WASHINGTON (ETATS-UNIS) [09.06.09] – Philip Kennicott dans un article du Washington Post essaye de comprendre les raisons de l’accalmie de la vie artistique des années 2000 comparée aux scandales des années 80-90 aux Etats-Unis.
Les musées peuvent-ils encore être un espace de critique sociale ? C’est la question posée par Philip Kennicott dans un article publié par le Washington Post le 31 mai 2009. Il estime que le dernier scandale artistique qui a reçu une audience nationale fut celui de l’exposition « Sensation » au musée de Brooklyn en 1999. Celle-ci avait tellement choqué que Arnold Lehman, son directeur, avait été averti que sa vie était menacée.
Cette exposition avait permis la reconnaissance des Young British Artists de la collection de Charles Saatchi. Le portrait d’une tueuse d’enfants et le détournement d’une image de la Vierge Marie furent les deux principaux objets de la polémique. Selon Philip Kennicut, qui s’appuie sur le rapport de Stephen Dubin concernant les scandales dans les musées entre 1989 et 1999 publié sous le titre « Les vitrines du pouvoir » (« Displays of Powers ») en 1999, l’exposition « Sensation » clôturait définitivement une décennie de polémiques provoquées par les arts.
Cette décennie s’ouvrait en 1989 avec l’exposition des photographies de Robert Mapplethorpe à la Corcoran Gallery qui mettait en scène des homosexuels. La communauté gay avait fait de cette exposition son symbole.
Ensuite, en 1995, le Smithsonian Institute dû annuler une exposition sur Enola Gay, du nom du B-29 qui largua la bombe atomique sur Hiroshima, dont la réflexion sur les motifs de cette attaque heurta le patriotisme américain.
Enfin, le National Endowment for the Arts fut constamment accusé de promouvoir des actions contraires à l’ordre moral et à l’intérêt national. Ses financements furent considérablement réduits par le Congrès américain.
Pour Philip Kennicut, les provocations des artistes n’ont plus trouvé le même écho dans les années 2000 parce que les musées ont rapidement tiré les leçons de la décennie précédente. Lorsqu’en janvier 2002, le musée Juif de New York présente la réflexion de 13 artistes sur l’imagerie nazie, les commissaires d’exposition anticipent la polémique avec les associations d’anciens déportés plusieurs mois à l’avance en créant des espaces de dialogue, une muséographie adaptée et en précisant que l’intention des artistes n’était pas d’offenser la mémoire des victimes. Une manière consensuelle et dépolitisée de communiquer, également adopté par le NEA qui lui a permis de retrouver une partie de son budget même sous l’administration Bush.
Une autocensure des médiateurs que l’on retrouve chez les artistes. Les valeurs du milieu artistique ne sont plus exclusivement orientées vers la critique sociale. Il s’agit de donner leur juste place aux représentations et aux symboles de la communauté. Les cultures « minoritaires » ont désormais leur musée ou sont présentes dans les grandes collections, ce qui redonne une place à leur identité dans la mémoire collective et dans l’espace public.
Le musée est pensé comme un espace civique. La hausse générale du niveau de vie a permis la démocratisation du musée. La politique culturelle doit dès lors s’adresser au plus grand nombre. L’organisation même des musées doit être pensée pour les familles. La place des produits dérivés prend en conséquence une place de plus en plus importante.
Les musées sont devenus des espaces de consommation au détriment de leur statut d’espaces d’expressions alternatifs. Les médias ont pris le relais. Les forums de discussions sur Internet donnent l’habitude au citoyen de s’exprimer directement, sans intermédiaire. Les groupes d’activistes (pour la défense des droits de la femme, des noirs ou des homosexuels,…) préfèrent désormais ce moyen de communication. La télévision et Internet vont aussi beaucoup plus loin que les musées dans la présentation de l’obscène et du choquant.
Selon l’auteur, entre 1989 et 2001, l’opinion publique pouvait se préoccuper d’enjeux culturels, mais elle a désormais retrouvé un ennemi extérieur qui replace la culture comme enjeu secondaire.
Pourtant les polémiques permettaient aux artistes et aux politiques de se faire connaître. Les opposants de l’art contemporain ont notamment diminué leurs critiques pour ne pas faire la publicité de l’artiste en question. Pour l’auteur, ce mouvement d’accalmie paraît durable. Avec du recul, les scandales des années 80-90 sont même devenus difficiles à comprendre.
Légende Photo 1 : Jake et Dinos Chapman - "Zygotic acceleration, biogenetic, de-sublimated libidinal model (enlarged x 1000)" - 1995
Légende Photo 2 : Marcus Harvey - "Mira" (tueuse d'enfants) - 1995
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L'art peut-il encore choquer les Américains ?
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