Depuis quelques années, le marché de l’art parisien se consacre chaque mois de novembre à la photographie. Dans le sillage du salon Paris Photo, six vacations ont eu lieu les 15, 16 et 17 novembre. Les résultats des ventes ont été dans l’ensemble satisfaisants, mais sans surprises. Toutefois, l’événement sans précédent de la vente de photojournalisme, réussite publique comme financière, est venu secouer l’ordre établi du petit monde de l’image.
PARIS - Parmi les six ventes de photographies qui ont eu lieu les 15, 16 et 17 novembre, cinq étaient consacrées à la photographie ancienne et moderne. Les vacations présentaient quelques grands noms comme Baldus, Le Gray, ou encore Maxime Du Camp dans la vente Tajan, Gisèle Freund pour Collecties… La photographie plasticienne était absente des salles de vente. Faut-il conclure qu’en ces temps instables, les acteurs du marché ont préféré proposer des valeurs plus classiques et plus sûres ? Sans aucun doute.
La vente dirigée par l’étude Beaussant-Lefèvre avait l’originalité d’être constituée du fonds de l’atelier de Ferdinand Tilliard et de photographies du voyage de Paul-Émile Miot. Ces deux ensembles étaient homogènes et nouveaux sur le marché. Quatre calotypes de Tilliard ont été préemptés par l’État, d’autres ont obtenu de très beaux prix comme Bateau à marée basse à Dieppe, vendu 80 000 francs. La plus belle enchère de la seconde partie de la vente a été pour Femme de la famille des mick-macks…, vendue 128 000 francs, soit le triple de son estimation haute. La vente a totalisé 1,3 million de francs pour 133 lots. Les vacations ont obtenu un succès général, qui est relatif si l’on s’en réfère aux prix pratiqués il y a un an à peine. « Comme je travaille avec de vrais collectionneurs, des gens passionnés, et que je m’occupe de photographie d’art, de qualité, je n’ai pas eu de problèmes, considère Viviane Esders, expert près la cour d’appel de Paris. De plus, je pratique des prix raisonnables. » La vente de l’étude Libert et Castor a effectivement obtenu des résultats satisfaisants, avec 58 % de lots vendus. Mais, à quelques exceptions, les prix sont restés proches des estimations et ce même dans le cas d’œuvres populaires comme Le Baiser de l’Hôtel de Ville de Robert Doisneau.
D’autres icônes modernes ont rencontré l’intérêt d’un public nombreux. La vente de Thierry de Maigret, « le photojournalisme aux enchères », a consacré le goût de nouveaux acheteurs pour des référents immédiats et contemporains. « Le photojournalisme a amené une clientèle nouvelle et jeune qui a envie d’être surprise, analyse Laurent Herschtritt, expert de la vente. C’est une génération qui a grandi avec la télévision, la vidéo, qui est attirée par l’image vivante. » Ces dernières relèvent du symbole culturel, politique, social et de ce fait, appartiennent à une imagerie populaire moderne, comme ce Portrait du Che par Alberto Korda, adjugé 28 000 francs pour un tirage moderne signé. Parmi les pièces les plus demandées de la vacation, des images de Doisneau, Brassaï, des portraits de Marilyn Monroe, James Dean, ou encore le premier tirage du Portrait de Massoud de Reza diffusé mondialement par la presse, et vendu 24 000 francs.
Le record de la vente, 500 000 francs, a été établi au profit des familles des pompiers de New York, par un ensemble de neuf images, réalisées le 11 septembre au World Trade Center par James Nachtwey et achetées par Vivendi Universal. Face à ces résultats, les experts sont partagés, certains considèrent qu’il s’agit d’un faux événement lié au récent engouement pour les médias d’information. D’autres, ravis de cette réussite, observent sereinement l’intérêt d’un public nouveau pour la photographie. Quant aux organisateurs, ils ne négligent pas la possibilité d’une deuxième vente.
Un marché qui s’équilibre
« Il y a peut-être un fléchissement du marché au niveau du chiffre de vente, estime Paul Benarroche, l’un des experts de la vente de l’étude Tajan le 17 novembre. Un certain nombre de choses ne se vendent plus, alors qu’il y a un an 9 % des lots étaient dispersés. Il y a en revanche un public de plus en plus nombreux pour la photographie qui éprouve un réel intérêt et effectue des achats plus réfléchis. » Ses propos trouvent écho chez sa consœur Viviane Esders qui constate un nombre grandissant d’amateurs dans les salles de vente, mais également lors de ses conférences à Drouot-Formation. Un public jeune qui désire apprendre à collectionner et « se tourne vers la photographie parce que c’est un marché raisonnable ».
Un marché raisonnable, ou plutôt un marché en train de s’équilibrer après une série d’excès sans précédent. « Les collectionneurs français ont été terrorisés par les résultats de la vente André Jammes, selon Marc Pagneux. Il y a de plus une sur-représentation de la photographie par rapport à son produit total généré. » Rappelons pour mémoire que la vacation londonienne de Sotheby’s avait totalisé, en septembre 1999, 76 millions de francs, un record inégalé qui avait faussé le marché. Par ailleurs, un certain nombre de marchands de photographies sont apparus ces dernières années, donnant un poids numéral important à un domaine encore jeune. Les experts envisagent aujourd’hui l’avenir de manière optimiste. Le marché s’assainit et s’installe solidement en France. Paris pourrait bien, dans les prochaines années, doubler Londres et New York, pour devenir le lieu de prédilection de la photographie ancienne.
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Bien plus que des clichés
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°138 du 7 décembre 2001, avec le titre suivant : Bien plus que des clichés