Art contemporain

Duo

Des techniques de pros au service de l’art

Par Anaïd Demir · Le Journal des Arts

Le 17 février 2006 - 611 mots

Dewar & Gicquel proposent à la galerie Édouard-Manet à Genevilliers une succession de calembours visuels et mentaux.

GENEVILLIERS - Si « Dewar & Gicquel » résonne comme « Black & Decker » ou toute autre marque d’outillage qui fleure bon le dimanche bricoleur et l’ouvrier en sueur, ce n’est probablement pas un hasard.

Ce duo d’artistes au masculin, formé de Daniel Dewar et Grégory Gicquel, entend en effet changer notre approche de l’artisanat, mais aussi des techniques et du produit manufacturé dans l’art. Ainsi ces deux dandys avaient-ils installé dans l’une de leur première exposition à Paris, à Public, une scierie portative comme une mini-usine de découpe de bois. Cette « Scierie écho ppk », en 2003, prenait déjà des allures de manifeste visuel. Pop art ou art brut ? froidement conceptuelle ou ardemment expressionniste ? Arts and Crafts ou séance de macramé ? hyperréaliste ou surréaliste ?

Les références artistiques de Dewar & Gicquel renvoient aussi bien au calendrier affiché dans les bureaux d’un chantier qui exhale le béton frais qu’à la reconstitution d’une boutique de skate-board. L’artillerie lourde de l’univers adolescent et le monde de la construction sont reproduits à la main et à l’échelle 1. Un bazar qui se débite au détail dans des galeries qui évoquent parfois l’espace d’une boutique le temps d’une exposition. Des jeux de mots visuels, des hiatus formels se produisent alors sous nos yeux. De la « re-création » à la récréation, le travail de Dewar & Gicquel aboutit à une série de « Handmade Objects » : cadre BMX, truelle, pioche, scie circulaire, mini-moto et vêtements de sport. Lequel des deux, du ready-made ou de l’objet handmade, emportera la donne sur la scène artistique ? Lequel, de l’objet industriel ou du fait main, fera le plus illusion dans nos intérieurs standardisés ?

Imaginaire foisonnant
À l’École municipale des beaux-arts de Genevilliers, Dewar & Gicquel continuent à bluffer leur public dans les salles de la galerie Édouard-Manet. Le duo intrigue d’emblée avec un titre d’exposition à tiroirs : « Driving in the abyss behind a 2 big tits lorry truck truck mental ray ». Se diriger droit vers l’abysse, derrière un poids lourds… Accrochez-vous à cette succession d’images mentales issues, semble-t-il, de l’écriture automatique. Le résultat d’un cadavre exquis auquel les deux artistes se seraient livrés se retrouve illustré dans les différentes installations proposées. Sur un fond autant marin que rock n’roll, le public entre en collision avec différentes pièces pleines d’humour. Une raie géante en caoutchouc noir fraîchement sortie des profondeurs aquatiques, les babines « piercées », le sourire clouté, le nunchaku prêt à claquer et l’étoile de ninja à portée de main, nous toise dès l’entrée. Ce bel engin pour une torture médiévale se situe à mi-chemin entre Moby Dick, les légendes du rock et le pop art. Cette sculpture trouve sa réplique avec une guitare électrique qui n’a d’industrielle que son aspect, puisqu’elle a été artisanalement reproduite à la maison. Un peu plus loin, des colliers marins surdimensionnés avec de vraies céramiques ressemblent à des chapelets de turquoises. Puis de faux coquillages en bois rappellent les séances de macramé organisées en colonies de vacances. Enfin, un drôle d’objet tout métallique, seul dans une grande pièce, posé contre une cheminée XIXe siècle, crée un hiatus entre le tison et le club de golf. Les calembours se succèdent devant ces œuvres nées d’un imaginaire foisonnant. Des voyages bien poétiques se profilent à travers formes et mots, pour un label, « Dewar & Gicquel », qui se donne des airs d’entreprise au service du bâtiment.

DEWAR et GICQUEL

- Commissaire de l’exposition : Lionel Balouin
- Nombres d’œuvres : cinq dont trois inédites

Dewar & Gicquel, Driving in the abyss behind a 2 big tits lorry truck truck mental ray

Jusqu’au 18 mars, École municipale des beaux-arts/galerie Édouard-Manet, 3, place Jean-Gradel, 92230 Genevilliers, tél. 01 40 85 67 40, tlj sauf dimanche et lundi 14h-18h30, samedi 14h-19h.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°231 du 17 février 2006, avec le titre suivant : Des techniques de pros au service de l’art

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