Fondateur et directeur de sa société, Kléber Rossillon vient d’obtenir la gestion de deux nouveaux sites dont la copie de la grotte Chauvet.
Avec sa société, Kléber Rossillon vient d’obtenir, après appel d’offre, la gestion de deux nouveaux sites culturels d’importance : le Musée de Montmartre, à Paris et le fac-similé de la grotte Chauvet, en Ardèche. Créée en 1995 pour l’animation du château de Castelnaud (Dordogne), son entreprise renforce ainsi sa position d’opérateur privé dans le secteur des monuments historiques. Ancien élève de l’École polytechnique et de l’École nationale de l’aéronautique et de l’espace, Kléber Rossillon nous explique sa conception de la valorisation culturelle.
Sophie Flouquet : La gestion du futur fac-similé de la grotte Chauvet constitue-t-elle un nouvel axe de vos activités ?
Kléber Rossillon : Au contraire, Chauvet se situe totalement dans le prolongement de nos activités. Notre société n’est pas dédiée à un type de patrimoine ou à une spécialité. Notre spécificité est plutôt de faire rencontrer un monument, quel qu’il soit, avec le grand public. Dans le cas de Chauvet, sa valorisation ne représente pas le même défi que pour les jardins de Marqueyssac (Dordogne), car il y a l’évidence du chef-d’œuvre. En revanche, à Marqueyssac, il s’agissait d’une propriété du XVIIIe siècle comme il en existe des centaines en France. Il a fallu en extraire quelque chose susceptible d’attirer 200 000 personnes.
S. F. : Le projet de fac-similé de Chauvet ne semble pourtant pas faire l’unanimité. Que répondez-vous à cela ?
K. R. : Chauvet est un cas particulier. Nous y sommes simplement exploitant de site culturel et nous n’avons pas contribué au projet technique du fac-similé. Néanmoins ce projet technique est excellent et je ne pense pas qu’il ait été mis en doute. De notre côté, nous avons proposé un mode de visite traditionnel, avec un guide. Ce qui se fait pour toutes les grottes préhistoriques. À chaque site, il faut proposer une approche diversifiée, avec un point commun : aider à l’émerveillement tout en mettant le visiteur dans de bonnes conditions. Pour cela, nous mettons fortement l’accent sur ce qui est visuel. Quand nous préparions la muséographie du château de Castelnaud en Dordogne, nous nous demandions, à chaque salle, quelle serait l’impression du visiteur au moment de passer la porte. C’est la particularité de notre métier : nous ne travaillons pas sur du virtuel mais sur les sensations que peuvent ressentir les visiteurs d’un lieu.
S. F. : Vous avez récemment gagné quelques appels d’offres importants, notamment face à Culturespaces, l’un des premiers acteurs privés du secteur. Faut-il y voir le signe du succès de votre manière d’envisager la valorisation culturelle ?
K. R. : Pour Chauvet, nous étions en effet face à Culturespaces mais il ne faut pas en tirer de règle ! Ce qui est certain, c’est que nous nous présentons comme un opérateur crédible.
S. F. : Revenons à l’histoire de votre société. Vous avez commencé en valorisant vos propriétés. Comment passe-t-on de la valorisation de ses biens au développement d’une société spécialisée ?
K. R. : Ma démarche était déjà entrepreunariale. Je n’étais pas dans la logique de valorisation de biens patrimoniaux comme peut l’être un propriétaire de demeure historique, qui hérite d’un château de famille, et qu’il souhaite valoriser. Les jardins de Marqueyssac ont été achetés pour l’exploitation touristique. Le cas initial était toutefois celui du château de Castelnaud que mes parents avaient acquis, mais cela seulement une quinzaine d’années avant de me le donner. Ce n’était donc pas une maison de famille. Ma démarche n’a pas été de rechercher la rentabilité mais d’aller à la rencontre d’un public. Cela a été pour moi une découverte : il s’agissait de comprendre comment faire visiter Castelnaud, un château fort en ruine ! J’ai donc eu l’idée de montrer comment le château était attaqué et défendu, en travaillant sur le thème de la guerre au Moyen Âge, que j’ai combiné avec une façon de travailler pour le public, notamment avec les enfants. Jusqu’à présent, j’ai écrit ou relu personnellement tous les cartels des sites que je gère. Je m’implique personnellement sur tout ce qui touche au public.
S. F. : C’est donc partant de cette expérience que vous avez poursuivi votre développement ?
K. R. : Nous avons constaté qu’avec quelque chose qui intéresse le public, le succès est au rendez-vous. L’étape suivante a donc été d’acquérir Marqueyssac avec l’idée de capitaliser sur le long terme cette expérience de Castelnaud. Marqueyssac a été déficitaire pendant sept ans. Le site est aujourd’hui bénéficiaire.
S. F. : Partir d’une logique visant à satisfaire le visiteur, est-ce suffisant pour rendre rentable un monument ?
K. R. : Pour les monuments historiques, il faut avoir quelque chose à raconter d’exceptionnel. Il ne suffit pas que cela soit beau. Il faut dégager dans un lieu – c’est-à-dire dans son histoire, son architecture et ses collections –, ce qui va ouvrir sur un monde et qui va en faire un lieu de référence. Il y a ensuite d’autres choses plus techniques, comme la durée de visite ou les animations dédiées à tous types de publics.
S. F. : Tous les sites que vous gérez sont ils rentables ?
K. R. : Pas ceux que nous venons de reprendre ! Mais les trois sites que nous gérons depuis longtemps, Castelnaud, Marqueyssac et Langeais (Indre-et-Loire), le sont.
