Quel est votre sentiment sur le marché de l’art contemporain ?
Il y a indéniablement aujourd’hui une situation plus en faveur de l’art contemporain que du moderne. On a été englouti en mai par l’opération de matraquage de la vente Whitney chez Sotheby’s. Il faut récupérer de l’énergie pour recommencer à regarder les choses. La peinture est de retour, de même que les œuvres sur papier. On voit aussi de nouveaux collectionneurs, portés par des phénomènes de mode. Tout l’argent qui est là, dans une sorte de flottement, semble devoir être investi seulement dans ces phénomènes de mode, car les gens ne sont pas assez cultivés pour dépenser autrement, de manière posée. Beaucoup achètent avec leurs oreilles. Mais je ne pense pas qu’une œuvre contemporaine atteigne 104 millions de dollars comme le Garçon à la Pipe de Picasso. Heureusement d’ailleurs, car ça tuerait l’artiste !
Qu’avez-vous pensé de la Foire de Bâle ?
L’avantage d’Art Basel, c’est que l’on n’est pas écrasé par le pays invitant, comme c’est le cas dans presque toutes les foires. À Bâle, il y a une poignée de marchands, surtout américains, sur lesquels tout le monde se précipite pour acheter la pièce à ne pas rater. Les acheteurs qui sont dans une idée spéculative ont besoin d’être rassurés par l’image de marque incontestable d’un marchand. Il y a eu dès les premières heures de la foire une vraie folie acheteuse. À Bâle, si on veut une œuvre de Matthew Barney, on peut la trouver. On paye le prix fort, mais on peut aussi y faire des affaires. Sur le stand de la galerie Millan (São Paulo), on a vu une belle pièce de Tunga à 40 000 dollars (33 180 euros). Du même Tunga, on trouvait une superbe installation à la galerie Luhring Augustine (New York) pour seulement 75 000 dollars, alors que cet artiste est un dieu vivant dans son pays. Pour la même somme, la galerie Gisela Capitain (Cologne) présentait une installation du jeune Jorge Pardo ! Une ou deux galeries se sont mouillées pour présenter des artistes français. Sur le stand d’Andréhn-Schiptjenko (Stockholm), on pouvait voir une grande photographie de Xavier Veilhan pour 30 000 euros. Cette galerie suédoise n’a pas eu peur de consacrer un mur entier à un artiste français ! Au niveau des galeries françaises, Almine Rech proposait l’un des plus beaux stands, dépouillés, avec un sublime James Turrell et deux magnifiques Philip-Lorca diCorcia. Mais l’œuvre la plus insensée était sans doute le grand squelette dévoré par les asticots des frères Chapman chez White Cube (Londres). On se demande qui pourrait supporter cette œuvre chez soi ! En revanche, la section moderne de la foire ne peut se mettre au niveau d’une exposition aussi fabuleuse que « Miró-Calder », organisée parallèlement à la Fondation Beyeler.
Quelle est votre actualité ?
Nous avons été très encouragés par notre première vente généraliste d’art moderne et contemporain en mai à Paris. Nous prévoyons une seconde vente en décembre. On a besoin de se positionner et de prendre d’autres parts de marché, des gens qui ont leurs petites habitudes avec les commissaires-priseurs parisiens. Mais l’optique est plutôt de dynamiser une situation française que de piquer des affaires aux voisins. Si on arrive à faire deux ventes importantes par an à Paris, ce sera la victoire absolue. J’aimerais vendre des pièces de 1 000 euros à 1 million d’euros et atteindre un produit, pourquoi pas, de 4 millions d’euros. À Milan, Christie’s réussit bien à faire des ventes à 5 millions d’euros. Certes, on ne pourra pas aller plus loin avec le droit de suite et la situation fiscale française. Mais j’espère quand même avoir des pièces contemporaines du même niveau que celles qu’on trouve dans les ventes de jour à Londres. Il faut donner aux étrangers l’habitude d’acheter et de vendre à Paris. C’est en cela que la vente d’art latino-américain à Paris était une vraie gageure. L’optique est de vendre de très belles œuvres à Paris en s’appuyant sur une logistique internationale.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Caroline Smulders, directrice du département d’art abstrait et contemporain de Christie’s France
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°196 du 25 juin 2004, avec le titre suivant : Caroline Smulders, directrice du département d’art abstrait et contemporain de Christie’s France