Dans un contexte marqué par une certaine dégradation des affaires et l’annulation de salons dont celui d’Art Basel Miami, de nombreux professionnels comptaient sur les ventes d’art contemporain new-yorkaises de l’automne et sur l’attrait suscité par les enchères pour restaurer la confiance de leurs clients. Leurs attentes ont sans doute été en partie déçues par les résultats mitigés de Phillips, le 12 novembre, et de Christie’s, le 13. Sotheby’s a en revanche bien tiré son épingle du jeu, particulièrement lors de la dispersion de la collection Douglas Cramer, le 14 novembre.
NEW YORK (de notre correspondant) - Le marchand londonien d’art contemporain Simon Lee a constaté que le marché avait su garder sa maîtrise puisque les meilleures œuvres ont été cédées à des prix honorables, les œuvres difficiles ou ayant encore à faire leurs preuves ont été refusées. Quatorze nouveaux records de vente ont été établis pour des œuvres de Tom Wesselmann, Alex Katz, Duane Hanson, Georg Baselitz, Andreas Gursky et Bernd & Hilla Becher notamment. Phillips a ouvert la semaine avec deux œuvres qui auraient pu s’avérer problématiques. Le tout premier lot, connu sous le nom de Double Trouble, était Untitled (TRBL), de Christopher Wool (estimé 20 000-30 000 dollars). L’affaire était risquée, mais l’œuvre sur papier a suscité un intérêt surprenant de la part des enchérisseurs, parmi lesquels le marchand de l’artiste, Luhring Augustine, Thea Westreich, conseillère artistique de renom, et au moins trois autres personnes, avant d’être adjugée 88 300 dollars.
L’un des onze lots mis en vente par le collectionneur de Los Angeles Tom Patchett, l’immense Samson de Chris Burden (estimé 250 000-350 000 dollars), constitué d’une grue, de bois et d’un tourniquet, menaçait de faire s’écrouler le bâtiment dans lequel il est installé. Le moment était plutôt mal choisi pour proposer une telle œuvre à la vente et elle n’a, de ce fait, suscité aucune enchère.
Des résultats décevants
Toutes ces œuvres ont été exposées avant la vente dans un magnifique espace à Chelsea, mais le produit de la vente Phillips fut deux fois moins important que celui généré il y a six mois. Ceci s’explique notamment par une liste de lots plus réduite. Simon de Pury, le président de Phillips, a sans doute été déçu qu’une superbe peinture abstraite de Gerhard Richter (estimée 900 000-1,2 million de dollars) ait été enlevée des enchères, mais aussi que sa maison n’ait pas réussi à céder son lot vedette, une sculpture en porcelaine de Jeff Koons (estimée 1,5-2,5 millions dollars).
Christie’s a ouvert sa vente sur un coup de malchance : le lot phare, un nu de Gerhard Richter (estimé 3-4 millions de dollars), a été perforé par la fourche d’un chariot élévateur juste avant le début des enchères, et l’œuvre a été immédiatement retirée, laissant au vendeur l’unique consolation de réclamer une indemnité de 5 millions de dollars à sa compagnie d’assurance. Mais Christie’s en est de sa poche pour la prime. La société a été déçue par les résultats de la vente qui a généré un produit bien inférieur aux 41 millions de dollars obtenus lors d’une vente équivalente il y a six mois, et a certainement été frustrée par la piètre performance des 15 lots proposés par le collectionneur allemand Hans Grothe autour desquels la vente avait été construite. Ils ont à peine atteint la moitié du prix de garantie de 10 millions de dollars.
Seul Sotheby’s a réussi à maintenir les résultats obtenus il y a six mois grâce à ceux exceptionnels d’un ensemble de 30 lots apportés par Douglas Cramer – le collectionneur légendaire de Los Angeles –, mais aussi grâce aux prix inespérés obtenus par un deuxième catalogue réunissant des lots d’origines diverses. Les sept lots les plus chers de la semaine provenaient de ces deux catalogues et, réunis, ils ont généré en une seule séance un produit de vente supérieur à celui déclaré par leurs concurrents pour trois soirées de ventes.
De tous les points de vue, la prouesse fut remarquable, frisant la domination, pour le roi incontesté de l’art contemporain, Tobias Meyer (et ses collaborateurs) ; et pour un marché de l’art en perte de vitesse et en quête d’inspiration, cette soirée pourrait constituer, au cours des mois à venir, un point de référence.
Un autre ensemble proposé à la vente par Hans Grothe, et comprenant 14 lots de photographie allemande contemporaine, a contribué à hauteur de 1,83 million de dollars aux résultats de la soirée, ce qui semble bien maigre comparé au produit de 22,6 millions de dollars réalisé il y a six mois ; mais, malgré un nouveau record de vente pour Bernd & Hilla Becher et Andreas Gursky, leur performance n’a pas répondu aux attentes de la maison de vente qui aurait accordé une garantie de 3 millions de dollars au collectionneur allemand.
