Paroles d’artiste

Daniel Dewar et Grégory Gicquel - « Positivité, naïveté, sarcasme et sérieux »

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 19 septembre 2011 - 690 mots

Avec un sens affûté du télescopage, le duo composé de Daniel Dewar et Gregory Gicquel (nés respectivement en 1976 et 1975) propose une œuvre tonique et iconique. En témoignent leurs récentes sculptures, à voir à la galerie Loevenbruck, à Paris. Daniel Dewar a répondu à nos questions.

Frédéric Bonnet : On a souvent commenté votre travail en termes d’hybridation, et il est en effet marqué par une intense recherche formelle et des télescopages d’images.
Daniel Dewar : L’hybridation est l’une des caractéristiques de notre travail en effet, et je pense que ces télescopages sont peut-être là pour mettre le sujet au second plan. On nous parle souvent de surréalisme, mais pour moi cela ne concerne que les images, une confrontation d’idées ou d’images. Alors qu’ici, si nous prenons plusieurs sujets, c’est pour les effacer au profit du matériau et de l’autonomie de la sculpture.

F.B. : Vous présentez de nombreuses pièces en céramique, qui est une technique relativement nouvelle pour vous. En venir à ce matériau était-il une évolution logique ?
D.D. : Il fait partie du champ des possibles en sculpture. Ensuite, la question n’est peut-être pas de savoir pourquoi la céramique, mais que faire avec ? Nous avons déjà travaillé la pierre, le bois, l’argile, beaucoup de matériaux tout à fait classiques. Ce qui nous importe c’est de savoir que faire avec l’argile, ou avec la laine en termes de tissage. Les premières réponses que nous avons trouvées ont été simplement de dessiner une soupière. Car que faire avec de la céramique ? du fonctionnel évidemment ! Nous avons donc dessiné une soupière, et utilisé le processus du moulage pour parvenir à en tirer une série. Puis nous nous sommes souvenus que les émaux pouvaient couler quand on les cuisait trop fortement. On a donc fait des essais d’empilement de petites faïences, et on a vu que les coupelles commençaient à plier si on les cuisait à des températures plus élevées. D’expérimentation en expérimentation nous sommes arrivés à des pièces qui ressemblent à celles-là. Donc, à travers cette question du « que faire ? » puis de l’expérimentation, on finit peut-être par approcher d’une forme.

F.B. : Les techniques artisanales ne sont jamais prises en tant que telles et sont réexplorées, retravaillées. Cet intérêt pour la céramique, le bois ou les tapis est-il effectivement un point de départ ?
D.D. : Cela nous intéresse non pas d’un point de vue politique ou culturel, mais surtout parce que ce sont des techniques que nous pouvons utiliser à notre échelle. Ensuite, nous pouvons gonfler ou distordre ces techniques, les brutaliser. Par exemple nos très grands tissages sont un gonflement de la chaîne de trame qui est espacée de cinq centimètres (Mammoth and Poodle, 2010). C’est ce qui permet de faire des tapisseries très épaisses. Il y a à chaque fois une déviance dans la réutilisation de la technique artisanale, comme pour les fontes de céramiques.

F.B. : Dans l’usage que vous faites de l’objet, qui reste malgré tout reconnaissable, souhaitez-vous contrarier sa fonctionnalité au bénéfice d’une lecture beaucoup plus abstraite ou poétique ?
D.D. : Non ! Cela ne me dérangerait pas qu’on dise ça à propos du travail, mais ce n’est pas notre approche. Honnêtement, la forme de la sandale contemporaine par exemple, je ne pense pas qu’on cherche à en donner une lecture plus poétique. Au contraire, elle est portée par tout le monde, partout dans le monde, et est visuellement très laide.

F.B. : Est-ce parce qu’elle est laide que vous en faites un objet totémique ?
D.D. : Oui, car il existe toujours une part de positivité et de naïveté, de sarcasme et de sérieux. C’est parce qu’elle est immonde que nous en faisons un totem, mais c’est aussi parce que ses formes organiques, futuristes et vaguement biomorphiques fonctionnent bien avec le veinage du bois. Ensuite il y a la question des gens qui portent ces sandales, un peu dans une idée du retour à la nature finalement. C’est quelque part un mouvement important aujourd’hui, celui d’un retour à la décontraction.

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jusqu’au 15 octobre, galerie Loevenbruck, 6, rue Jacques-Callot, 75006 Paris, té l. 01 53 10 85 68, www.loevenbruck.com, tlj sauf dimanche-lundi 11h-19h.

Légende photo

Vue de l’exposition de Dewar & Gicquel à la galerie Loevenbruck, Paris. © Photo : Fabrice Gousset

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°353 du 23 septembre 2011, avec le titre suivant : Daniel Dewar et Grégory Gicquel - « Positivité, naïveté, sarcasme et sérieux »

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