S. F. : Cette recette peut-elle fonctionner pour n’importe quel site ?
K. R. : Non justement. Il existe beaucoup de lieux dans lesquels on ne trouve pas cette équation. Certains sites ne pourront jamais avoir une attractivité nationale.
S. F. : Pourquoi existe-t-il si peu d’opérateurs privés dans le domaine du patrimoine ?
K. R. : Il existe un manque de compétences. Autant les musées bénéficient d’un corps de conservateurs, de gens formés à la conservation et à la gestion des musées, autant dans le domaine des monuments historiques, il n’existe qu’un corps de restaurateurs, les architectes des Monuments historiques ou des Bâtiments de France. Mais il n’existe rien pour ce qui concerne leur mise en valeur. Dans ce domaine, l’État n’a jamais créé les conditions ni la Caisse des monuments historiques formé de professionnels à cela, comme l’ont fait les musées. Quand je dois recruter un conservateur pour le Musée de Montmartre, je reçois pléthore de candidatures alors que pour Chauvet, c’est le néant. Avec Bruno Monnier, de Culturespaces, nous avons inventé ce métier, à côté d’un petit groupe de propriétaires privés qui sont de bons professionnels mais qui ne gèrent que des biens familiaux.
S. F. : Mais ne s’agit-il pas d’un enjeu important, alors que les collectivités locales semblent vouloir faire de plus en plus appel au privé ?
K. R. : Il ne faut pas non plus se méprendre. Jusqu’à présent, les collectivités locales ont toujours été très réticentes aux délégations de service public en matière culturelle. Beaucoup de collectivités ont créé des services spéciaux ou des sociétés d’économie mixte pour gérer leurs monuments et l’État ne s’inscrit pas davantage dans cette démarche. Ce qui est en train de changer, c’est le problème du financement. Aujourd’hui les opérations de financement sont plus difficiles à monter. Les collectivités recherchent donc des partenaires capables d’amener un projet et son financement. Mais ce n’est pas encore la logique qui a guidé Chauvet, projet pour lequel la collectivité a gardé la main. Ce que nous montrons, c’est qu’avec une délégation de service public, dotée d’un bon cahier des charges, la collectivité ne perd jamais la main. Mais ce système n’est pas encore si fréquent.
S. F. : Vous dites donc que ce système serait plus sain que le partenariat public-privé (PPP) ?
K. R. : Certains équipements culturels, tels les Zéniths, sont déjà financés via des PPP ce qui peut entraîner une certaine banalisation du dispositif. Le système a donc tendance à être appliqué aux monuments historiques alors que ceux-ci sont assez spécifiques. Apparaissent ainsi des appels d’offres associant rénovation et exploitation, ce qui sous-entend que celui qui fera la bonne rénovation sera exploitant. Dans le cas d’un appel d’offres de ce type concernant un musée en région, j’ai reçu un coup de téléphone d’un plombier chauffagiste. Logiquement, celui-ci était intéressé car le marché prévoyait un lot de plomberie important. Il nous a donc proposé de nous associer : à lui la rénovation et à nous l’exploitation ! Il y avait manifestement un malentendu. Car l’exploitation d’un musée est un sujet plus complexe. Il est donc très important de faire appel à des spécialistes.
S. F. : Comment observez vous la politique de certains grands châteaux musées qui misent désormais sur l’aménagement d’hôtels ou de logements sociaux pour accroître leurs ressources ?
K. R. : Je regarde cela avec plus de sympathie que certaines façons artificielles de changer la destination d’un château en y installant des œuvres contemporaines. Je ne critique pas là les expositions temporaires de Versailles, mais quand le Centre des Monuments nationaux décide de mettre de l’art contemporain dans les monuments nationaux, je pense que c’est une erreur. J’ai moi-même installé de l’art contemporain à Marqueyssac, mais cela ne peut pas constituer l’axe principal de la valorisation des monuments nationaux. Cela ne peut pas devenir une doctrine.
S. F. : Vous êtes par ailleurs président d’une association de défense du patrimoine, la Fédération Patrimoine-Environnement. N’avez-vous pas d’inquiétudes pour l’avenir du patrimoine ?
K. R. : Ce qui m’inquiète le plus c’est qu’il faut aimer le patrimoine et bien le connaître pour bien s’en occuper. Tous ceux qui en font mauvais usage sont ceux qui ne le connaissent pas et ne l’aiment pas. Il faut donc susciter la connaissance du patrimoine. Je vous rappelle que « monument historique » ne signifie pas « œuvre d’art à conserver » mais « monument qui enseigne l’histoire ». C’était l’idée de François Guizot [ministre de l’Intérieur] lorsqu’il a créé le service des monuments historiques [en 1830]. Dès lors qu’un monument donne une leçon d’histoire, je ne suis pas contre le fait qu’un hôtel soit ouvert dans ses communs. En revanche, dans le cas de l’hôtel de la Marine, j’ai estimé qu’y créer un palace était un contresens alors que ce bâtiment avait été créé, à l’origine, comme un immeuble de bureaux. Qu’il soit conservé comme cela, c’est donc respecter l’histoire de ce monument. Nous avions d’ailleurs travaillé à un projet alternatif pour l’hôtel de la Marine, afin de montrer que d’autres solutions existaient. Nous ne l’avons finalement pas déposé quand nous avons compris que l’appel à projets n’irait pas à son terme.
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L'actualité vue par Kléber Rossillon, fondateur et gérant de sa société éponyme
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°360 du 6 janvier 2012, avec le titre suivant : L'actualité vue par Kléber Rossillon, fondateur et gérant de sa société éponyme