Collectionneurs - Société

De l’« art bête » à la polémique

Par Olympe Lemut · Le Journal des Arts

Le 27 octobre 2024 - 605 mots

Depuis l’urinoir de Duchamp, le monde de l’art est secoué par des polémiques concernant des œuvres jugées vulgaires et provocantes, surtout lorsque leurs prix s’envole.

Maurizio Cattelan, Comedian, 2019, œuvre présentée à Art Basel Miami. Courtesy Art Basel
Maurizio Cattelan, Comedian, 2019, œuvre présentée à Art Basel Miami.
Courtesy Art Basel

Geste fondateur de l’histoire du ready-made – avec la Roue de bicyclette (1913) et le Porte-bouteilles (1914) –, l’urinoir Fountain de Marcel Duchamp a bousculé la notion même d’œuvre d’art, par le choix d’ériger au rang d’art un objet manufacturé, signé « R. Mutt ». L’œuvre originale a été refusée à l’exposition inaugurale de la Société des artistes indépendants de New York en 1917 car jugée « immorale et vulgaire » selon les organisateurs. Sa notoriété tient aux répliques réalisées par la galerie Schwarz (Paris) sous le contrôle de l’artiste dans les années 1960, aujourd’hui présentes dans des musées (Tate Modern à Londres, Musée national d’art moderne à Paris). L’humour grinçant de Duchamp allié à son sens de la provocation a laissé un héritage chez nombre d’artistes, dont les Young British Artists. Selon Morgan Labar, ces derniers endossent une esthétique « héritée des tabloïds britanniques, avec une volonté de choquer ». Tracey Emin a ainsi exposé ses draps de lit sales entourés de détritus (préservatifs, emballages) et de sous-vêtements tachés lors de la finale du Turner Prize en 1999, suscitant de vives critiques. Qualifiée de « farce vulgaire » par la presse britannique, l’œuvre a été acquise par le collectionneur Charles Saatchi avant d’être revendue en 2014 chez Christie’s (2,5 M£, près de 3 M€).

Moins tabloïd mais aussi provocant, Wim Delvoye a exposé en 2000 une machine à produire des excréments, dotée d’un système digestif. Cloaca digère des aliments préparés par de grands chefs, puis le résultat organique est emballé et vendu 1 000 euros pièce. Cette œuvre appartient à la branche scatologique de l’« art bête » selon Morgan Labar, Delvoye expliquant qu’il a voulu faire « un truc compliqué, cher et qui ne mène à rien » pour créer « une machine à faire du caca ». Si la polémique autour de l’œuvre s’est éteinte, une enquête auprès des visiteurs du Mona (Hobart, Australie) a montré que Cloaca était l’œuvre la plus détestée de la collection. Un humour à connotation sexuelle se retrouve dans le sapin de Paul McCarthy exposé place Vendôme à Paris en octobre 2014 pendant la Fiac (« Hors les murs ») : Tree consiste en une sculpture gonflable verte de 24,4 m de haut en forme de sapin conique… ou d’accessoire sexuel (plug anal). Dès le montage, l’artiste a été agressé par un passant, et la sculpture a été dégonflée par un acte de vandalisme commis peu après son installation. L’artiste a décidé de ne pas la regonfler. L’allusion sexuelle et le lieu d’exposition prestigieux ont contribué à transformer une « blague » (1) en polémique internationale.

Si Jeff Koons reste le champion des œuvres « bêtes » – au sens de Morgan Labar – aux prix astronomiques (un Rabbit vendu 91 M$ chez Christie’s en 2019), des œuvres plus modestes ont fait récemment polémique. Maurizio Cattelan a ainsi proposé une banane scotchée sur un mur pour 120 000 dollars en 2019 lors de la foire Art Basel Miami Beach : deux exemplaires de Comedian [voir ill.] ont été vendus. Cattelan, spécialiste de l’humour potache, a exposé en 2016 des toilettes en or massif au Guggenheim Museum de New York, estimées à 5,5 millions d’euros. Cette œuvre intitulée America est restée en service pendant toute la durée de l’exposition, comme un hommage à Fountain de Duchamp.

(1) « Tout est parti d’une plaisanterie, a expliqué Paul McCarthy au Monde : à l’origine, je trouvais que le plug anal avait une forme similaire aux sculptures de Brancusi. Après, je me suis rendu compte que cela ressemblait à un arbre de Noël. Mais c’est une œuvre abstraite. »

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°641 du 18 octobre 2024, avec le titre suivant : De l’« art bête » à la polémique

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