en 1994. Margaret Laton, décédée en 1641, était la fille d’un riche épicier et l’épouse de l’un des maîtres de la King’s Jewel House. Les vestes brodées étaient très prisées des femmes aisées de cette époque, mais rares sont les exemplaires ayant survécu car il était d’usage de les transformer ou de les raccourcir lorsque les modes changeaient. Ce témoignage unique est fait d’un lin brodé de soies lumineuses et de fils argentés, agrémenté de chèvrefeuille, de roses, d’oiseaux et de papillons. Le vêtement pourrait avoir été brodé par Margaret Laton elle-même, et a été transmis de génération en génération, avec le portrait et une paire de gants, jusqu’à ce qu’il soit vendu en 1929. Il a alors été acheté par le deuxième vicomte de Rothermere et il a suivi ses descendants, jusqu’à la vente de 1994. Sur le portrait, Margaret Laton porte le pourpoint avec une collerette de dentelle tombante extraordinairement détaillée et un grand tablier dans une matière translucide, costume vraisemblablement porté par la fille d’un marchand prospère au début du XVIIe siècle. Cette veste est l’unique pièce connue qui soit accompagnée de son pendant en portrait et les deux objets figurent dans les manuels scolaires depuis des générations ; elle est aujourd’hui exposée dans les nouvelles British Primary Galleries du Victoria & Albert Museum.
Base romane en bronze doré pour chandelier ou croix, deuxième quart du XIIe siècle, acheté au British Rail Pension Fund par le marchand Sam Fogg pour le compte d’un client privé au prix de 4,4 millions de livres sterling.
Bien qu’il ne s’agisse que d’une base pour un chandelier bien plus grand encore, cette pièce est un vestige remarquable. La plupart des exemples connus sont conservés dans des collections de musées. Provenant probablement de France, voire de Lorraine, cet objet est étroitement apparenté au chandelier de Gloucester conservé au Victoria & Albert Museum. Il a été acheté au British Rail Pension Fund (Fonds de pension de la Société nationale des chemins de fer britanniques) par le marchand londonien Sam Fogg pour le compte d’un client privé au prix de 4,4 millions de livres chez Sotheby’s Londres en 1996. L’achat du chandelier faisait partie d’un portefeuille d’investissements du British Rail Pension Fund. Il était autrefois conservé dans la collection von Hirsch qui l’a vendu à la caisse de retraite en 1978 au prix de 605 500 livres.
Tête en bronze d’un jeune athlète, Empire romain, fin du Ier siècle avant J.-C./Ier siècle après J.-C. Vendu chez Sotheby’s en 2000 au prix de 4,5 millions de dollars.
Cette pièce superbe a été exécutée à partir d’un original grec datant du IVe siècle avant J.-C., réalisé par le sculpteur Lysippos ou l’un de ses contemporains. Elle a établi un nouveau record de vente pour une pièce de l’Antiquité classique. Appartenant au sénateur Bernardo Nani, propriétaire de la plus grande collection d’antiquités de Venise à la fin du XVIIIe siècle, la tête a été conservée dans un musée de San Trovaso, puis a été vendue par les enfants de feu Hans Calmann et achetée par le Kimbell Art Museum de Fort Worth.
George Stubbs, Whistlejacket, 1762, huile sur toile. Acheté au prix brut de 15,75 millions de livres par les administrateurs de la National Gallery auprès des administrateurs de la donation de la famille Fitzwilliam, et négocié par Christie’s en 1997.
Ce portrait équestre, de grandeur nature, a été commandé par le deuxième marquis de Rockingham, l’un des plus grands mécènes de Stubbs, pour sa demeure du Yorkshire, Wentworth Woodhouse. Le tableau a ensuite appartenu à l’une de ses héritières directes, Lady Juliet Tadgell, et il est devenu l’attraction vedette de sa résidence au prieuré St Osyth dans le Kent, maison privée depuis 1550. Il était exposé dans une salle dont le sol avait été rabaissé afin de libérer suffisamment de hauteur pour accueillir ce tableau équestre de trois mètres de haut. L’œuvre a été vendue en même temps que la maison après la mort du mari de Lady Juliet Tadgell.
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Dix chefs-d’œuvre pour une décennie
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°140 du 11 janvier 2002, avec le titre suivant : Dix chefs-d’œuvre pour une décennie