PARIS
L’expert Bruno Sabatier, dont la galerie est dépositaire du catalogue raisonné de son œuvre graphique, fait le point sur cet aspect du marché de l’artiste.
Ancien avocat, Bruno Sabatier a ouvert en 2003 une galerie afin de présenter des estampes de Francis Bacon (1909-1992), dont il possède un fonds important et en a conçu le catalogue raisonné. En écho à la rétrospective qui se tient au Centre Pompidou, il présente une exposition consacrée à l’œuvre graphique du peintre anglais.
Eddy Batache [historien de l’art et ami de Bacon] m’a présenté Francis Bacon en 1976, à l’époque pour une question juridique puisque j’exerçais comme avocat spécialisé dans le droit de la propriété intellectuelle. La même année j’ai édité sa première gravure, Portrait de Peter Beard, inspirée du panneau central du triptyque Trois études pour un portrait de Peter Beard (1975). Cette gravure venait illustrer la couverture de l’ouvrage d’Eddy Batache La Mysticité charnelle de René Crevel, publié aux éditions Georges Visat, dont j’ai été le dernier gérant. Avec Bacon, nous sommes devenus amis et j’ai édité sa deuxième et troisième gravure, considérées comme originales – c’est-à-dire exécutées par l’artiste lui-même –, publiées dans l’ouvrage Requiem pour la fin des temps et éditées à 100 exemplaires, plus quelques éditions hors commerce. Il s’agit du Portrait de Michel Leiris, et du Suicide de George Dyer.
Ce qu’un graveur met huit jours à exécuter, Francis Bacon mettait plus d’un un an à le faire, car il apprenait la technique. Après ces trois gravures, d’ailleurs, il n’a plus voulu en réaliser lui-même, ça l’assommait. J’ai donné le contrat des éditions Polígrafa (Barcelone) à Manuel de Muga : il a imprimé les gravures suivantes – deux triptyques et Seated Figure– qui n’ont pas été réalisées par Bacon, même si bien sûr celui-ci a suivi leur fabrication : il choisissait la gravure reproduite, s’impliquait du début à la fin, et signait.
Absolument pas. Il s’agissait de la collection d’estampes d’Alexandre Tacou, qui comportait beaucoup de doubles. Le catalogue est d’ailleurs truffé d’erreurs – relatives aux dates, aux titres… L’estate de Francis Bacon m’a donc demandé de réaliser un catalogue raisonné, ce qui était facile pour moi, car je disposais de toutes les archives et j’avais la collection complète des gravures et lithographies. J’ai fait ce catalogue en 2013, devenu la référence pour son œuvre gravé. Par la suite j’ai conseillé Christie’s et Sotheby’s ; je me rends pour cela une fois par mois chez Christie’s à Londres.
Il n’est pas comparable à celui d’un Picasso, d’un Miró ou d’un Chagall, avec leurs tirages parfois élastiques. Bacon n’a fait que neuf gravures et vingt et une lithographies, avec des tirages réduits. Dans le catalogue, j’ai rajouté six lithographies offset qui ont fait l’objet d’édition, mais ici on est davantage dans la quadrichromie, cela n’a aucun caractère d’authenticité. Même si certains ont essayé de les faire passer pour des éditions. Il est vrai que l’on ne peut plus acheter aujourd’hui d’original de Bacon, qui est avec Picasso le peintre le plus cher au monde.
Il m’est arrivé de faire retirer de certaines ventes des estampes apocryphes, comme on en voit circuler sur Internet. Il faut être vigilant. La provenance est toujours importante.
Il est mondial : plus de la moitié de mes clients sont américains, brésiliens, australiens, irlandais, canadiens, anglais… Ils veulent la garantie de ma provenance. Je n’ai qu’une toile de Bacon, c’est mon portrait : il me l’a offert. Je ne lui ai jamais demandé d’honoraires, il faisait des cadeaux. Cela m’a permis de constituer une très bonne collection de gravures et de lithographies. Quand on produit une édition limitée, il y a toujours quelques exemplaires pour l’artiste, l’éditeur, le dépôt légal. C’est ainsi que je me suis retrouvé avec une centaine d’œuvres, des essais, des bons à tirer. Mes premiers clients me suivent depuis 1976. Ils sont fidèles. Ce sont devenus des amis. Parfois ils me revendent une estampe, on fait des échanges. Beaucoup sont américains, et parmi eux il y a même quelques stars, comme Kate Moss, qui m’a acheté une collection complète.
Je présente l’ensemble de cet œuvre graphique. Je loue pour cela l’espace de la galerie située en face de la mienne. Les prix, encore très abordables, s’échelonnent de 20 000 à 120 000 euros, suivant notamment des critères tels que le sujet, son format et la hauteur du tirage, mais également son état de conservation. Ce dernier critère est très important : suivant son état, le prix de la même œuvre peut varier du simple au triple. Enfin, si l’on considère la rareté de ce corpus et les prix considérables atteints par les toiles de Francis Bacon, ses estampes, avec le temps, ne peuvent qu’atteindre des prix beaucoup plus importants que ceux d’aujourd’hui.
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Bruno Sabatier : « Les estampes de Bacon ne peuvent qu’atteindre des prix importants »
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°529 du 20 septembre 2019, avec le titre suivant : Bruno Sabatier, fondateur et directeur de la JSC Modern Art Gallery à Paris : « Les estampes de Bacon ne peuvent qu’atteindre des prix importants »