Si le statut et le rôle du commissaire-priseur ont connu une profonde mutation depuis la fin du monopole en 2000, son profil sociologique demeure identique malgré des trajectoires diversifiées.
L’histoire des commissaires-priseurs est durablement marquée par une évolution sous-tendue par de nombreuses ruptures et remises en question. Ancrée dans l’histoire, la mythologie fantasmée entourant la profession relève son existence dès l’Antiquité et la fait ressurgir en 1556, année de l’édit d’Henri II créant les offices de priseurs-vendeurs. Malmenés lors de la Révolution française, les commissaires-priseurs renaissent à l’orée du XIXe siècle, avant d’être consacrés par l’ordonnance du 2 novembre 1945. Le commissaire-priseur moderne, officier ministériel marqué par la dualité des ventes volontaires et judiciaires, était né. Au contraire, quatre ans plus tard, l’Angleterre supprimait l’exigence de l’obtention d’une licence d’exercice et depuis, aucune condition de diplôme ou de garantie n’a été ajoutée. Mais l’officier ministériel, face à des impératifs européens, devait s’effacer en 2000 au profit d’une figure contemporaine, remodelée par la loi du 20 juillet 2011. Aujourd’hui concurrencé par de nombreux acteurs sur le terrain de son ancien monopole, le commissaire-priseur a dû s’adapter et se spécialiser, afin d’attirer vendeurs et acheteurs au-delà de ses seules compétences techniques.
Le commissaire-priseur est, en effet, avant tout un homme de l’art et un expert. Héritage du statut forgé en 1945, l’accès à la profession s’avère toujours soumis à la réussite de plusieurs examens. Celui d’accès au stage, l’examen dit d’entrée, nécessitant depuis le décret du 1er octobre 2013 une compétence renforcée avec l’obtention a minima d’une licence en histoire de l’art et en droit. Sur près de 130 candidats se présentant chaque année, seuls 20 à 25 d’entre eux sont sélectionnés. Une autre voie d’accès permet également aux clercs, justifiant d’une pratique professionnelle d’au moins sept ans, de se présenter à un examen spécifique. L’élève commissaire-priseur doit ensuite suivre des cours pendant près de deux ans, tout en effectuant des stages auprès de commissaires-priseurs volontaires, voire judiciaires, et désormais auprès d’un courtier en marchandises assermenté. À l’issue de ces deux années, parfois trois en cas de redoublement, le Conseil des ventes volontaires délivre sous conditions un certificat de bon accomplissement du stage. Néanmoins, tous les aspirants au diplôme ne sont pas reçus à l’examen de sortie et la seule réussite de l’examen d’accès ne leur accorde aucune légitimité sur le marché. Enfin, l’élève peut se présenter à l’examen permettant de réaliser des ventes aux enchères publiques judiciaires. Pour autant, l’ensemble des commissaires-priseurs diplômés n’exercera pas en tant que commissaire-priseur habilité à diriger des ventes publiques.
Quatre trajectoires professionnelles
L’absence de statistiques ne permet pas d’avoir de chiffres précis, mais des constats empiriques montrent que c’est bien la diversité des trajectoires qui domine sur l’avenir de ces diplômés. Quatre voies leur sont ainsi offertes. Certains rejoindront l’un des trois premiers opérateurs du marché en qualité de spécialistes, espérant tenir un jour le marteau, d’autres des maisons de ventes plus modestes, souvent en qualité de clerc avant d’être associés ou habilités, tandis que certains, bien rares, optent rapidement pour l’établissement ou le rachat d’une étude. Enfin, de nombreux diplômés, par choix ou par nécessité, se tournent vers des activités périphériques à celle à laquelle ils se destinaient. Ainsi, nombre d’entre eux intègrent des banques et des sociétés d’assurance, ou encore le secteur du courtage et du conseil patrimonial. Leurs compétences y sont particulièrement appréciées. Selon les chiffres communiqués par le Conseil des ventes, sur les trois dernières promotions sortantes, soit sur un total de 92 diplômés, la moitié exercerait aujourd’hui en qualité de salarié d’un opérateur, 14 % auraient déjà le statut d’associé, 5 % auraient créé leur propre structure et près d’un tiers serait dans une situation intermédiaire, entre fin de stage et exercice dans un autre secteur d’activité. Sur dix ans, les diplômés n’exerçant pas dans la profession représenteraient une part de 20 % de l’ensemble. Néanmoins, sur les plus de 600 commissaires-priseurs répartis sur le territoire national, contre 459 en 1994, près de 60 % d’entre eux exerçaient déjà la profession avant 2001, démontrant ainsi un certain renouvellement, leur part étant de 90 % en 2002.
