Des records pour la sculpture à New York

Les ventes impressionnistes et modernes ont été marquées par les 18 millions de dollars atteints par un Brancusi

Le Journal des Arts

Le 31 mai 2002 - 1251 mots

À New York, les grandes ventes impressionnistes et modernes du printemps, organisées par Christie’s
et Sotheby’s, ont été marquées par les prix élevés établis par la sculpture, avec notamment un record à 18 millions
de dollars pour un Brancusi. Giacometti a également atteint des sommets.

NEW YORK. Laissant derrière eux aussi bien le procès pour entente que Phillips, l’auctioneer anticonformiste (depuis son rachat, la maison de vente a ralenti sa politique de garanties – son produit d’appel – et a reporté ses ventes d’Impressionnisme et d’art moderne au mois de juin, à Londres), Christie’s et Sotheby’s ont pu “reprendre le travail normalement”. Lors des grandes ventes de printemps, la première a réalisé un produit de 97 millions de dollars, à peine inférieur à son estimation haute, tandis que la seconde a totalisé 126 millions de dollars, soit 20 millions de moins que son estimation haute. En effet, un lot important n’a pas trouvé preneur.

Christie’s a donné le coup d’envoi avec brio. Son lot phare, Danaïde de Brancusi, mis en vente par la famille de Katherine Graham, éditeur du Washington Post, faisait son apparition sur le marché. Estimé 8 à 10 millions de dollars, il a mis en concurrence cinq enchérisseurs par téléphone et les applaudissements ont retenti dans la salle des ventes lorsque le marteau est tombé à 18,1 millions de dollars. Aussi surprenant que cela puisse paraître, ce prix marque non seulement un nouveau record pour l’artiste, mais aussi pour la sculpture en général.

Christie’s présentait également deux sculptures de Giacometti : le bronze La Forêt, issu d’une édition de six exemplaires, est l’une des pièces les plus recherchées de l’artiste. Un seul de ces bronzes est toujours en mains privées, et la pièce, estimée 7 à 9 millions de dollars, s’est envolée à 13,2 millions, au profit d’un enchérisseur anonyme par téléphone. Quelques lots plus tard, le portrait en buste de Diego, le frère de Giacometti, a été adjugé dans la fourchette de son estimation, au prix de 3,3 millions de dollars au marchand Richard Gray.

L’autre sensation de la soirée aura été L’Empire des lumières de Magritte, une œuvre très séduisante réunissant la nuit et le jour dans la même composition. Il s’agit de l’une des quatre versions inspirées du même sujet, mise en vente par les collectionneurs new-yorkais Dominique et Jean de Menil. Cette pièce a pulvérisé son estimation de 5 à 7 millions de dollars pour s’envoler à 12,6 millions au profit d’un enchérisseur anonyme par téléphone, établissant un nouveau record pour l’artiste. Caillebotte n’a pas démérité avec un portrait audacieux d’un fantassin, adjugé à 6,3 millions de dollars. Il appartenait à un ensemble proposé à la vente par Sam Josefowitz, le père de Paul Josefowitz, éditeur du magazine Apollo ; l’ensemble aurait fait l’objet d’une garantie de 15 millions de dollars. Il comprenait également une sculpture de Degas, Le Tub, adjugée 1,9 million de dollars à Henry Neville qui œuvrait pour les marchands de mobilier Mallett, de Londres. L’ensemble a généré un produit de 20,4 millions de dollars avec un seul invendu : un grand format de Vuillard.

Avec un total de plus de 97 millions de dollars, Christie’s avait de bonnes raisons de se réjouir, et l’auctioneer a même réussi à céder une tête de Picasso de la période bleue, qui présentait des problèmes de conservation et n’avait pas trouvé acquéreur à Paris l’année dernière. Treize lots sont restés invendus, mais en raison de l’excellente qualité des œuvres proposées, les lots vendus représentent 88 % de la valeur totale des œuvres proposées aux enchères.