- Damien Hirst, Beautiful, Let’s Go to La-La Land…, estimé 250 000-350 000 dollars, adjugé 255 500 dollars.
Absolument magnifique. C’est le qualificatif qui convient le mieux à ce spin painting, grand format, unique, qui a été acheté par la présidente de Phillips, Daniella Luxembourg, dans la fourchette présumée du prix de réserve. Quoi qu’il en soit, c’est un prix record pour cette catégorie d’œuvres de Damien Hirst. Mais pour qui a-t-elle effectué cette acquisition ? En de pareilles circonstances, on est autorisé à penser qu’elle agissait pour le compte du propriétaire de la maison de vente, Bernard Arnault, qui a, dans le passé, ordonné à son personnel de sauver les lots les plus chers qui n’auraient pas attiré d’enchérisseurs.
- Maurizio Cattelan, Love Lasts Forever, estimé 500 000-700 000 dollars, adjugé 442 500 dollars.
Quelle coïncidence que cet amoncellement de squelettes d’animaux mis en vente par la collectionneuse de New York Elaine Dannheisser, aujourd’hui décédée, ait été proposé à la vente deux soirs seulement après qu’une version taxidermiste a atteint 610 750 dollars chez Sotheby’s, le 14 novembre 2001. Ces deux lots affichaient la même estimation, mais la sculpture-squelette, avec sa provenance irréprochable et son histoire amusante relatée dans le catalogue, était l’œuvre la plus intéressante. Alors, pourquoi le meilleur résultat a-t-il été obtenu par Sotheby’s ? Cela pourrait peut-être s’expliquer par la dynamique que l’auctioneer a su créer autour de sa vente.
- Gerhard Richter, 1024 Farben, estimé 2-3 millions de dollars, adjugé 1,77 million de dollars.
Cette composition grand format inspirée de la charte des couleurs, l’un des 15 lots mis en vente par le collectionneur allemand Hans Grothe, avait été achetée auprès de l’artiste à l’époque même de sa réalisation, en 1974, et pouvait se targuer d’une reproduction séduisante dans le catalogue de la vente. Mais en réalité, sa couche de vernis présente des craquelures importantes, problème technique qui n’était ni mentionné dans le texte du catalogue, ni pris en compte par l’estimation. En effet, cette dernière s’appuyait plutôt sur le prix considérable de 2,6 millions de dollars payé par le marchand londonien Anthony d’Offay chez Sotheby’s à Londres, le 27 juin 2001 pour une toile provenant de la même série, mais résolument plus petite et en bien meilleur état de conservation. L’œuvre a été achetée par la Californienne June Lee, conseillère en art, qui représentait un collectionneur coréen anonyme.
- Felix Gonzalez-Torres, Untitled (Blue Placebo), estimé 600 000-800 000 dollars, adjugé 666 000 dollars.
Même si sa ravissante installation de bonbons n’a pas approché le prix de vente record de l’artiste de 1,66 million de dollars obtenu par un rideau de perles de verre chez Christie’s à New York, le 16 novembre 2000, elle a néanmoins surpassé le résultat atteint par une installation de bonbons disposés en triangle qui était partie à 456 750 dollars chez Sotheby’s à New York, le 14 novembre 2000.
- Andreas Gursky, Paris, Montparnasse, estimé 300 000-400 000 dollars, adjugé 600 000 dollars.
Cette image appartenant à une édition de cinq exemplaires tirée en 1993, est, tout simplement, la plus belle photographie inédite d’Andreas Gursky. L’enchère gagnante, qui constitue un prix de vente record aussi bien pour l’artiste que pour l’art photographique contemporain, a été remportée par la conseillère californienne en art June Lee, qui agissait probablement pour le compte d’un client coréen.
- Jeff Koons, Ushering in Banality, estimé 1,5-2 millions de dollars, adjugé 1,87 million de dollars.
Si l’on prend en compte l’importance de ce lot, qui marquait l’exposition « Banality » de l’artiste, en 1988-1989, on aurait pu s’attendre à ce que cette sculpture de bois polychrome atteigne un prix plus élevé. L’œuvre a été achetée par l’éditeur Peter Brant, qui a également enlevé au cours de la même vente le dessin de Roy Lichtenstein figurant George Washington pour 940 750 dollars. L’investissement de Peter Brant dans l’œuvre de Jeff Koons comprend aussi deux des plus belles icônes de l’artiste, Pink Panther, achetée chez Christie’s à New York, en novembre 1999, et la deuxième version de Puppy, installée sur le parvis du Rockefeller Center en 1999, qu’il aurait acquise au prix de 3 millions de dollars.
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°138 du 7 décembre 2001, avec le titre suivant : Des résultats inégaux