Une lente mutation
Et la profession est en plein changement, ainsi que le souligne aujourd’hui Alain Quemin, sociologue de la culture et auteur d’une étude en 1997 sur les commissaires-priseurs. « La profession avait tellement vieilli que les commissaires-priseurs les plus âgés ont été remplacés par des professionnels beaucoup plus jeunes. De ce fait, les maisons de ventes s’éloignent de plus en plus du modèle des professions libérales traditionnelles, classiques, et se rapprochent bien davantage de celui des sociétés commerciales ». En effet, depuis la loi de 2011, l’objet social des opérateurs de ventes volontaires a été libéralisé. Ceux-ci peuvent accomplir des actes de commerce et librement dépasser le champ de la seule vente aux enchères, notamment réaliser des ventes de gré à gré. Mais peu d’opérateurs déclarent aujourd’hui avoir recours à une telle technique. Ils ne seraient que 34 en 2013.
Mais la profession s’est peu diversifiée. Certes, sa féminisation est un phénomène constant, depuis l’ouverture de la profession aux femmes en 1924. Ainsi, sur les cinq dernières promotions, les femmes représentaient plus de 60 % des élèves en formation. En revanche, l’origine sociale demeure très homogène. Alain Quemin relève ainsi que « les responsables de maisons de ventes aux enchères volontaires restent fondamentalement des indépendants : ce sont des chefs d’entreprises issus le plus souvent de familles d’indépendants, professionnels libéraux ou chefs d’entreprise. Comme la plupart des OVV sont adossées à des études de commissaires-priseurs, il faut toujours disposer d’un capital pour acheter ces structures. Et, pour trouver la marchandise à disperser, il est très utile d’être issu de la bonne bourgeoisie, le milieu social où se trouve l’essentiel de la marchandise à vendre ». Près de trois-quarts des opérateurs sont encore adossés à des études judiciaires, dont l’activité est en partie liée aux relations de confiance établies avec les notaires, correspondants privilégiés. Cette relation intuitu personae alliée au coût relativement important du rachat d’une étude favorise le caractère encore endogène de la profession et son aspect familial. De même, ces facteurs incitent peu les ressortissants étrangers à s’installer en France. Pourtant, les conditions d’exercice des ressortissants européens ont bénéficié d’un réel assouplissement aux termes de la loi du 20 juillet 2011. Une équivalence des qualifications ou de solides connaissances acquises au cours de leur expérience professionnelle leur permettent désormais d’exercer sur le territoire national sans passer d’examen supplémentaire. Pourtant, seulement deux candidatures ont été enregistrées et validées en 2005, une seule en 2008, 2009 et 2010.
Les lois de 2000 et de 2011 annonçaient pour l’une la libéralisation des ventes aux enchères publiques et pour l’autre la modernisation du secteur. Pour autant, le mode de sélection des futurs commissaires-priseurs demeure rattaché, dans ses exigences et ses modalités, à l’esprit de l’ordonnance de 1945. Cette exception française s’exprime également dans le conservatisme qui domine encore la profession et que les jeunes générations ont pour défi d’affaiblir.
Les spécialistes salariés
Depuis la fin du monopole en 2000, et l’établissement en France de Christie’s et de Sotheby’s, un nouvel acteur a émergé au sein de certaines maisons de ventes. Alors que les opérateurs traditionnels ont recours à des experts indépendants, lorsque le commissaire-priseur ne procède pas lui-même à l’estimation des objets, d’autres emploient désormais des experts rattachés à un département spécifique, dénommés spécialistes. Ces derniers sont liés à l’opérateur de ventes volontaires par un contrat de travail et comptent dans leurs rangs des commissaires-priseurs diplômés, amenés après quelques années d’exercice à tenir le marteau. Leur lien de subordination emporte deux conséquences principales. Ainsi, la description et l’estimation des biens mis en vente est souvent réalisée et validée par l’ensemble du département, faisant alors peser la responsabilité éventuelle sur le seul opérateur, personne morale. À la différence des commissaires-priseurs ou des experts indépendants, la mise en jeu de leur responsabilité personnelle est ainsi préservée.
Les nouveaux commisaires-priseurs
Cédric Melado, diplômé en 2010, a choisi la voie de l’établissement en cofondant la maison FauveParis, dont la vente inaugurale aura lieu le 13 mai prochain. Animé par la volonté de « libérer les enchères », son cofondateur souhaite rénover l’approche des ventes aux enchères publiques afin de les rendre accessibles à un public non initié. Outre un espace ouvert jusqu’à 22h et conçu comme un lieu d’accueil et de convivialité, avec un salon-bar, la maison a créé un partenariat avec Auction Attraction, société fondée par deux commissaires-priseurs diplômées, afin d’accompagner la future clientèle de non-initiés. Marie-Charlotte Denoël, cofondatrice avec Emma Firby et diplômée en 2011, a fait le choix de valoriser autrement sa formation en privilégiant « le côté méconnu de celle-ci, celui du domaine de l’expertise, afin de casser l’image hermétique des ventes aux enchères, en proposant un service de découvertes et de visites de l’ensemble du marché de l’art, fondé sur l’interactivité ».
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Commissaire-priseur, un métier empreint de conservatisme
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°412 du 25 avril 2014, avec le titre suivant : Un métier empreint de conservatisme