Une antenne à Bruxelles, de nouvelles réserves et des projets « un peu fous » qui prennent soudain corps : le galeriste sait saisir l’occasion qui se présente.
En cette fin d’été, Christophe Gaillard est joignable via la messagerie WhatsApp, décalage horaire oblige. Cet amoureux du Japon a prolongé des vacances familiales en Asie en faisant un stop à Osaka et Tokyo. Ce n’est pas son premier voyage dans l’archipel nippon. « La première artiste que j’ai montrée à la galerie, c’est Chiharu Shiota », rappelle-t-il.
Est-ce qu’il songe à ouvrir une succursale là-bas, comme l’ont fait Emmanuel Perrotin en 2017 et Ceysson & Bénétière cette année ? Il ne l’exclut pas, mais il faudrait qu’il y ait « une rencontre, avec un lieu ou avec quelqu’un », une de ses coïncidences qui fait que l’on sait que c’est le bon endroit, le bon moment. Question d’intuition. De chance aussi. Cela a été le cas par exemple à Bruxelles, où Christophe Gaillard est devenu locataire d’un hôtel particulier juste en face du futur musée « Kanal-Centre Pompidou ». « Un véritable flagship ! », assure-t-il. Après avoir visité cet élégant bâtiment sur trois niveaux, stratégiquement situé dans un quartier en devenir, il a attendu plusieurs mois pour signer, le temps de trouver la directrice de galerie idoine en la personne de Sophie Roose. Celle-ci parle flamand et assurait la direction de la Galerie de la Béraudière, spécialisée en art moderne, à Bruxelles, depuis 2016 ; elle a également occupé le poste de secrétaire générale et coordinatrice de l’International Association of Corporate Collections of Contemporary Art (Iaccca), qui rassemble, au niveau international, une cinquantaine de collections d’entreprise dévolues à l’art contemporain. Ils fêteront à la rentrée le premier anniversaire de cette antenne belge qui a obligé Christophe Gaillard « à déléguer » et à se réorganiser, autant d’ajustements à distance qu’il est plus facile de mettre en place dans une ville francophone située à une heure et demie de Paris en train. Une étape, donc.
Christophe Gaillard (55 ans) aime bien les projets un peu fous. Il a craqué début 2019 pour un gros manoir normand décati, transformé en château avec parc, potager et dépendance accueillant des artistes en résidence. Pas de business plan, un chantier mené tambour battant pour une ouverture avec feu d’artifice en juin 2020. Quatre ans plus tard, le galeriste reçoit au Tremblay (Orgères, Orne) comme si le domaine était dans sa famille depuis plusieurs générations. Un plat mitonne sur les réchauds du piano Lacanche, une table est dressée dans le jardin, la fontaine dessinée par Helène Delprat, d’inspiration baroque, glougloute tranquillement. Les allées sont au cordeau, les chambres d’amis merveilleusement décorées de pièces de design chinées avec un goût très sûr : avant d’ouvrir son premier espace parisien – et après une carrière de régisseur auprès du chef d’orchestre William Christie –, l’homme a fait ses classes en tant que marchand indépendant à Drouot. Il y a acquis, selon la formule consacrée, « une culture de l’objet ». En dépit de ce cadre idyllique – bien que le climat y soit humide –, le Tremblay n’est pas fait pour se reposer. À quelques jours de son départ en famille, le maître des lieux échafaude avec plusieurs membres de son équipe (qui compte treize employés en tout) le programme d’un colloque biennal qui se tiendra vraisemblablement l’été prochain. Ceci tandis que la galerie a changé d’échelle.
Christophe Gaillard sait en effet saisir l’occasion quand elle se présente. Il y a quelques mois, une déviation l’a contraint à emprunter un itinéraire bis pour se rendre au château. Il s’arrête dans un bourg pour dépanner un couple en voiture, prend son téléphone, relève la tête et voit le panneau « à vendre » sur la façade d’une ancienne usine de 2 500 mètres carrés qu’il n’avait jamais remarquée auparavant. Des portes de 10 mètres de haut, des quais de livraison pour charger et décharger, des linéaires de rangement, un volume exceptionnel. Il imagine : des réserves où entreposer les œuvres, un showroom, des bureaux… L’ensemble a été inauguré en juin dernier. Voilà des années qu’il cherchait une solution pour réduire les coûts de stockage et de transport devenus de plus en plus lourds… Un camion est donc venu compléter cette acquisition judicieuse. Le galeriste est ainsi envié par nombre de ses confrères. « C’est un formidable outil de travail, explique-t-il. Quand Stéphanie Airaud, la directrice du Musée d’art contemporain de Marseille, est venue pour commencer à préparer la grande exposition d’Anita Molinero programmée en 2025, nous avions toutes ses œuvres sous la main, y compris celles de très grand format. » Tout cela paraît tellement évident a posteriori… Il faut dire qu’à chacune de ses prises de risque, ce père de trois enfants – son aîné porte le prénom de Côme en hommage aux Médicis – peut aussi compter sur son épouse et associée, Nathalie, ingénieure de formation, présence discrète et efficace en coulisses, d’une indéfectible solidarité.
Le lendemain de son retour du Japon, Christophe Gaillard a prévu d’assister au vernissage de l’exposition que la Fondation CAB, à Bruxelles, consacre à l’œuvre sculpté de Richard Nonas (1936-2021). « Si ses sculptures d’acier, de pierre et de bois reprennent une grammaire minimaliste faite d’un dépouillement formel caractérisé par le recours à la géométrie, d’une certaine monochromie et de sérialité, son œuvre laisse pourtant résolument l’art minimal derrière elle pour se concentrer sur la question du sensible – qui semble étrangère à la pratique artistique de ses pairs », a-t-il écrit dans le catalogue de cette exposition monographique dont la galerie est partenaire. Il a commencé à travailler avec le sculpteur américain dès 2019, et représente désormais sa succession. Comme celles de Pierre Tal Coat, Michel Journiac, Georges Noël, Daniel Pommereulle, Ceija Stojka, Philippe Vandenberg… Car il a été l’un des premiers à reprendre des estates, parti du constat que les œuvres de certains artistes disparus étaient injustement tombées dans l’oubli, pendant que les prix des jeunes pousses de l’art contemporain flambaient. Il revendique une approche d’« expert », afin que la galerie, grâce aux archives constituées par son « département recherche / documentation & successions », devienne incontournable pour ces artistes. C’est selon lui déjà le cas pour Hélène Delprat, bien vivante, dont il a accompagné le transfert chez Hauser & Wirth l’an dernier. Il peut s’en féliciter, puisque les prix de ses tableaux ont plus que doublé depuis 2021. Et que de nouveaux collectionneurs s’intéressent à son travail, notamment en Asie. Il n’y a pas de hasard, seulement des rendez-vous.
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Christophe Gaillard, le rêveur réaliste
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°639 du 20 septembre 2024, avec le titre suivant : Christophe Gaillard Le rêveur réaliste