Grand retour de la sculpture
Le soir suivant, Sotheby’s, qui cherche actuellement un repreneur, proposait des œuvres très alléchantes, qui faisaient leur entrée sur le marché, provenant de deux collections particulières, et pour lesquelles la société avait accordé une garantie en association avec les marchands William Acquavella et Robert Mnuchin. “Les maisons de vente ont souvent recours à ce type d’arrangement qui n’a rien d’exceptionnel, a déclaré le coprésident David Norman. Si les œuvres se vendent bien, nous partageons les bénéfices, et si elles ne partent pas, alors le marchand peut essayer de trouver des acheteurs pour les lots invendus.” Et l’opération a marché : toutes les œuvres ont été cédées. Dopée par les succès de la veille, la vente a démarré sur les chapeaux de roues avec neuf œuvres provenant de la collection de Samuel et Luella Maslon, dont quatre sculptures. Un autre portrait figurant le frère de Giacometti, mais ici aux proportions inversées – une grosse tête et de petites épaules –, plus expressif que la version proposée par Christie’s, a été adjugé 13,7 millions de dollars, après une lutte acharnée entre plusieurs acheteurs, enchérissant par l’intermédiaire des coprésidents David Norman et Charles Moffett, debout côte à côte sur le podium. C’est finalement un autre enchérisseur par téléphone qui a remporté la bataille. L’estimation importante, mais justifiée, de 5 à 7 millions, est visiblement l’un des éléments clés qui ont permis à Sotheby’s d’assurer la vente de la collection Maslon.

La maison de vente avait également garanti trois œuvres proposées par un collectionneur suédois, Philip Sandblom, qui comptent parmi les meilleurs résultats de la soirée. Pichet et assiette de poires de Cézanne, une nature morte avec fruits et pichet de céramique, a réalisé le meilleur résultat en partant à 16,7 millions, soit son estimation moyenne, après une longue lutte ; l’œuvre a été emportée par la marchande new-yorkaise Nancy Whyte. Le lot qui figurait en couverture du catalogue, une composition cubiste colorée de Juan Gris, a établi un nouveau record de vente pour l’artiste avec un prix de 8,4 millions, dans les limites de son estimation haute. Le troisième tableau de Sandblom, Composition (A) de Mondrian, a été vendu 5,2 millions au courtier français Marc Blondeau.

La vacation, qui devait réserver quelques surprises, a aussi connu un échec cuisant, mais prévisible. Le grand format, très impressionnant, de Matisse, Figure décorative, de la collection Maslon, estimé 9 à 12 millions, n’a pas dépassé 8,2 millions. Au musée du Louvre, charmant tableau de Degas, a trouvé acquéreur au prix de 16,5 millions, dans la fourchette de son estimation. C’était l’une des trois œuvres mises en vente par la collectionneuse argentine Amalia Fortabat. Elle vendait également un Gauguin de 1891, Femmes près des palmiers, l’une de ses premières œuvres tahitiennes, avec une estimation importante de 15 à 20 millions. Le tableau a essuyé un sérieux revers puisqu’il n’a pas décollé de 11,5 millions de dollars, aucun enchérisseur ne s’étant manifesté. Il fait partie des trois uniques tableaux qui n’ont pas trouvé acquéreur, mais, après les enchères, Sotheby’s a précisé que les trois œuvres faisaient l’objet de négociations ; parmi elles figure le Monet proposé par le Metropolitan Museum of Art, qui avait été volé à la famille Newman pendant la guerre. Le musée devait partager le produit de la vente avec les héritiers.

“C’était une vente fructueuse, avec un pourcentage élevé d’acheteurs privés américains, a déclaré Charles Moffett. Il est intéressant de constater que des œuvres qui refont surface après un temps assez court réalisent de si bons résultats, comme ce fut le cas pour certaines pièces que l’on n’avait plus vues sur le marché depuis longtemps. La sculpture est restée longtemps sous-évaluée, mais, aujourd’hui, le public s’y intéresse à nouveau : elle est clairement de retour.” Six des dix lots vedettes de la vente ont été adjugés à des acheteurs privés américains, avec un taux de vente de 94,55 % pour l’ensemble des lots, et 88,33 % pour la valeur totale.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°150 du 31 mai 2002, avec le titre suivant : Des records pour la sculpture à New York

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